Article à paraître sous forme de série en 10 journées successives, week-end excepté.
Par Rémi Hugues.
Dans le collimateur de l’OTAN
« En politique étrangère, il n’est pas simple d’être un “héritier” »1, conclue le Professeur à Sciences Po Paris Frédéric Charillon, dans un texte qu’il a écrit il y a environ 20 ans de cela. Cette affirmation, Bachar al-Assad l’a très largement plus qu’éprouvée, lui qui a subi une offensive venue d’Occident suite à l’irruption des Printemps arabes.
Au cours de l’émission « Ça vous regarde » diffusée sur LCP le 10 juin 2013, l’ancien ministre français des Affaires étrangères Roland Dumas a révélé que le Royaume-Uni préparait la chute du régime en place au Syrie depuis plusieurs années. L’ancien diplomate dit avoir été convié à participer à cette opération, due selon lui à la volonté qu’a Israël d’abattre tous les régimes qui lui sont hostiles au Moyen-Orient.
En outre, affirme Heydemann au moment où Assad Junior commence son règne, « la Syrie n’a jamais été dans les bonnes grâces des États-Unis – elle reste l’un des rares pays à figurer sur la liste des États terroristes »2.
Quand il arrive au pouvoir, le nouveau président syrien a donc contre lui l’axe Londres-Washington-Tel-Aviv, c’est-à-dire l’hyperpuissance même, l’Empire. Mais comme dans la saga Star Wars, ce n’est pas l’Empire qui l’a emporté sur la République. Oui, la République syrienne a résisté à l’attaque que lui a lancé l’Empire.
Dans cette épreuve pour la Syrie d’Assad ses alliés du Hezbollah libanais, de l’Iran, et de la Russie ont joué un rôle décisif. Sans eux, sans en particulier le soutien-clé de Vladimir Poutine, Assad serait-il encore en place ? Quoi qu’il en soit, « Assad a gagné la guerre. […] Et les grandes puissances se sont ridiculisées. Elles ont parfois subi directement les conséquences sur leur territoire, comme lors des attentats en France et en Belgique3. »
En Occident, à ses débuts, il n’y a guère que la France pour lui accorder de la considération. Chirac, on l’a dit, a été un mentor pour Assad. Lorsque en 2007 Nicolas Sarkozy remporte la course à l’Élysée, il semble engagé à poursuivre la voie pavée par son prédécesseur. Le mercredi 3 septembre 2008 il se rend en visite officielle à Damas. C’est le premier dirigeant occidental à le faire depuis cinq ans. Puis le président syrien fait plusieurs déplacements à Paris.
Néanmoins l’une de leurs rencontres se passe très mal si l’on en croit l’ex-proche de Marine Le Pen Julien Rochedy, lequel a pris un selfie avec lui que certains ont trouvé de mauvais goût. Il rapporte qu’Assad lui a raconté cette anecdote : à propos d’un projet de gazoduc porté par Sarkozy allant du Qatar à la mer Méditerranée, et donc passant par la Syrie, son hôte lui aurait opposé un refus catégorique, arguant que son pays n’est plus une colonie française ; le président français aurait alors explosé de colère : – Si c’est comme ça on va foutre votre pays à feu et à sang !
Quelque temps plus tard, de Deraa partait le Printemps syrien, où la population, indignée des châtiments subis par des jeunes ayant écrit sur un mur de leur école jayy alak al-dor (« ton tour arrive ô docteur »), sort dans la rue. La manifestation est durement réprimée. Cela n’empêche pas la révolte de se répandre dans presque tout le pays, de la banlieue de Damas à Homs en passant par Lattaquié. Des jeunes commencent à s’organiser en groupes paramilitaires. Très tôt le renseignement intérieur français est informé que ceux-ci sont infiltrés par des militants islamistes ultra-radicaux type al-Qaïda, que les médias occidentaux appellent jihadistes, et que les experts désignent généralement par le vocable takfiri.
Les services syriens, ou moukhabarats, indiquent « aux Français que des cellules islamistes radicales irakiennes se sont déjà déplacées sur le territoire syrien, se sont mêlées aux opposants et commencent à instaurer une certaine animosité dans le mouvement. “Ils sont les premiers à détecter le transfert des réseaux dormants d’Irak qui viennent s’installer en Syrie pour islamiser un peu le mouvement d’opposition”, explique Bernard Squarcini, le patron de la DCRI »4, rebaptisée aujourd’hui DGSI.
Les Américains, dont les agences de renseignement sont réputées être les meilleures du monde, savaient bien, eux aussi, ce qu’il se passait en Syrie à ce moment-là. En atteste le fait suivant : le 23 décembre 2011, à Damas, un double attentat à la voiture piégée frappe le siège des services secrets syriens. « Pour nous, c’est al-Qaïda en Irak qui était derrière l’attaque. […] Nous pensions donc qu’ils étaient désormais dans Damas même et nous avions des informations qui corroboraient cela »5, relate l’ambassadeur américain en Syrie de l’époque Robert Ford.
Soit exactement la même version que les autorités syriennes. Toutefois, pour les médias occidentaux, intoxiqués, relayent le point de vue de l’opposition qui accuse le régime d’en être à l’origine.
L’agenda des politiques du monde occidental était clair : renverser Assad, quoiqu’il en coûte. Et, pour les citoyens européens, le coût a été rude, avec une vague d’attentats sur leur sol, spécialement de 2015 à 2017. « Rapidement après le déclenchement de la révolution, la DCRI a alerté sur la présence d’individus radicalisés et de groupes dont l’opposition à Bachar al-Assad est de nature religieuse. […] Mais ces informations ne sont pas toujours entendues au plus haut niveau de l’État, ni même au Quai d’Orsay »6.
Effroyablement cyniques, les dirigeants occidentaux sont restés sourds aux signaux d’alarme que leur envoyaient leurs services, laissant croître le pire de la barbarie. L’année 2012 fut le point d’orgue de leur forfaiture.
Faisant fi de ces messages d’avertissement, et ne tenant compte que des informations biaisées diffusées par une officine sise à Londres appelée Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH), en fait émanation du MI6 travaillant en faveur des intérêts frériste et turc, la France, via son ambassadeur sur place Éric Chevallier, a directement aidé l’opposition, en lui fournissant secrètement du matériel médical, mais aussi des espèces.
« À plusieurs reprises, Éric Chevallier se rend en Turquie pour rencontrer des opposants de l’intérieur à la frontière turco-syrienne. Selon plusieurs sources, il ferait même des incursions de quelques kilomètres en territoire syrien. De nouvelles valises d’argent liquide sont ainsi livrées à des conseils municipaux […] des territoires conquis par l’opposition. “Ces opposants traversaient la frontière, et Éric leur remettait le cash, explique un officiel bien informé. »7 Voilà à quoi a servi l’argent du contribuable français : à alimenter le terrorisme takfiri, responsable quelques années après des attentats du Bataclan, de Nice, de Barcelone, etc. ■ RÉMI HUGUES (À suivre)
1 « Maroc, Jordanie, Syrie : Les héritiers », Études, 2002, tome 397, n°12, p. 597.
2 Heydemann, op. cit., p. 38.
3 Antoine Mariotti, La honte de l’Occident. Les coulisses du fiasco syrien, Paris, Tallandier, 2021, p. 10.
4 Ibid., p. 27.
5 Cité par ibid., p. 66.
6 Ibid., p. 78.
7 Ibid., p. 74.