Article à paraître sous forme de série en 10 journées successives, week-end excepté.
Par Rémi Hugues.
« La Turquie organise la promotion médiatique de l’ASL »1, écrit Filiu, elle est l’épicentre de cette guerre indirecte de l’OTAN, dont elle est un membre éminemment stratégique, visant la Syrie d’Assad.
Sauf que cette ASL, l’Armée Syrienne Libre n’existe pas en propre, c’est, comme l’explique l’enseignant-chercheur à l’Institut du Proche-Orient Matthieu Rey, un « label unifiant les groupes armés variés qui se forment dans le pays2 », soit – accessoirement – le front al-Nosra (al-Qaïda), l’État islamique au Levant (Daech)…
Le 23 juin 2012, après que l’armée syrienne a abattu un avion turc, on est à deux doigts de l’escalade entre les deux pays. Recep Tayyip Erdogan menace : Qui veut la paix prépare la guerre !
De juin à août le département d’État crée une task force visant à hâter la défaite d’Assad baptisée « Le jour d’après ». « Le président américain et son entourage proche se demandent s’il ne faudrait pas aider légèrement le président syrien à tomber. »3
Derrière Hillary Clinton, les faucons poussent à ce que des armes soient fournies aux rebelles. Le président Obama, prudent, s’y refuse.
Des États-Unis à l’Arabie Saoudite en passant par la Turquie et le Royaume-Uni, nombreuses sont les chancelleries qui « annoncent la fin prochaine du pouvoir syrien. »4 La France n’est pas en reste, on l’a vu. L’ami, le parrain, le frète, le mentor Chirac est bien loin. Sous les présidences Sarkozy et Hollande la France devient un redoutable ennemi pour Assad : « on espérait qu’il allait partir […] répond un directeur du Quai d’Orsay. »5
La fameuse politique arabe de la France, héritage de la période gaullienne, a considérablement changé. Les nouveaux alliés sont les pétromonarchies du Golfe, tout particulièrement le Qatar, avec Sarkozy a entretenu des liens très étroits.
C’est lorsqu’il était à l’Élysée que le Paris Saint-Germain, son club de cœur, a été vendu à un fonds de ce petit pays très riche.
En juin 2012, lors d’un sommet à Genève, un diplomate du Qatar lance : « Écoutez-moi, je vous explique, Bachar, ce n’est plus la peine d’en parler, en septembre il ne sera plus là. »6 Douze ans plus tard, ne lui en déplaise, Assad est toujours maître en son pays.
Mais il existe bien pire que lui en matière de prédiction. Une pointure de la géostratégie américaine, Jon B. Alterman, juste après l’intronisation d’Assad, le 18 juin 2000, dans l’article « Fathers ands sons. Ruling is tough for Jordan’s Abdullah. For Syria’s Bachar, it’s far tougher » du Washington Post, avait estimé qu’il ne tiendrait pas un an…
Avec le recul il paraît évident que l’irruption des « Printemps arabes » est la résultat d’un plan que le bloc atlantiste, ou « anglobaliste », avait orchestré des années au préalable. La CIA travaillait déjà, d’après les dires d’un agent français, sur le départ de Ben Ali en … 2008. Il avait eu à plancher sur le sujet lors d’une réunion avec des employés de le Centrale américaine. A posteriori, quand s’est déclenchée la révolution de jasmin, il s’est dit : « Putain, soit ils sont très forts, soit ils l’ont provoqué »7.
Morale des Printemps arabes
S’il fallait, en conclusion, trouver une morale au « Printemps arabe » – comme il existe, pour chaque fable, une morale ; après tout un récit, bien que fictif, consiste tout autant qu’un fait historique à une série d’événements –, cette morale serait éminemment politique. Elle relèverait de la philosophie politique, et porterait sur la comparaison entre les différents régimes politiques.
La morale que nous déduisons du « Printemps arabe » est que la monarchie héréditaire est de nature supérieure à tous les autres régimes, eu égard au fait que ce régime a survécu à cette vague révolutionnaire, à travers la personne de Bachar al-Assad, qui au tournant du XXIe siècle a pris la succession de son père Hafez à la tête de la Syrie.
Ceux qui ont ardemment désiré le pouvoir et usé de tous les moyens, même violents, pour y accéder n’ont pas résisté à ce mouvement de colère de la « rue arabe » ; ce qui n’est pas sans rappeler cette parole christique relatée dans l’évangile de Matthieu (XXVI : 51) : « tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive. »
L’ethos d’un Assad, qui a toujours montré son « peu de goût pour le culte de la personnalité »8, a plus à voir avec celle du monarque traditionnel, pour qui le pouvoir est d’abord une ascèse, qu’avec celle des autocrates ou tribuns de la plèbe modernes, les Staline, Mao, Pol Pot, Hitler, Berlusconi, Sarkozy ou Macron, tous mus par une soif inextinguible de puissance, et dont la vulgarité crasse se reflète dans leurs démagogiques visuels de propagande ou leurs lamentables prestations scéniques.
Parmi les trois principales victimes du « Printemps arabe », Moubarak n’a certes pas pris les armes pour atteindre le sommet de l’État égyptien, mais son accession à la magistrature suprême a eu lieu dans un contexte de violence, précisément à cause d’un acte terroriste, dont il n’est lui-même pas responsable ; indéniablement sa passation de pouvoir ne s’est pas faite dans des conditions sereines.
Ni acte coercitif ni assassinat n’ont marqué l’intronisation de Bachar al-Assad, qui fait donc figure d’exception : elle n’est pas maculée de sang, ni permise par des pressions exercées à l’aide d’armes à feu, menaçant que du sang puisse être versé.
