Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
« Cette guerre avec la Turquie montre bien que la France est entraînée par ses alliances dans un tourbillon qu’elle ne dirige pas. »
Quelle absurdité ! Nous voici, à cette heure, en guerre avec la Turquie. Cela fait la troisième puissance avec laquelle en trois mois nous aurons rompu. Et quand on pense que la République est un gouvernement qui passait pour avoir la supériorité et le mérite de maintenir la paix !
Cette guerre avec la Turquie montre bien que la France est entraînée par ses alliances dans un tourbillon qu’elle ne dirige pas. La Russie va prendre un bon morceau de l’Arménie. L’Angleterre a déjà annexé Chypre, pour commencer, et supprimé les derniers liens qui rattachaient l’île au sultan. Elle s’emparera probablement de l’Arabie. Les Italiens, avec leur art de gagner à tout coup, conserveront le Dodécanèse. Nous, j’espère bien que la Syrie ne nous échappera pas – puisque, plus que jamais, elle s’offre et se donne. Mais notre protectorat en Orient, ce magnifique héritage d’influence politique, religieuse et intellectuelle, comment survivra-t-il à ces partages et à la chute de l’Empire ottoman ?
Tiraillée en sens divers, toujours empêchée de suivre une idée jusqu’au bout, la diplomatie républicaine avait cru bien faire, il y a huit mois, en autorisant un prêt de 4000 millions à la Turquie. J’entends encore Ph…, un des négociateurs de l’emprunt, m’en expliquant le mécanisme ingénieux. Si nous semions l’or français en Turquie, c’était pour mieux récolter. Les commandes allaient affluer chez nos métallurgistes, etc… Cependant, c’est le général Liman Von Sanders (Photo avec Mustafa Kemal) et la mission militaire allemande installés à Constantinople qui ont eu le maniement de nos millions, tandis que la Russie et l’Angleterre, dont les visées sont bien différentes des nôtres dans l’Empire ottoman, forment des projets dont nous voici conduits à n’être que les serviteurs… ■ JACQUES BAINVILLE
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