Nous ne commenterons pas ce riche entretien paru dans le JDD d’hier dimanche, trouvant préférable de laiiser aux lecteurs de JSF la liberté de démêler tout ce que le propos d’Alain Finkielkraut comporte de positif au regard de la pensée contre-révolutionnaire qu’est la nôtre de ce qu’il peut conserver de l’idéologie révolutionnaire et, le cas échéant, des fondement de notre postmodernité décadente. JSF
DÉBAT. L’académicien publie « La Modernité à contre-courant », un recueil de ses conversations avec d’autres grands intellectuels. Le passé n’est plus une ressource mais un repoussoir pour un présent qui, au nom de l’ouverture à l’Autre, se referme sur lui-même, déplore Alain Finkielkraut.
« Comment les hommes l’aimeraient si leur patrie n’est rien d’autre pour eux que pour les étrangers et qu’elle ne leur accorde que ce qu’elle ne peut refuser à personne ? » Rousseau
Le JDD. Vous publiez La Modernité à contre-courant, un volume qui contient sept titres jamais réunis. Dans le premier texte de cet ouvrage, vous écrivez : « Le moderne, c’est celui à qui le passé pèse. Le survivant, c’est celui à qui le passé manque. » Lequel des deux êtes-vous ?
Alain Finkielkraut. Comme un bon nombre de babyboomers, je suis entré en politique sous le drapeau de la révolution. « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! » disais-je avec ferveur en mai 1968. Et puis, sous l’influence de la pensée d’Europe centrale, j’ai compris que le vieux monde n’était pas étouffant mais exsangue. J’ai été étreint par ce que Simone Weil appelle un patriotisme de compassion, « la tendresse pour une chose belle, fragile et périssable ». Précaire, le passé m’est devenu précieux. La beauté nous quitte et, avec elle, la culture, la littérature, la langue elle-même. La syntaxe s’effondre, le vocabulaire se rétrécit, les Français deviennent étrangers à leur propre idiome. Il ne s’agit donc plus de changer le monde mais de sauver les meubles. Nous devons, avant qu’il ne soit trop tard, réapprendre à être des héritiers.
« La continuité historique est aujourd’hui en péril »
Le deuxième de ces textes s’intitule L’Humanité perdue. Alors que les débats se crispent sur la question migratoire, a-t-on perdu notre humanité ? A-t-on cessé de voir l’Autre dans sa dimension universelle d’être humain ?
Comme l’a montré Tocqueville, la modernité démocratique, c’est l’élargissement à toute l’humanité du sentiment du semblable. De cette égale dignité des personnes, certains déduisent aujourd’hui qu’il faudrait, pour être de vrais démocrates, surmonter la distinction de l’autochtone et de l’étranger. Ces défenseurs de l’égalité et de l’universalité oublient les grands classiques républicains, et notamment Rousseau : « Comment les hommes l’aimeraient si leur patrie n’est rien d’autre pour eux que pour les étrangers et qu’elle ne leur accorde que ce qu’elle ne peut refuser à personne ? » Ils oublient ainsi, dans leur zèle humanitaire, que la division en nations est la condition de la vie démocratique.
Toute discussion sur l’organisation du vivre-ensemble suppose une mémoire commune, des références implicites, l’attachement à un même passé. La continuité historique est un bien fondamental. En l’absence d’un contrôle effectif des frontières, cette continuité est aujourd’hui en péril. Comme le dit Edgar Quinet : « Le véritable exil n’est pas d’être arraché de son pays, c’est d’y vivre et de n’y plus rien trouver de ce qui le faisait aimer. » La criminalisation de cette stupeur est une faute politique que nous risquons de payer très cher.
La particularité de ce recueil réside dans votre confrontation à des adversaires. A-t-on perdu goût au débat ? Sommes-nous désormais trop enfermés dans des bulles d’opinion ?
Je ne pense pas par moi-même de moi-même. J’ai besoin d’être provoqué, défié, contesté, bousculé, pour m’arracher à l’hébétude. D’où l’importance dans ma vie des conversations avec Benny Lévy, Peter Sloterdijk, Antoine Robitaille, Élisabeth de Fontenay, que je remercie de m’avoir poussé dans mes retranchements. « Qui ne connaît que ses propres arguments connaît mal sa cause », disait John Stuart Mill. Ce pourrait être la devise de mon émission « Répliques ». Mais le débat est menacé. Après le court intermède antitotalitaire, la radicalité sévit à nouveau dans la vie intellectuelle. La radicalité, c’est-à-dire le chiffre deux, deux blocs, deux forces, deux subjectivités se font face : les dominés qui luttent pour l’émancipation, les dominants qui les écrasent. Il n’y a pas de dialogue possible entre les représentants de l’humanité et leurs ennemis. Ainsi se répand sur tous les campus occidentaux la cancel culture. J’en suis l’une des victimes. Il est désormais hors de question pour moi de donner une conférence à Sciences Po, à l’École normale supérieure, à l’École des hautes études en sciences sociales. Me voilà devenu persona non grata dans l’université française.
