Retour sur ce régime qui vient de tomber, et qui régnait sur la Syrie depuis 1970
Par Rémi Hugues.
Après l’Irak en 2003, l’autre grand bastion du baasisme vient de tomber
En juillet 1958 la monarchie régnant sur l’Irak est renversée par une junte militaire qui proclame la République. Le pays est alors secoué par plusieurs putschs : celui de 1963 permet au parti Baas de prendre le pouvoir.
Le baasisme se veut la transposition arabe du nationalisme que la modernité européenne a fait naître. Cette idéologie, qui porte un vision socialisante ainsi que profondément laïque, apparut à l’orée du XXe siècle. « À la veille de la Première Guerre mondiale, largement influencé par le nationalisme maurrassien français, le nationalisme arabe développe ses organisations et ses réseaux : chrétien libanais francophile, Néguib Azoury publie en français à Paris, en 1904, Le réveil de la nation arabe ; en 1907, sur le modèle des ligues patriotiques françaises, il crée La Ligue de la Patrie arabe. […] L’arabisme prend une nouvelle dimension, plus cohérente, plus forte, avec Sati al-Husri, musulman sunnite d’origine syrienne, né au Yémen et élevé à Istanbul. »1
Avec Husri une école germaniste du nationalisme vient concurrencer l’école française de l’auteur du Réveil de la nation arabe : « Contrairement à Azoury – influencé par Maurras, Barrès et Renan –, Husri pense que l’exemple du nationalisme allemand est plus proche de celui du nationalisme arabe. Ses textes subissent l’influence de Arndt, Herder, Kleist, Fichte. »2
Puis en 1947 est fondé le parti Baas par Michel Aflak, un Syrien de confession orthodoxe qui, pendant ses études d’histoire à la Sorbonne, voit la foi nationaliste transmise par son père se consolider fermement. Et onze ans plus tard il assiste avec bonheur à l’accession de son parti aux plus hautes responsabilités, non pas dans son pays d’origine, mais en Irak. En 1960, Saddam Hussein, qui avait dû s’enfuir de son pays après avoir été blessé lors d’une tentative d’assassinat visant le général Kassem, alors Premier Ministre d’Irak, trouvant refuge à Damas, avait pu faire la connaissance d’Aflak.
En juillet 1968 le général Hassan al-Bakr fomente un coup d’État, où Saddam Hussein se montre très impliqué. Le nouveau maître de l’Irak le charge de la répression des adversaires du nouveau pouvoir, divisés entre un pôle communiste et un pôle nassérien. Un an plus tard il devient vice-président du Conseil de commandement de la révolution.
En 1979 le maréchal al-Bakr, en mauvaise santé, est contraint à la démission. Nul autre que son puissant bras droit ne peut lui succéder : en plus d’être le nouveau président de la République, Saddam Hussein est président du Conseil de commandement de la révolution, secrétaire général du commandement régional et secrétaire général adjoint du Commandement national du Baas. Le 28 juillet, 21 membres de son entourage sont exécutés, parmi lesquels le vice-Premier ministre Adnan Hussein et un cadre historique du parti, Abdel Khalek Samarrai.
La disparition d’al-Bakr en octobre 1982 vient définitivement renforcer le pouvoir de l’homme qui se fait désormais appeler el-Raïs el-monadel, « le Président combattant ». En tout Hussein aura dirigé d’une main de fer l’Irak durant près d’un quart de siècle.
L’accession au pouvoir d’Hafez al-Assad
Le pouvoir qu’il exerça sur son pays n’est pas sans rappeler celui qu’a construit Hafez al-Assad en Syrie, le père de Bachar al-Assad, reposant notamment sur le culte de la personnalité, comme en témoigne cette « vieille blague [:] le recensement a établi la population à 36 millions d’habitants : 18 millions de personnes et 18 millions de portraits de Hafez El-Assad »1.
Cela valut à ce dernier la désapprobation du maître à penser du baasisme, Michel Aflak, qui « opte pour l’Irak et dénonce la “trahison de l’idéal bathiste” par le régime syrien de Hafez el-Assad. »2 Le fondateur du baasisme, mort en 1989, soit juste avant la première guerre du Golfe, éprouvait plus de mansuétude à l’égard du culte de la personnalité développé par le maître de l’Irak.
