« Les optimistes voulaient alors croire que l’homme du vieux monde surprendrait et déjouerait une classe politique d’amateurs inexpérimentés. » »
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COMMENTAIRE JSF – Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce dernier samedi (7 décembre). Elle annonce sans ambages la faillite d’un Système, la chute d’un Régime à l’agonie. Elle date nommément de la Révolution française l’instabilité politique chronique du Pays. Elle pointe la République elle-même. À part lancer un appel à la révolte, que voudrait-on qu’elle dise de plus ? Il y aura toujours des mécontents et des insatisfaits parfaitement impuissants par ailleurs à réaliser leurs vœux. L’Histoire avance sans eux. L’avenir est à ceux qui sauront se saisir des réalités du Pouvoir à la faveur de circonstances opportunes. À ce jour, la République française, comme le voit bien Bock-Côté, trouve encore quelques moyens de prolonger son agonie. Il faudrait éviter que l’après se réduise aux habituels replâtrages. Il est vrai que la situation du Pays est si grave qu’ils ne seront peut-être plus possibles au prochain accès de vrai chaos. Et que les solutions à ce chaos seront à chercher ailleurs. Alors pourra se dessiner avec quelque sérieux et crédibilité la figure du Prince chrétien.
CHRONIQUE – On parle depuis des années d’une crise de régime en l’annonçant toujours pour demain, sans comprendre que nous y sommes déjà, et depuis un certain temps.
« Le radeau de la République sauve les rescapés d’un régime agonisant, s’accrochant jusqu’à la fin à leurs postes, «
C’était il y a quelques semaines à peine. La nomination de Michel Barnier à Matignon était présentée comme une nouvelle providentielle dans une France peinant à former son gouvernement. Les optimistes voulaient alors croire que l’homme du vieux monde surprendrait et déjouerait une classe politique d’amateurs inexpérimentés.
La sage droite aux cheveux blancs allait dominer le jeune centre glabre et arrogant et renvoyer dans la cour de récréation la gauche hirsute, en plus d’amadouer les insurgés du RN. Les pessimistes modéraient les attentes de tout le monde en rappelant que même le meilleur des hommes ne pouvait survivre à une France déformée politiquement en trois blocs irréconciliables. L’épreuve du budget lui serait fatale. Les pessimistes ont eu raison.
Mais on aurait tort de ne pas voir ce qui se joue derrière la surface des événements. On parle depuis des années d’une crise de régime en l’annonçant toujours pour demain, sans comprendre que nous y sommes déjà, et depuis un temps. Elle se radicalise désormais. À son origine, on trouve évidemment une rupture entre le système politique et la population. Des pans de plus en plus nombreux de la population furent renvoyés à l’extérieur d’un cordon sanitaire distinguant les citoyens vertueux des gueux scrofuleux, se rendant coupable de cette suprême incivilité consistant à mal voter.
Régime agonisant
Mais que faire quand le peuple se comporte mal dans les urnes ? À défaut de l’empêcher de voter, on neutralisera son vote, on le congèlera, en le rendant politiquement inopérant, le système électoral étant détourné de l’intérieur pour produire des résultats distordant radicalement les préférences populaires. C’est ce qu’on appelle pompeusement le front républicain, qui ne peut désormais produire toutefois qu’une majorité négative, engendrant une forme de Frankenstein politique, fait du rapiéçage des rejetés d’un système en faillite.
Le radeau de la République sauve les rescapés d’un régime agonisant, s’accrochant jusqu’à la fin à leurs postes, cette crispation oligarchique ayant l’audace de se traduire dans le langage de l’État de droit. Étrange confusion idéologique, où se percutent les deux figures d’une république antipopulaire et d’un peuple antirépublicain.
La censure du gouvernement Barnier a-t-elle jeté la France, dans le désordre ? Ne doit-on pas constater plutôt que toute fin de régime ravive la pulsion du chaos, et le désir d’en finir avec un ordre vermoulu, normalement étouffé par la vie politique ordinaire ?
La situation était d’autant plus radicalisée qu’il existait et existe toujours une majorité nationale autour des questions régaliennes. L’immigration sera probablement à la Ve République ce que la guerre d’Algérie a été à la IVe. C’est parce que la Ve République aura été incapable de répondre à une révolution qui correspond à l’échelle de l’histoire à une forme de contre-colonisation déstructurant la France dans ses profondeurs, en plus de modifier son substrat démographique, qu’elle est maintenant paralysée et au seuil de l’effondrement.
Mais nous y revenons, c’est plutôt la crise budgétaire qui a précipité la chute du gouvernement, car elle fixait une échéance concrète et indépassable radicalisant les divisions insurmontables du pays, provoquant une faillite de la mécanique institutionnelle.
Compétents autoproclamés
Longtemps, la crise budgétaire aussi fut annoncée, sans que personne n’y croie vraiment. Les critiques les plus sévères de Michel Barnier n’avaient pas tort de lui reprocher d’avoir présenté un budget socialiste. Pourquoi n’a-t-il pas pu croire faire autrement ? On y verra l’effet d’une dérive idéologique sur le long terme qui a vu la classe dirigeante confondre le sens des responsabilités avec un étatisme vampirisant toujours plus les forces productives de la nation.
Les compétents autoproclamés ont enfermé la France dans un système la conduisant à la décadence financière. Quant au lien, pourtant évident, entre l’immigration massive et la crise des finances publiques, il fut mentalement censuré, à moins d’être ramené à la seule question de l’AME. La vraie censure des cinquante dernières années fut celle du réel.
La censure du gouvernement Barnier a-t-elle jeté la France, dans le désordre ? Ne doit-on pas constater plutôt que toute fin de régime ravive la pulsion du chaos, et le désir d’en finir avec un ordre vermoulu, normalement étouffé par la vie politique ordinaire ? On en revient à la mécanique institutionnelle. La Ve République était censée assurer la stabilité des institutions et la capacité d’action du gouvernement. Mais c’est à croire qu’un peuple est toujours hanté par ses démons, et la France renoue ainsi avec l’instabilité politique structurelle qui marque sur la longue durée sa vie politique depuis la Révolution.
Et c’est aujourd’hui la Constitution qui enferme la France dans la crise politique, en plus de radicaliser cette dernière, en empêchant une nouvelle dissolution, et en transformant, du point de vue du commun des mortels, l’Assemblée nationale en théâtre de fous s’écharpant dans ce qui pourrait bien être pensé comme une forme de suicide politique collectif. ■ MATHIEU BOCK-CÖTÉ
Barnier a voulu gouverner par le compromis alors qu’il aurait fallu la rupture mais la classe politique se serait levée comme un seul homme; il n’était pas en son pouvoir de faire appel directement au pays réel par un référendum. La Constitution de la dernière chance voulue ,par le général De Gaulle a achoppé au premier détenteur du pouvoir qui n’avait pas la taille, ni la dignité nécessaires à l’emploi, ce qui était inévitable ( disons au deuxième ou au troisième, en fait la dégradation fut progressive). Elle a pu faire illusion quelque temps. On nous présentera peut être une VIème république qui sera censée corriger les défauts des précédentes avec les mêmes résultats. Si elle est soumise au référendum comme la loi l’y oblige, elle sera heureusement rejetée.