« Nous subissons ici l’échec de l’intégration et de l’assimilation de certaines communautés et nous glissons vers une guerre civile à bas bruit. Nous ne pourrons pas faire l’économie des tribulations à venir. »
Par José D’ARRIGO.
Une conférence de pleine actualité donnée à Marseille qui a toujours tenu un rôle important et singulier dans la suite lointaine des rapports entre France et Algérie à toutes les époques et encore aujourd’hui : c’est ce dont traite cet article de José D’Arrigo.
Lorsqu’on assiste à certaines chamailleries de cour d’école à l’Assemblée nationale et qu’on écoute d’une oreille distraite les sempiternelles jérémiades de nos députés, on en vient parfois à assimiler leur propagande partisane à de la musique d’ascenseur. Un bruit lancinant, régulier, auquel on finit par ne plus faire attention tant il est dérisoire et convenu.
Lorsqu’on écoute l’ancien député socialiste Philippe San Marco, c’est exactement l’inverse. On prête l’oreille. Pourquoi ? Parce que cet homme de conviction a délibérément sacrifié sa carrière politique pour dire la vérité, ou parfois même leurs quatre vérités à ceux qui déshonorent la politique, c’est-à-dire les gameleurs, les carriéristes et les escrocs. Des catégories qu’on retrouve dans tous les camps.
En s’opposant frontalement aux personnages qui avaient mis la ville de Marseille en coupe réglée dans les années 80, le professeur Philippe San Marco n’a certes pas choisi la voie de la facilité car il aurait pu, lui aussi, fermer les yeux. Il ne l’a pas fait, ce qui lui confère aujourd’hui l’aura particulière de l’honnête homme qui privilégie l’objectivité et la vérité dans ses livres et ses conférences.
Le lieutenant-colonel Constantin Lianos, président de l’association nationale des anciens combattants et amis de la Légion Etrangère, a donc été une nouvelle fois bien inspiré d’inviter l’ancien député et Premier adjoint de Gaston Defferre à la mairie de Marseille à s’exprimer sur son dernier livre intitulé : « La France en Algérie : 1482-1945 ».
Le général de corps d’armée Christian Piquemal, ancien commandant de la Légion Etrangère, le général Jean-Paul Andreoli et le colonel Daniel Moine, adjoint au maire du 9eme et 10eme arrondissement de Marseille, délégué à la vie combattante et aux affaires militaires ne s’y sont pas trompés non plus puisqu’ils ont assisté au premier rang à l’intervention de Philippe San Marco, ancien professeur associé à l’école Normale Supérieure de la rue d’Ulm, ancien directeur de cabinet des préfets de la Nièvre, du Val de Marne, de l’Orne et du Pas-De-Calais.
La qualité essentielle de l’intervenant, c’est qu’on ne peut pas lui raconter d’histoires à dormir debout : il connait parfaitement les rouages de la haute administration et les coulisses de la politique. Et il a eu le courage de fuir les errements de ce « milieu » politique qui désespère un grand nombre de nos compatriotes à l’heure actuelle. Sa quête d’idéal rappelle celle de Jean-Paul Giraud, vice-président socialiste aux finances du conseil général de l’Isère et adjoint aux finances du maire de Grenoble durant une trentaine d’années, qui m’a fait cette confidence lorsqu’il a été recruté en qualité de directeur de cabinet par Eugène Caselli, fraichement élu à la tête de la communauté urbaine de Marseille en avril 2008 :
« Je suis socialiste et je suis Marseillais. Mais je ne suis pas un socialiste marseillais… »
Voilà une observation ironique que de nombreux militants sincères, écœurés par les magouilles marseillaises du parti socialiste (fausses cartes d’adhérents, favoritisme, bourrage massif des urnes en 1983, fraudes dans l’attribution des marchés publics, fausses factures, etc.) auraient pu reprendre à leur compte. De fait, le professeur Philippe San Marco aurait pu fort bien nous glisser à l’oreille : « Je suis socialiste et je suis Marseillais. Mais je ne suis pas un socialiste marseillais… » Son itinéraire, au fond assez chaotique pour un homme qui aurait pu être aisément ministre de la République s’il avait pris quelques accommodements avec sa déontologie politique, ressemble à celui d’un Arnaud Montebourg, autre pourfendeur de larrons en foire, qui a dit sur le perron de son dernier ministère : « Il faut savoir quitter la scène quand on ne sait pas jouer plus longtemps la comédie ».
M. San Marco n’a donc rien caché sur les relations tumultueuses entre la France et l’Algérie. Si vous ne deviez retenir qu’un seul fait de cette magistrale conférence de près de trois heures, c’est la domination ottomane de trois siècles sur la régence d’Alger. Comment s’y sont pris les Turcs ? Toujours la même recette : la carotte – discussion et appui aux tribus – et le bâton tenu d’une main de fer par 5000 janissaires – décapitations ou étranglement pour les responsables qui ne parvenaient pas à faire payer l’impôt aux indigènes.
