Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
« Quelle France plus belle referons-nous sur des tombeaux presque aussi vénérables que des autels ? ».
Jour des morts. Toute la France a communié au pied des tombes dans le souvenir de ceux qui sont tombés pour la patrie. Dans la France envahie et ravagée, le sentiment et l’intelligence du « national » retrouvent toute leur forte réalité. Il faut bien, devant l’ennemi, sentir que ce qui réunit par-dessus tout, c’est le fait de vivre ensemble sur la même terre et de la même terre, avec les mêmes biens spirituels et matériels à défendre. Ainsi, dans cette méditation de novembre, tous les grands intérêts, tout ce qui touche l’homme dans son âme et dans sa vie, ont parlé à la fois à sa raison et à son cœur. C’est ce que Maurras a exprimé admirablement dans une de ces pages où il étend la pensée du ciel jusqu’à la terre et transpose en vérités mystiques les données du sens commun :
« La fête des morts a été célébrée hier avec décence par le gouvernement et l’administration; elle le sera de même aujourd’hui. Surmontant toutes les forces de son principe, au rebours de toutes les pentes qui l’induisent aux manifestations oratoires et aux pompes déclamatoires, le personnel de la République a très bien compris qu’il importait de se taire et de se recueillir. De grandes palmes fleuries ont été silencieusement déposées, au nom de l’Etat et de l’Armée, dans nos trois principaux cimetières, avec l’inscription : « Aux morts pour la Patrie. » Tout le monde a pu s’associer à ce digne hommage. On n’aurait supporté ni la voix des rhéteurs ni le geste des baladins. L’émotion est trop forte pour être mise en phrases et subir de lourdes figures. L’action même est trop grave pour qu’il soit permis d’accorder trop de complaisance aux signes de notre deuil.
C’est au lendemain de la victoire définitive qu’il faudra avoir soin de mêler constamment aux cris de notre joie les larmes longtemps contenues. Ces larmes, rendues plus cruelles par la pensée de tout le beau sang qu’elles représentent, couleront alors librement. Elles couleront pour couler. Elles couleront pour soulager les poitrines, mais aussi pour faire sentir à tout le pays délivré le prix, le poids sacré, le terrible coût du bonheur de sa délivrance, la dette immense contractée envers la générosité de nos morts. Pour tant de vies données dans l’ivresse de l’héroïsme, que sauront rendre les survivants ? Quel effort d’activité, quel élan de prospérité nationale, quelle merveille de concorde, de discipline et d’amour ? Quelle France plus belle referons-nous sur des tombeaux presque aussi vénérables que des autels ? Pensons aux bienfaits à répandre sur les familles de ces officiers, sous-officiers et soldats. Pensons aux réformes sociales, à l’union des classes, à la concorde religieuse et civique, à l’organisation de la paix intérieure, de la sécurité extérieure, à la mise en valeur des forces, de toutes les forces, à la constriction des éléments diviseurs, à l’usage attentif, scrupuleux et juste des autres, à la suppression des éléments parasites et des exploiteurs ! Le deuil universel sera alors entre nous le plus grand des intercesseurs et, pour chacun de nous, le meilleur, le plus noble des stimulants. Tant d’autres ayant répandu le pur sang de leurs veines pour la patrie, qui pourra hésiter à se tuer de dévouement, de travaux et de peines, pour satisfaire un jour à ce que pourront exiger ces ombres magnanimes de héros décharnés, meurtris et sanglants ? Hier, c’est au nom d’une patrie un peu abstraite que nous sollicitions les sacrifices désirés par la vigilance et la prévoyance. Le grave cortège des morts, appuyant et motivant nos adjurations, sera irrésistible demain. » ■ JACQUES BAINVILLE
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