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Cet article intéressant, auquel il n’y a rien à redire ni à ajouter, est paru le 18 novembre dans Boulevard Voltaire. Disons seulement qu’il nous a semblé très opportun d’y lire la longue citation de Gustave Thibon qui le conclut.
Le bon sens paysan n’est pas mort, il revient en force. Sur son tracteur, un agriculteur a écrit en toutes lettres : « N’importons pas ce qu’on interdit en France. » Un autre a accroché, à l’avant, un mot similaire : « N’importons pas l’agriculture que nous ne voulons pas. » Un autre revendique simplement : « Agriculteur, je veux vivre de mon métier. » Mention spéciale pour cette adresse aux mondialistes fanatiques : « De leur rêve, on en crève. »
Ils sont le visage de la France, les héritiers de ceux qui travaillent nos terres depuis des siècles, les vigies du « labourage » et du « pâturage » que chérissait le grand Sully, plus lucide que nos gouvernants. Pour un fils d’agriculteur-éleveur, comme celui qui signe ces lignes, l’étranglement de cette profession d’hommes libres a un sens particulier. Car ces derniers incarnent la France du « non », la France qui résiste aux aberrations des réglementations imposées par l’Europe, aux traités signés par l’UE dans lesquels l’agriculture – l’élevage, en particulier – joue systématiquement la variable d’ajustement, du non aux quotas imposés par les fonctionnaires européens, aux importations massives qu’ils permettent.
Le monde du textile, puis celui de l’acier, puis désormais celui de l’automobile, entre autres, ont cédé sous les coups de boutoir de la mondialisation forcée. Les paysans, eux, tiennent tête. Ils font la course contre un univers entier affamé de parts de marché en France, mais quand leurs concurrents courent en short, les nôtres participent au 100 mètres… en bottes de ferme ! Des bottes emplies des lourdes tracasseries que produit à jets continus notre administration dans une concurrence morbide et sans fin avec l’administration européenne : main-d’œuvre, normes, taxes, faux frais, coûts des intrants – tout est plus cher qu’ailleurs. Résultat : sur les étals, les Français boudent les produits de leur terroir pour préférer ceux qui viennent d’autres pays – question de pouvoir d’achat. Comment les blâmer ?
Du deuxième au sixième rang
Cet univers agricole paralysé, ce monde dur au mal et amoureux de son indépendance, on le maintient artificiellement, on le subventionne, contre son gré. « Les subventions d’exploitation versées en 2021 représentent en moyenne 38 % de l’EBE (excédent brut d’exploitation) pour les bénéficiaires, explique benoîtement l’INSEE. Sans subvention, 18 % des exploitations auraient un EBE négatif. ».
Pas un paysan ne se satisfait de ce système : tous demandent des prix honnêtes, à la hauteur de la qualité fournie. Le résultat des technocrates mondialistes et européistes qui « pensent » l’agriculture est brillant. Alors que la Suisse entretient une agriculture plutôt prospère, la France tombe. En l’an 2000, l’Hexagone était encore au deuxième rang des pays exportateurs de produits agricoles dans le monde, avec près de 8 % de parts de marché. Le pays de Sully n’est plus qu’au sixième rang, en 2023, avec 4,5 % de parts de marché. Selon les douanes françaises, « le solde agricole reste excédentaire, mais à un niveau près de quatre fois moindre qu’en 2022 (1,2 milliard d’euros, contre 4,8 milliards en 2022) ».
L’agriculture meurt parce que ceux qui nous gouvernent au sommet de l’État et au sommet de l’Europe la considèrent comme une branche négligeable de l’économie. L’agriculture, combien d’emplois ? Sauf que l’agriculture, c’est plus de la moitié de la superficie de la France (28 millions d’hectares sur 55 millions), c’est la survie de villes et de villages, l’emploi de dizaines de professions connexes (maçons, couvreurs, vendeurs d’aliments, de matériel agricole, etc.) et, accessoirement, un enjeu évident et majeur de souveraineté. Il faut donc poser la question. Qui a acculé nos agriculteurs à se battre pour leur survie financière ? Qui a fait de la ferme France, enviée comme l’étaient nos centrales nucléaires, ce radeau de la Méduse étranglé par une mondialisation qui fera la peau du dernier des paysans français ?
« Le sentiment du patrimoine »
Les politiques doivent prendre leur part, notamment ceux qui, soigneusement installés dans les bureaux chauffés de la Commission européenne, à l’abri de salaires confortables, ont transformé un métier de liberté farouche en cet enfer administratif, chargé de misère financière et morale. Au passage, ces technocrates étouffent l’âme de la France, car le paysan n’est pas un travailleur interchangeable comme les autres.
« Cette idée d’un bien à sauver et à transmettre est à la base du code d’honneur paysan, écrivait le philosophe paysan Gustave Thibon, dans Paysages du Vivarais. Elle s’oppose à toutes les tentations de l’individualisme : l’homme, anneau dans une chaîne, sent obscurément qu’il doit résister jusqu’au bout pour que la chaîne ne se brise pas. C’est cet instinct de continuité qui courbe jusqu’à la mort le vieux paysan sur la terre et lui inspire cette horreur quasi physique de tomber à la charge de ses enfants ou de ses proches. Et c’est de lui que procède aussi ce savoir-vivre dont la délicatesse et la profondeur débordent à l’infini le savoir-faire. Tout dans la conduite de l’existence, depuis le menu quotidien jusqu’au choix d’une épouse, est dominé par ce sentiment du patrimoine qui, comme le flambeau ambulant des coureurs antiques, lie l’individu à son rang et le transporte au-delà de lui-même. » Mais l’honneur paysan, sa délicatesse, sa profondeur, ce sentiment du patrimoine, tout cela a dû échapper à Emmanuel Macron, Pascal Canfin et Ursula von der Leyen. ■ MARC BAUDRILLER
Le monde paysan selon Gustave Thibon est mort depuis longtemps. Les paysans sont plus entrepreneurs de taille variable qu’autrefois.
il existe une notion qui s’impose à tous : le prix. Il vaut mieux s’interroger sur l’environement économique de la production agricole que de gloser sur « l’honneur paysan ». Si d’autres pays produisent moins cher, demandons nous pourquoi. L’exploitation familiale de 50 ha, face aux fermes de plusieurs centaines, voir milliers d’ha ne sera jamais concurrentielle. Si d’autres pays n’ont pas les mêmes taxes sur les salaires idem. Conserver notre souveraineté alimentaire, nos paysans, certes, mais nier la réalité économique ne mène à rien, si ce n’est à des réveils encore plus douloureux.