Cette chronique se veut ironique – et l’est vraiment, fourmillant d’idées saugrenues et drôles. Moment de détente rafraîchissant dans le contexte politique sous tension. Une ironie parfois fondée sur des poncifs ou des options politiques sous-jacentes qui ne sont pas les nôtres, voire sont, selon nous, déplacées. Même en un tel cas, Samuel Fitoussi rend compte de la situation. Le lecteur de JSF en fera la critique si bon lui semble.
Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce 28 octobre. Elle ne manque pas à son ambition de drôlerie ironique reflétant, de fait, l’actualité et chargée de sens. Discutable d’ailleurs… Bonne lecture !
CHRONIQUE – Chaque semaine, pour Le Figaro, Samuel Fitoussi pose son regard ironique sur l’actualité. Aujourd’hui, il imagine les premiers pas de Trump en cas de victoire à l’élection présidentielle américaine.
Lundi 4 novembre 2024. On croyait l’horrible parenthèse populiste refermée, les Américains revenus à la raison. Et pourtant, les 30 électeurs indécis de Pennsylvanie viennent de se prononcer en faveur de Donald Trump – et donc de l’envoyer à la Maison-Blanche. Sur les plateaux télé, l’émotion est palpable. Sur CNN, on pointe du doigt le populisme et la post-vérité, concepts désignant le fait – inexpliqué et mystérieux – que certains citoyens n’adhèrent pas aux valeurs universelles de la gauche. Nous sommes entrés dans la « post-démocratie », analyse une éditorialiste. La défaite de Kamala Harris, explique une autre, montre l’urgence d’une meilleure régulation des fake news et des fake opinions sur les réseaux sociaux. Sur NBC News, on sonde la psychologie des ploucs (« perdants de la mondialisation », « classes moyennes déclassées », « victimes de la désindustrialisation »). Non pas pour justifier – rien, jamais, ne peut justifier de voter Trump – mais pour comprendre. Comprendre, et ainsi permettre à l’élite éclairée de ramener à la raison les égarés. En France, sur le service public, des sociologues de gauche débattent avec des sociologues d’extrême gauche : Fox News ayant contribué à la victoire de Trump, ne serait-il pas « grand temps » d’interdire CNews ?
Mardi 5 novembre. Des millions d’électeurs manifestent pour contester démocratiquement le résultat des élections. À Harvard, les élèves traumatisés ont droit à deux semaines de vacances (trois mois s’ils appartiennent à une minorité ethnique), tandis que les élèves qui souhaiteraient continuer à aller en cours se retiennent de peur qu’on les soupçonne de ne pas être suffisamment traumatisés. À San Francisco, dealers, cambrioleurs et pilleurs s’inquiètent pour leur avenir professionnel, rappellent que le « tout répressif » de l’extrême droite trumpiste n’est jamais la solution, que le vivre-ensemble entre citoyens honnêtes et criminels a toujours fait la richesse de la ville.
21 janvier. Le lendemain de son investiture, Donald Trump appelle Poutine et lui passe un savon. La paix advient. Ensuite, il appelle les pays du Golfe pour leur dire qu’il adore le golf. Le prix du baril de pétrole chute. Enfin, il appelle Pascal Praud et lui demande de moins couper la parole de ses invités. Le soir même, Élisabeth Lévy parvient à finir certaines de ses phrases.
15 février. Les premières lois prennent effet. Harvey Weinstein est gracié. Les taxes douanières sur les importations chinoises sont multipliées par 28. Dans les bouis-bouis asiatiques, le prix d’un bol de riz cantonais passe à 600 dollars. Pour défendre le second amendement, les AK-47 deviennent disponibles en libre accès dans les magasins de jouets. Évidemment, concède le gouvernement, la mesure fera sans doute quelques morts, mais ce sera largement compensé par l’interdiction de l’avortement.
1er mars. Quelques minutes avant une conférence de presse, Trump est pris d’un coup de chaud et commence à suer. Heureusement, grâce aux tampons installés par l’Administration Biden dans les toilettes pour non-binaires, il peut se sécher en toute discrétion.
10 mars. La Chine masse ses navires autour de Taïwan et prépare une invasion. Que doivent faire les forces américaines ? Le monde entier retient son souffle. Dans ces minutes clés, où tout semble suspendu, l’histoire se joue. Le téléphone de Trump ne cesse de sonner : chefs d’état-major américains, généraux de l’Otan, président japonais, secrétaire général de l’ONU et même Emmanuel Macron (qui souhaite parler d’autre chose). Mais Trump est injoignable. Il joue au golf, en Floride, avec son ami Elon Musk. Taïwan devient la Chine.
10 avril. Trump mène une politique étrangère plutôt hostile à l’Iran, au Hamas et au Hezbollah. Il est accusé d’islamophobie par Mawlawi Haibatullah Akhundzada, chef suprême des talibans, par le cheikh Muhammad Ilyas Attar Qadiri, prédicateur pakistanais, et par Dominique de Villepin.
15 avril. Dans le cadre d’un voyage diplomatique, Donald Trump est invité à dîner chez Ursula von der Leyen avec Thierry Breton, Raphaël Glucksmann et Nathalie Loiseau. Il insiste pour pouvoir venir avec quelques amis, et arrive avec Viktor Orban, Boris Johnson, Giorgia Meloni et Nigel Farage. Malheureusement pour Trump, le plan de table ne lui est pas favorable et il se retrouve coincé entre von der Leyen et Breton qui discutent de standardisation des tailles de bretelles à l’échelle européenne.
24 avril. La guerre menée contre les dealers de drogue californiens est infructueuse. Ces criminels semblent être à la tête d’une manne financière liée à des exportations massives de leurs produits. Mais où exportent-ils ? Trump est obsédé par l’affaire. Il harcèle Interpol, Europol, le département de la Justice, la DEA. La CIA réussit à placer un agent double parmi les dealers, celui-ci suit une piste qui le mène jusqu’à… ■ SAMUEL FITOUSSI