Hafez fut d’ailleurs accusé par la vieille garde baasiste de vouloir déstabiliser le frère irakien lors de l’épuration orchestrée par Saddam Hussein en juillet 1979. La Syrie fut alors soupçonnée d’être derrière ce « vil complot, fomenté par une bande de traîtres au parti Baas et à la révolution irakienne. »3
Le 8 mars 1963, dans la foulée de leurs frères irakiens qui avaient pris le pouvoir en février, les dirigeants du parti Baas sont appelés par l’armée à gouverner le pays. Le putsch a été mené par l’officier Ziyâd Harîrî. Parmi les instigateurs du coup, trois alaouites (branche de l’islam chiite) de la tribu des Kayyatin (ou Kalbiyyin) sont au centre du jeu. L’un d’entre eux se nomme Hafez al-Assad. Un gouvernement de civils est formé, qui nationalise des pans entiers de l’économie, notamment le secteur bancaire.
En proie à des troubles incessants, la Syrie assiste à l’irrésistible ascension d’Assad, qui de 1966 à 1970 occupe le poste de ministre de la Défense. Le 13 novembre 1970, par l’arrestation de son grand rival Salâh Jadîd et l’envoi de troupes vers le bureau du parti Baas, il en prend le contrôle, devenant ainsi par là même le chef de l’État.
« Arborant fièrement la moustache et peignant ses cheveux d’un pli régulier, le général Hafez el-Assad devient la nouvelle figure »4 du pays. « Après une carrière militaire d’aviateur, […] [cet] acteur de l’ombre du système baathiste […] peut célébrer à quarante ans son ascension. Son mariage avec Anissa Makhlûf en 1950 lui a donné cinq enfants »5, Bouchra, Bassel, Bachar, Maher et Majid.
L’homme qui ne devait pas gouverner
Contrairement à ses homologues tunisien, égyptien et libyen que le Printemps arabe a terrassés, Bachar n’avait « aucun désir de conduire les affaires de la nation »6. Un autre que lui, en est-il parfaitement conscient depuis son jeune âge, a été destiné par son père à prendre la suite à la tête de la Syrie. Son grand frère Bassel, le fils aîné.
« Un homme en vient à incarner la Syrie de l’avenir : Bassel al-Assad, dont les photos et les images se diffusent à travers la Syrie. Les pare-brises des voitures sont ornés d’illustrations du père et du fils, les reproductions le font jouer au billard dans le centre culturel russe, travailler derrière un ordinateur au ministère de l’Économie, commander les troupes ou porter l’uniforme dans la plupart des casernes. »7
Mais le 21 janvier 1994 le successeur désigné se tue dans un accident de voiture : « Les Syriens se réveillent avec des versets du Coran psalmodiés à la radio et à la télévision, les drapeaux sont en berne, des tentes pour les condoléances se dressent dans le pays. Le Dauphin promis à la succession est mort. Pendant quarante jours, la Syrie est en deuil. »8 Le président syrien, gardant son sang froid, ne gaspille pas son énergie à se demander si ce décès était réellement accidentel. En tout état de cause, il doit réviser ses plans.
Bachar vit à Londres quand il apprend le décès de son frère aîné. Après être passé par un lycée datant de l’époque du mandat français et des études de médecine à l’Université de Damas avec des stages à l’hôpital militaire Techrine, il part dans la capitale britannique pour se spécialiser en ophtalmologie. En 1992 il obtient un diplôme de docteur dans cette discipline. Il y rencontre de surcroît sa fiancée : Asma al-Akhras ; issue de la bourgeoisie de Homs, elle travaille à la City pour la banque J.P. Morgan.
Il est prié de rentrer immédiatement en Syrie, et pas uniquement jusqu’à la fin des obsèques. Son père le considère désormais comme son successeur. Le troisième fils, Maher, est chargé de l’épauler, en se spécialisant dans les affaires militaires. Âgé de soixante-cinq ans Hafez est fragilisé par une leucémie. Il s’agit instamment de se tenir prêt pour la suite.
Il s’investit notamment dans la Garde républicaine de Syrie. En 1998 il reçoit le grade d’officier. Outre les affaires militaires, il doit aussi apprendre la diplomatie et les relations internationales, bénéficiant d’un solide soutien pour cela en la personne du président français Jacques Chirac, qui devient son parrain.
En public, Hafez déclarait qu’il ne comptait pas confier le pouvoir à son fils. Par exemple, sur TF1, le 15 juillet 1998, il avait catégoriquement démenti : « Je ne prépare pas mon fils à la présidence. Ces prédictions et autres rumeurs qui courent sont probablement dues au fait qu’il est dynamique et apprécié des gens. Notre constitution ne stipule pas que la parenté donne droit à la succession. »9 ■ RÉMI HUGUES (À suivre)