TikTok, Bruxelles et les urnes : les paradoxes d’une élection – Ingérences et annulations : le feuilleton électoral roumain…
Par Radu Portocala.
« Maintenant, la politique internationale doit avoir des airs de cour de récréation. »
28 novembre – Mon dernier billet pouvait laisser l’impression que je suis un partisan de Calin Georgescu, gagnant du premier tour. Je ne le suis pas. Il est vrai que sa méfiance à l’égard de l’U et de l’OTAN me convient, tout comme sa volonté d’arrêter l’aide roumaine à l’Ukraine. Ces idées ont provoqué l’ire de ceux qui, en Occident, veillent à la correctitude politique – à tel point que des propos qu’il tient et qui sont du domaine de l’insensé ont été ignorés.
Ce qui m’intéressait, c’était la réaction de la presse face à cette victoire – qui, somme toute, n’est pas définitive, puisqu’il s’agit d’une élection à deux tours.
Ce qui s’est passé depuis ma publication me semble bien plus intéressant que les remarques sur le traitement journalistique de l’affaire. M. Georgescu a fait massivement campagne sur TikTok. À une époque pénible, des moyens pénibles. Cette plateforme a été, donc, considérée comme coupable de la victoire d’un indésirable. Par conséquent, il a été demandé au patron de TikTok de venir s’expliquer devant les instances de l’Union européenne. Je ne sais pas s’il répondra à cette convocation, mais la démarche de Bruxelles est bien curieuse.
À Bucarest, il a été demandé que TikTok soit interdit pour toute la période électorale. Je ne suis pas sûr que, techniquement, cela soit possible.
Et toujours à Bucarest, la Cour constitutionnelle a été saisie d’une demande d’annulation du premier tour de l’élection au motif que M. Georgescu a été favorisé par TikTok et que, donc, la plateforme a influencé sur le résultat de l’élection. La Cour statuera lundi.
29 novembre – Il me faut revenir sur cette affaire électorale qui agite la Roumanie. Affaire de plus en plus compliquée, qui fait surgir de nouvelles questions.
J’ai reçu hier soir une très longue liste de propos tenus par Calin Georgescu, propos dont la plupart ne sont pas « complotistes », comme il a été dit, mais tout simplement délirantes. On est en droit, en les lisant, de se poser des questions gênantes sur la santé mentale du candidat. Et il n’y a ici aucune exagération, aucun parti pris.
Quand quelqu’un dit : « Christ est ressuscité pour que le peuple roumain devienne le phare de l’humanité » ou « La neutralité de la Roumanie est inscrite dans les étoiles qui veillent sur ce peuple » ou « Les boissons gazeuses contiennent des nano-chips qui annihilent la pensée des Roumains » parmi des dizaines d’autres du même acabit, la question s’impose.
Les Roumains auraient-ils, donc, voté pour un exalté ? Dans l’état d’inculture politique dans lequel ils se trouvent, c’est une hypothèse qu’on ne peut exclure. Mais on peut également se dire qu’ils ont voté pour quelqu’un qui leur a dit que l’UE et l’OTAN ne leur sont pas vraiment favorables, qu’ils sont traités, dans ces institutions, comme des citoyens de troisième zone, que leur souveraineté est bafouée, et que la continuation obstinée de la guerre en Ukraine leur est nuisible. Dans ces domaines, il n’est pas absurde de le suivre. Et il va de soi que c’est pour cela que Bruxelles lui en veut.
A-t-il une double personnalité ? Ce ne serait pas rassurant.
Par ailleurs, sa contre-candidate au deuxième tour est une obsédée du progressisme neo-marxiste, une militante acharnée du LGBT-isme et, sans doute, une grande adepte des idées de Davos.
Pour l’instant, la Cour constitutionnelle a demandé que les voix soient recomptées en 24 heures. Ce qui est matériellement impossible puisque les bulletins ne sont plus dans les bureaux de vote mais centralisés par centaines de milliers dans les départements.
L’issue probable est l’annulation du premier tour de l’élection. Mais, à moins d’interdire à Calin Georgescu de se représenter – ce qui pourrait mener à une révolte -, il est normal de s’attendre, lorsqu’on votera de nouveau, à un score au moins aussi bon en sa faveur.
