« Les marchands marchandent sur un (plus ou moins) libre marché. Mais vouloir étendre le contrat aux relations entre médecin et patient, maître et élève, parents et enfants, mari et femme, ce débordement est une folie. Une folie de juriste. »
Par Michel MICHEL.
Réaction à notre publication des réflexions d’Aristide Ankou sur l’affaire de Mazan : Société ▬ Quand le consentement devient une idéologie.
Ce texte admirable montre comment l’idéologie du contrat s’applique de façon surréaliste dans des domaines où elle est la plus impertinente.
Le « consentement » est au domaine sexuel ce que le contrat est au domaine du marchandage. Les marchands marchandent sur un (plus ou moins) libre marché. Mais vouloir étendre le contrat aux relations entre médecin et patient, maître et élève, parents et enfants, mari et femme, ce débordement est une folie. Une folie de juriste.
On ne contracte qu’avec un « lointain » ; le contrat est une mise à distance sous l’arbitrage possible d’un tribunal et de la force publique. Pour contracter, il faut trouver la « bonne distance ». On ne contracte pas avec le trop « prochain ». On contracte avec le diable, pas avec le bon Dieu (« plus près de moi que ma veine jugulaire »).
Certes, l’amour est bien faillible dans ce monde d’après la chute – corruptio optimi pessima est – mais le contrat est à proprement parler un « tue-l’amour ». La prostitution est régie par une sorte de contrat, pas l’état amoureux.
Pour bien contracter, il faut que la personne humaine soit réduite à l’état « d’individu », monade rationnelle sans lien organique, sans génération, sans identité. Mais dès que l’affectif, le passionnel, le pulsionnel, le charnel se mêlent à cette raison, le contrat ne marche plus bien. C’est également vrai pour l’honneur, l’éthique, et toutes les modalités du « dépassement de soi ». Supériorité, pour un « homme vrai », de la « vendetta », du crime d’honneur ou du duel sur le procès…
Abus de droit ? Abus du droit. Ne nous sentons-nous pas ridicules quand, voulant importer un logiciel, nous cochons une case reconnaissant que nous avons pris connaissance et approuvons des règles qui nous lieraient à une obscure « startup », alors même que, pour notre hygiène mentale, nous avons ignoré les 20 pages de jargon pour juristes qui défilent ?
Tous les secteurs de la société moderne sont de plus en plus régis par les juges. Tristes fictions, mensonges auxquels aboutit le totalitarisme des « parle-menteurs ». ■ MICHEL MICHEL
Maître de conférence en sociologie.
Derniers ouvrages parus …
Cliquer sur les images.