Résultat, comme l’a pointé du doigt Rey, « il est un des seuls survivants des soulèvements de 2011. »9
Aussi c’est elle qui ressemble le plus à la succession-type de notre royal Ancien Régime, durant laquelle était la fameuse formule : Le roi est mort, vive le roi !
Par ailleurs, la cérémonie de la réclusion et sommeil au palais de l’archevêque de Reims10, inspirée du livre vétérotestamentaire de Samuel11, avait pour fonction de représenter comme une charge, un devoir, qui oblige, plutôt que comme un objet désirable en tant qu’il satisfait notre amour-propre, notre appétit de domination (ou volonté de puissance chez Nietzsche).
Enfin, la désignation par le truchement du primus inter pares va dans le même sens : c’est l’Autre plutôt que le Moi qui est la source immanente du pouvoir la plus légitime ; la seule source purement légitime étant transcendante, à savoir Dieu, comme il est inscrit dans les Proverbes (VIII : 15-16) : « Par moi les rois règnent et les dirigeants ordonnent ce qui est juste, par moi gouvernent les chefs, les grands, tous les juges de la terre. » Ce que Jésus-Christ ne manqua pas de rappeler à Ponce-Pilate : « Tu n’aurais sur moi nul pouvoir, s’il ne t’avait été donné d’en haut »12. ■ RÉMI HUGUES (À suivre)
1 Jean-Pierre Filiu, Le Nouveau Moyen-Orient. Les peuples à l’heure de la Révolution syrienne, Paris, Fayard, 2013, p. 149.
2 Matthieu Rey, op. cit., p. 311.
3 Antoine Mariotti, op. cit., p. 112.
4 Ibid., p. 110.
5 Cité par ibid., p. 111.
6 Cité par ibid., p. 110.
7 Cité par ibid., p. 106.
8 Steven Heydemann, op. cit., p. 36-37.
9 Op. cit., p. 292
10 Voici comment elle se déroula pour le roi-martyr Louis XIV, sacré à Reims le 11 juin 1775 par Monseigneur de La Roche-Aymon : « Le matin, l’archevêque qui a pis place dans la cathédrale députe l’évêque-duc de Laon et l’évêque-comte de Beauvais pour aller quérir le Roi à l’archevêché. Le chantre qui les accompagne, une fois arrivée frappe à la porte : « Que demandez-vous ?» Questionne le grand Chambellan L’évêque de Laon répond : « Le Roi. » Le grand Chambellan réplique : le Roi dort ». Le chantre ayant frappé de nouveau, l’évêque demande une seconde fois le Roi. Même réponse du grand Chambellan, mais à la troisième fois, le chantre ayant frappé et le grand Chambellan ayant fait la réponse habituelle, l’évêque de Laon intervient : « Nous demandons Louis, que Dieu nous a donné pour Roi. » Aussitôt la porte s’ouvre, les évêques sont conduits auprès du Roi qui le ramène à la cathédrale. « La réclusion du Roi et son sommeil paraissent être l’image de ce que l’Écriture sainte rapporte de Saül. Le choix du peuple hébreux venait de l’appeler au trône ; or Saül redoute la royauté et se cache. Mais Dieu fait connaître qu’il s’est renfermé dans sa maison. On va l’y chercher ; on l’enlève de sa retraite et on l’amène au milieu du peuple ». Telle est la signification du sommeil du Roi. Arrivé au milieu de la nef, l’évêque de Beauvais prononce l’oraison suivante, qui rappelle l’origine divine et la finalité du pouvoir royal : « Ô Dieu !… Accordez votre secours à Louis votre serviteur, que vous avez mis à la tête de votre peuple afin qu’il puisse lui-même secourir et protéger ceux qui lui sont soumis. » Après diverses oraisons le grand prieur de l’abbaye de Saint Rémi apporte la sainte ampoule contenant le baume utilisé pour l’onction royale. En la remettant à l’archevêque le grand prieur lui fait cette recommandation : « Monseigneur, je mets entre vos mains ce précieux trésor envoyé du Ciel à Saint Rémi pour le sacre de Clovis et des Rois ses successeurs ; […] Notons en passant que, par ce texte, la liturgie reconnait officiellement l’origine miraculeuse du chrême de la sainte ampoule. Même reconnaissance dans la prière suivante récitée par l’archevêque qui commence ainsi : « Dieu tout-puissant qui, par un effet de votre bonté, avez voulu que la race des Rois de France reçût l’onction sainte avec le baume qui est ici présent et que vous avez envoyé du Ciel au saint évêque Rémi… […] La tradition raconte qu’elle fut apportée miraculeusement à saint Rémi par une colombe lors du baptême de Clovis. […] », Bernard Basse, La constitution de l’ancienne France, Poitiers, DMM, p. 102-109.
11 « Saül […] fut désigné. On le chercha, mais on ne le trouva pas. On consulta de nouveau l’Éternel en demandant : “Y a-t-il encore un qui soit venu ici ?” L’Éternel dit : “Il est caché vers les bagages.” On courut le tirer de là et il se présenta au milieu du peuple. Il les dépassait tous d’une tête. Samuel dit à tout le peuple : “Voyez-vous celui l’Éternel a choisi ? Il n’y a personne dans tout le peuple qui soit pareil à lui”. Et tout le peuple cria : “Vive le roi !” » (1 Samuel X : 21-24)
12 Évangile de Jean, XIX : 11.