Les Français ont eux aussi employé la force mais pas toujours à bon escient et ils ont commis des erreurs politiques qui ont aiguillonné la vengeance des indigènes. Quelles erreurs ? Ils n’ont jamais vraiment accordé la citoyenneté française aux Arabes qui étaient souvent considérés comme des sous-citoyens. Ils n’étaient pas des Français à part entière, comme les colons, jouissant des mêmes droits civils et civiques, mais des Français entièrement à part. On connait le résultat…Le seul moyen de coloniser un pays, Napoléon III l’avait parfaitement compris, c’est d’en respecter les mœurs, les habitudes, et la religion. Or, depuis que l’étendard français a pris la place du croissant en Algérie, la loi, la justice et la raison ne règnent pas en maître, mais plutôt l’ineptie, la fraude et la concussion. Ce régime d’arbitraire et de bon plaisir ne pouvait qu’aboutir à la catastrophe finale de la guerre d’Algérie entre 1954 et 1962.
Certes, ce sont bien les Français qui ont mis un terme à l’esclavagisme, aux pirateries barbaresques des corsaires, aux guerres de courses en Méditerranée et sur l’Atlantique, aux crimes sordides des janissaires, mais ils n’ont jamais su vraiment organiser leur pouvoir en Algérie. En l’espace de vingt jours, nos armées ont détruit une puissance « qui fatiguait depuis trois cents ans toutes les nations civilisées ». Certes, ils ont construit de nombreuses écoles, lycées, collèges, des hôpitaux, des dispensaires, des voies ferrées, des routes carrossables et des champs labourables. Mais M. San Marco n’aime pas évoquer les « bienfaits » et les « méfaits » de la colonisation qui ne satisfont que les adeptes du « bilan contre bilan ».
Il est formel : il n’y a eu aucun génocide en Algérie, contrairement à ce que croient les jeunes générations issues de l’immigration maghrébine. Les indigènes n’ont jamais servi de « chair à canon ». Comme le disait Tocqueville : « Il faut renoncer à un système qui consiste à planter des hommes comme on plante des asperges ». Le capitaine Villot le disait sans ambages : « De deux choses l’une, ou il faut exterminer les Arabes, ou il faut être juste avec eux. Si on veut les laisser vivre, il ne faut pas les dépouiller, si on veut s’emparer de leurs terres, il me paraît insensé de les laisser vivre près des biens qu’on leur a enlevés ».
Les témoignages sur les spoliations, les confiscations, l’usure, les abus abondent. Et comme le dit Montesquieu : « le plus dangereux des despotismes, c’est celui qui s’abrite sous le manteau de la légalité ». Pourra-t-on un jour solder ce passé vécu comme un passif. « Oui, estime M. San Marco, mais il y faudra du temps et une grande diplomatie. La paix mémorielle, ça se passe dans les cœurs. Or le pouvoir algérien actuel ne vit que de l’anti-France. Il faut supprimer tous les gestes de repentance. La France n’est pas condamnée à se faire humilier en permanence. La manipulation de notre passé colonial n’a pas pour objectif de rétablir une vérité accessible à tous, mais vise à nous faire honte de nous-mêmes pour nous inciter à baisser les armes. »
Le général Jean-Paul Andreoli a salué en conclusion cette magistrale conférence du professeur San Marco, « remarquable par sa hauteur de vue et la qualité de sa documentation ». Pour lui, l’histoire entre les deux pays, au lieu de se cantonner à de pacifiques rapports commerciaux, est pleine d’incompréhensions et de crispations. « Nous subissons ici l’échec de l’intégration et de l’assimilation de certaines communautés et nous glissons vers une guerre civile à bas bruit. Nous ne pourrons pas faire l’économie des tribulations à venir. »
Le général Andreoli a rappelé avec sa sobriété habituelle que la guerre de conquête avait été « féroce » avec des « enfumages » et des « liquidations de villages ». Ces souvenirs fâcheux ont favorisé l’émergence d’une rébellion et d’une aspiration à l’indépendance dont nous n’avons pas fini de payer le prix. « On a raté notre sortie d’Algérie, a-t-il estimé, et la démographie ne plaide pas en notre faveur. Nous sommes encore les plus forts mais elle travaille pour les Algériens. Il faut dire toute la vérité aux jeunes générations car ils ne savent rien et on ne leur apprend rien ». ■ José D’ARRIGO
José D’Arrigo est journaliste professionnel depuis le 1er février 1973. Il a longtemps écrit pour Le Méridional, et pour le Figaro. Il est aussi auteur d’ouvrages sur la mafia marseillaise et biographe de Zampa. Depuis 2020, il est rédacteur en chef du Méridional numérique