P.-S. La présidente de la Moldavie, Maia Sandu, la grande amie d’Emmanuel Macron, formée par le binôme Soros-Schwab, détentrice aussi d’un passeport roumain, a annoncé qu’elle va voter pour la sauvegarde de la démocratie en Roumanie. Chose absolument sidérante qui ne semble pas troubler qui que ce soit : le chef d’un État indépendant qui fait campagne dans un autre État indépendant et annonce voter pour le président de cet autre État. Je ne crois pas m’avancer trop si j’écris qu’une telle aberration est sans précédent dans l’histoire. N’est-ce pas de l’ingérence caractérisée ?
2 décembre – Les élections législatives qui ont eu lieu hier en Roumanie ont placé le Parti social-démocrate (PSD) à la première place, en totale contradiction avec le résultat du premier tour de l’élection présidentielle.
Ainsi, les Russes qui, nous assurait-on, avaient manœuvré pour que le candidat indésirable Calin Georgescu gagne une première place la semaine dernière, ont échoué hier dans leurs ténébreuses machinations. Une conclusion s’impose : ils sont vraiment nuls ! Nous n’avons pas encore des précisions sur l’état de dépression profonde dans lequel Poutine s’est abîmé après cette débâcle, mais sa situation doit être terrible.
4 décembre –En Roumanie, après avoir demandé que les voix du premier tour de l’élection présidentielle soient recomptées, la Cour constitutionnelle a validé les résultats initialement annoncés.
Il va de soi que le « cordon sanitaire » est en train d’être mis en place, comme l’été dernier en France. Reste à voir s’il sera aussi efficace.
Quant aux élections législatives d’avant-hier, elles conduiront sans doute à la formation d’un gouvernement ne différant en rien de celui qui a été en place ces quatre dernières années : une coalition entre socio-démocrates (majorité relative), libéraux, parti hongrois et minorités nationales. Ainsi, en cas d’échec du « barrage républicain », si Calin Georgescu gagne la présidentielle, il sera complètement neutralisé.
7 décembre –Après le premier tour de l’élection présidentielle en Roumanie, les services secrets du pays ont annoncé ne pas avoir détecté des ingérences étrangères dans le processus électoral. Les forces du bien leur ont signalé qu’ils se trompaient et ils ont fini par reconnaître que… finalement… si… il y a eu quelque chose… Mais de leur revirement vague on ne peut rien comprendre.
Comment faire autrement puisque même le ridicule Blinken a déclaré savoir que les Russes tirent les ficelles. Mais il nous faut ajouter qu’ils les tirent très mal, du moment que les élections législatives, bien plus importantes que la présidentielle, ont été gagnées par les pro-Europe, pro-OTAN, pro-tout.
L’appel à bien voter, lancé par le président de la Moldavie et la déclaration qu’elle-même (car ayant aussi la nationalité roumaine) allait bien voter n’a pas été considéré comme une ingérence. On n’en a même pas parlé.
Maintenant, c’est Macron qui appelle la candidate euro-atlantico-LGBT-iste pour lui manifester son soutien. Et, bien entendu, il ne s’agit pas d’une ingérence mais d’une sorte de prurit démocratique, un geste de fraternité entre les pro-touts. (Et je note qu’il commence son appel par un très jovial « Hello Elena ». S’il avait parlé en français, il l’aurait sûrement tutoyée, selon son habitude stupide. Car maintenant, la politique internationale doit avoir des airs de cour de récréation.)
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Un vieux film sympathique portait le titre « If it’s Tuesday is Belgium ». Aujourd’hui, un autre film pourrait s’appeler « If it’s chaos is Romania ».
La Cour constitutionnelle vient d’annuler le premier tour de l’élection présidentielle ! Ce qui est drôle – si on peut encore parler de drôlerie -, c’est qu’à l’étranger, les Roumains ont commencé déjà, depuis ce matin, à voter pour le second tour.
Peut-on exclure que, par un nouvel oukase, la même Cour, inspirée par les amis progressistes du pays, interdise à Georgescu de se représenter ? Il me semble que ce serait dans l’ordre des choses. Une forme édulcorée de révolution de couleur… ■ RADU PORTOCALA
Cette suite de billets – comme toujours si bien écrits ! – est parue aux dates notées sur la page FB de son auteur.
Radu Portocala est écrivain et journaliste, spécialisé notamment en Relations Internationales.
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