Ce registre de nations reconstituées se retrouve partout dans le monde entier.
Par Michel Guénaire.
Cette tribune de Michel Guénaire
Nous assistons à la fin du cycle de la mondialisation, laissant la place à des nations reconstituées cherchant les souverainetés par lesquelles elles maîtriseront leur destin : politique, économique voire démographique.
TRIBUNE – L’élection de Donald Trump signe la fin de l’ère néolibérale, dans laquelle le peuple fut trop longtemps opposé à des élites mondialistes, estime l’avocat et essayiste Michel Guénaire. Selon lui, les nations doivent recouvrer leur souveraineté pour établir un nouvel équilibre mondial plus horizontal.
Michel Guénaire est avocat d’affaires et essayiste. Dernier livre paru : Après la mondialisation. Le retour à la nation (Les Presses de la Cité, 2022).
En 1831, Alexis de Tocqueville avait visité l’Amérique pour «voir là ce que c’est qu’une grande république». Très vite, il avait jugé que la démocratie qui se développait outre-Atlantique annonçait un état social bien au-delà d’un régime politique. L’égalité des conditions qu’il observait dans la société était la promesse de l’avènement de la démocratie américaine. Cette égalité, ignorée de l’Europe monarchique du XIXe siècle, était dictée par la souveraineté du peuple. «Lorsqu’on veut parler des lois politiques des États-Unis, c’est toujours par le dogme de la souveraineté du peuple qu’il faut commencer», écrirait Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. C’est elle qui généra en effet des mœurs nouvelles, une participation politique féconde, l’esprit de la démocratie américaine.
Deux siècles après, il faut trouver l’expression de cette souveraineté dans l’élection forte, pleinement reconnue par les démocrates, de Donald Trump. Les conditions du débat furent certainement éloignées de l’esprit de départ, puisque tant de paroles malheureuses, propos véhéments et attaques personnelles, ont sali la campagne électorale qui s’achève. Le résultat du scrutin n’en est pas moins indiscutable. La grande république américaine a retrouvé son expression souveraine.
C’est qu’elle ne pouvait plus supporter l’inégalité des conditions qui avait retourné le rêve américain au cours des trente dernières années, par la faute de la doctrine néolibérale du marché qui avait fait basculer des millions d’Américains dans la pauvreté. En 2008, la crise des subprimes avait sonné comme un premier avertissement en jetant à la rue les détenteurs de crédits immobiliers qui se trouvaient dans l’incapacité de pouvoir répondre au renchérissement soudain du coût de leurs crédits.
Cette inégalité a révélé la coupure fatale du pays entre une élite mondialiste, qui allait continuer de profiter seule de la création des richesses, et le peuple. En 2016, le peuple britannique avait prévenu des conséquences d’une telle coupure par son vote pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il faut croire que le Brexit, qui avait choqué les gens de la City ne comprenant pas ce vote alors qu’ils l’avaient d’une certaine manière fabriqué par leur indifférence à l’égard du reste du pays, n’avait pas éclairé l’élite américaine.
Par-dessus tout, les Américains n’aiment pas la politique étrangère. Ils la jugent, au sens propre, étrangère à l’intérêt de leur nation. Lors des consultations électorales, ils s’en désintéressent. De ce point de vue, la volonté des deux présidents démocrates, Barack Obama et Joe Biden, de ne pas se retirer des affaires du monde et de continuer à les gérer de toute autorité depuis Washington, notamment à travers l’Otan, en provoquant des guerres et les milliards d’aides qui les accompagnent, n’a laissé de désarçonner le peuple américain. La crise des injustices et des violences la minant, jointe à l’aventure des guerres dispendieuses, ont été la négation de ce qu’était et de ce que voulait au plus profond d’elle-même la société américaine. Les Américains ont choisi Donald Trump pour en relever le défi par un retour à leur nation. La leçon vaudrait-elle seulement pour l’Amérique ?
Il y a aujourd’hui deux voies du progrès des peuples dans le monde : celle s’inscrivant dans l’ordre global, qui voulut à la chute du mur de Berlin convertir l’ensemble des nations à des standards d’organisation néolibérale, et celle retenant l’identité nationale, à partir de laquelle chaque peuple cherche à protéger ses intérêts. La première suivait un déclin progressif, la seconde lui succède brutalement. Nous assistons à la fin du cycle de la mondialisation, qui laisse la place à des nations reconstituées cherchant les différentes souverainetés par lesquelles elles reprendront en mains leur destin : souveraineté politique bien sûr, mais également économique voire démographique. Le monde n’est plus un espace sans frontières, ni limites de souveraineté entre nations.
Ce registre de nations reconstituées se retrouve partout dans le monde entier. Il n’est qu’à observer l’évolution des grands États regroupés dans l’organisation des Brics, qui viennent de se réunir en Russie et dont le cercle croît d’année en année. Il va de pair avec des États régaliens également de retour, sollicités par leur population pour les protéger de l’intérieur comme à l’extérieur. Ce registre est resté inconnu en Occident, toujours attaché au prosélytisme mondialiste, hormis aux États-Unis désormais. Et le réveil américain place ainsi devant ses responsabilités la vieille Europe, qui doit à présent choisir entre sa construction bureaucratique ou être l’Europe des nations. Les hommes comptent moins que les tendances historiques. La victoire de Trump les dépasse. Il n’y aura plus d’ordre inféré du monde global, avec des préjugés et une police de la pensée verticale, mais un équilibre du monde que sauront trouver des nations reconstituées sachant se parler directement. ■ XMICHEL GUÉNAIRE