Par Louis-Joseph Delanglade*.
S’il faut espérer que les souffrances de l’Ukraine cesseront au plus vite, on doit quand même admettre qu’exactions et crimes de guerre ne datent pas d’aujourd’hui et qu’on devait bien se douter que l’entrée de l’armée russe sur le territoire ukrainien ne serait pas une partie de plaisir. Dans un emballement émotionnel, la presse s’agite autour de la question de savoir si et quand seront jugés les « coupables », oubliant que, de toute façon, ce sont les vainqueurs qui font des procès aux vaincus. Quant aux sanctions très dures prises contre la Russie, on peut aussi les interpréter comme un aveu de faiblesse puisqu’il s’agit pour les « Occidentaux » de compenser leur impuissance politique et de pallier l’absence, voulue, de toute réaction militaire. Tout cela ressemble à une forme de défaite annoncée desdits « Occidentaux ».
M. Poutine a-t-il eu tort de lancer sa campagne d’Ukraine ? C’est possible, mais on ne le saura qu’une fois la chose achevée, au moins dans sa phase actuelle. Attendons donc la fin. Quels sont les buts de guerre de M. Poutine ? On ne le sait pas vraiment, mis à part les spécialistes et experts auto-proclamés qui défilent sur les chaînes d’information en continu. Peut-être, et ce serait assez cohérent, poursuit-il un objectif territorial lui assurant le Donbass et la mer d’Azov dans leur intégralité. Pierre Haski peut dire fort justement (pour une fois) : « Une défaite ukrainienne sur ce front permettrait à Vladimir Poutine de crier victoire […] et serait un désastre pour l’Ukraine et donc pour l’Otan. » (France Inter, 8 avril). D’où cette triple demande de l’Ukraine en marge de la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’Otan (Bruxelles, jeudi 7) : « Des armes, des armes et des armes ! »
Pour les détracteurs de M. Poutine, une telle victoire reviendrait à satisfaire son obsession sécuritaire qualifiée d’« impériale et expansionniste ». Il est vrai qu’il semble – mais peut-on vraiment le lui reprocher ? – très soucieux de la sécurité de la Russie. Et il n’a pas la mémoire courte. Lorsque, dans les années 90, la Russie « succède » à l’U.R.S.S., les Etats-Unis ont d’abord, sous l’impulsion de « vétérans » de la guerre froide comme MM. Kissinger et Brzezinski, une attitude assez réaliste : un élargissement de l’Otan empêcherait toute forme de relation russo-américaine pacifique et maîtrisée. Mais rien ne fut fait pour aller dans ce sens, au contraire même, puisqu’avec M. Clinton, est fait le choix « triomphaliste » d’une Amérique sûre d’elle-même et dominatrice : la conception occidentale (démocratique, libérale, mondialiste…) semble devoir l’emporter partout et il n’y a qu’à pousser ses pions.
Du coup, l’élargissement de l’Otan est relancé et, concernant l’Ukraine, aboutit à la désastreuse déclaration du sommet de Bucarest (avril 2008) : on se félicite des aspirations euro-atlantiques de l’Ukraine et de la Géorgie mais leur adhésion est différée en raison de l’inquiétude suscitée à Paris et Berlin par les propos très clairs de M. Poutine ( « L’apparition d’un bloc puissant à nos frontières est considérée en Russie comme une menace directe contre notre sécurité. »). Mais le mal est fait et la porte entrouverte aux complications à venir.
On peut sanctionner et vilipender la Russie. Ce qui sera plus difficile, le jour où les armes se tairont, c’est d’ignorer cette grande puissance européenne qui possède le plus gros stock de têtes nucléaires (8.500, paraît-il) et qu’il sera donc dangereux de la traiter comme une sorte de super-Corée du Nord. En fait, il faudra bien en venir avec elle à une (re)négociation globale sur la sécurité en Europe. Dans le meilleur des cas, on aura perdu une quarantaine d’années et l’Ukraine en aura fait les frais. ■
** Agrégé de Lettres Modernes.
Les Lundis de Louis-Joseph Delanglade.