Est-ce encore possible de « vivre ensemble » ? Comment faire corps ?
Nous avons cessé de faire corps car, comme le dit mélancoliquement Pierre Manent : « Nous ne pensons pas que ce qui est à nous est bon et digne d’être défendu. Ni notre langue, ni notre histoire, ni notre indépendance, ni notre liberté. Sous la jactance des valeurs, je ne sens qu’un triste désir de mourir. »
Qu’avons-nous à transmettre ? Est-il encore temps ?
Selon Alain, homme de l’ancien monde, « l’esprit humain se forme non à choisir mais à accepter, non à décider si une œuvre est belle mais à réfléchir sur une œuvre belle. Ainsi, en dépit de lieux communs trop évidents, il y a une imprudence à juger par soi, c’est l’humanité qui pense ». Même à l’école, surtout à l’école, cette façon de voir n’a plus cours. Il s’agit, dès le collège, de former l’esprit critique. À l’admiration préalable succède la méfiance a priori. Les woke, les éveillés, ne s’en laissent pas accroire : dans les chefs-d’œuvre consacrés, ils traquent avec maestria les préjugés racistes et les stéréotypes de genre. Le passé n’est plus une ressource mais un repoussoir pour un présent qui, au nom de l’ouverture à l’Autre, se referme inexorablement sur lui-même.
Existe-t-il seulement une idée du bien commun ?
« Je n’écris pas pour le lecteur d’aujourd’hui mais pour les lecteurs qui se présenteront tant que la langue vivra », disait Flaubert. Il signifiait ainsi que la langue, notre premier bien commun, pouvait mourir. Et, aussi inquiet fût-il, il n’avait pas prévu que la langue serait un jour vandalisée, au nom du principe d’égalité, par l’écriture inclusive.
Vous décrivez la France comme une « patrie charnelle ». Qu’est-ce qui la caractérise ?
La France, je le répète, ce ne sont pas seulement des valeurs, ce sont des choses, des réalités tangibles, des lieux, des paysages, des monuments, des textes, des toiles, des mélodies, des fromages. La France, c’est Poussin, Chardin, Cézanne, Matisse ; c’est Montaigne, Marivaux, Racine, Berlioz, Ravel, Colette, la montagne Sainte-Victoire, Vézelay, Notre-Dame de Paris… Cet héritage multiple nous incombe et nous oblige. ■
Finkielkraut développe un plaidoyer pour la préservation des valeurs humanistes et culturelles classiques, tout en déplorant les effets de l’individualisme et de la mondialisation.
Cependant, son discours, parfois perçu comme réactionnaire, peut sembler trop nostalgique et déconnecté de certaines réalités actuelles. Il est néanmoins une voix importante dans le débat intellectuel contemporain sur la modernité.
Ce qui est conservé de l’idéologie révolutionnaire semble minime au regard de la pensée « contre révolutionnaire » (anti-moderne) .
L’entretien est bien riche (difficile à commenter de part son haut niveau) , de tonalité nostalgique (la nostalgie, déjà ce seul sentiment ne peut que rendre suspect l’Académicien à la Gauche et sa bêtise satisfaite) .
Que l’écrivain soit banni de Normale Sup n’étonne guère : ça a toujours été de gauche, et cela semble incurable.
Mais Sciences Politique , ne passait pas pour partie du cloaque de Gauche, jadis . Que s’est-il donc passé ?
L’école des Hautes études en Sciences Sociales, qu’es aquo ? Science Po renforcé ?
Et ce sont ces élites destinées à nous régir via la haute administration !
Mais enfin, A. Finckielkraut, navigue dans les milieux de l’élite intellectuelle , et, s’il il y a de quoi s’inquiéter des inventions de ce petit cercle ( wokisme et autres ), ce n’est pas la majorité, c’en est même le contraire et l’on peut se rassurer : cette majorité qui compose la population d’un pays (« Jacques Bonhomme ») est plutôt imperméable à ces idées à la mode : soit elle les ignore, soit elle en rit ; elle pourrait tout aussi bien, si l’agacement lui venait renverser toutes ces tables.
D’accord sue le fond de l’anlyse de Richard.