Les paradoxes d’une élection – Ingérences et annulations : le feuilleton électoral roumain…(Suite)
De Radu Portocala.
Dans la presse roumaine : https://www.cotidianul.ro/problema/
LE PROBLÈME…
Depuis près de trois semaines, la Roumanie s’agite, et autour d’elle, dans une lumineuse communion, les progressistes des coins du monde. Et cette agitation est un signe de désastre. Que rien ne va plus réparer – et que, d’ailleurs, nul ne semble vouloir réparer. L’annulation d’une élection parce que le discours de celui qui aurait pu la gagner ne plaît pas aux bien-pensants progressistes et aux maniaques intégrationnistes montre que ce que l’on espérait être la démocratie n’est qu’un mot creux. La Roumanie, comme certains de ses amis occidentaux, est entrée à son tour dans l’ère de la démocratie modulable, adaptable aux exigences des grands marionnettistes de l’intérieur et de l’extérieur. En 1968, lorsque Brejnev introduisit la notion de « souveraineté limitée », le monde entier se révolta ; maintenant, l’idée d’une « démocratie limitée » ne trouble personne.
Nous pouvons être sûrs que ce ne sont ni les vues fantasmagoriques de Călin Georgescu sur le rôle des Daces comme précurseurs de la civilisation, ni ses excès mystiques qui ont attiré les électeurs, et irrité les grandes chancelleries du monde. Complètement opposées, ces réactions ont sans doute été suscitées par le scepticisme du candidat à l’égard des structures euro-atlantiques et son désir de voir la guerre en Ukraine prendre fin.
Étant donné le mode de fonctionnement autoritaire des « partenaires occidentaux » de la Roumanie, il est hautement improbable que M. Georgescu aurait réussi, comme il l’avait promis, à négocier avec eux sur un pied d’égalité. Mais rien que d’affirmer une telle idée est simplement insupportable dans les hautes sphères. On a donc considéré que l’élimination de Călin Georgescu de la course présidentielle était la solution idéale pour résoudre le « problème ». De toute évidence, on se trompait.
On se trompait, car le problème n’est pas Călin Georgescu. Le problème est que de nombreux électeurs se sont reconnus dans ses idées. Et cette identification ne peut être effacée par une décision de la Cour constitutionnelle. Le problème est que ces électeurs ont reconnu une vérité dans le scepticisme de Călin Georgescu à l’égard des structures euro-atlantiques. Le problème, donc, est l’antipathie et la méfiance que ces structures ont réussi à créer.
La réalité est que dans une Europe où le souverainisme gagne du terrain, le vote en Roumanie a été la goutte d’eau qui a risqué de faire déborder le vase, et les sages de Bruxelles ne pouvaient tolérer une telle amplification du désordre. L’Union européenne et l’OTAN deviennent de plus en plus autoritaires, plus intransigeantes, elles imposent au lieu de discuter, elles interdisent ou obligent, le plus souvent bêtement, elles se substituent aux États, elles rejettent brutalement toute opposition des peuples. Cela fait peut-être 30 ans que le célèbre dissident Vladimir Boukovski, survivant des cachots du KGB, déclarait que l’Union soviétique avait été déplacée vers l’Ouest. Lentement, la réalité s’obstine à lui donner raison.
Ce qui suivra risque d’être particulièrement intéressant. Les élections présidentielles auront lieu à nouveau, même si nous ne savons pas quand. Il est clair que tout le cirque des temps derniers deviendrait complètement inutile si Călin Georgescu était autorisé à se présenter à nouveau. Il faudra donc trouver une raison pour l’en empêcher. Que ce soit une raison ridicule, la chose n’a aucune importance. L’important est qu’à ce moment-là, ceux qui ont voté en sa faveur le 24 novembre se verront interdire de confirmer leur choix. Leur liberté sera ainsi gravement diminuée. À la place de Georgescu, on leur proposera des candidats convenables – ce qui, aujourd’hui, ne signifie qu’une chose : pro-européens. Si cela se produit – ou, plutôt, quand cela se produira – nous saurons qu’un régime dictatorial a été installé en Roumanie, avec le soutien euro-atlantique. Ce sera, évidemment, une dictature du bien, la même qui fait des ravages en Occident, une dictature de l’imbécillité aimable et consensuelle, une dictature souriante. Mais, quand même, une dictature. ■
Cette traduction est parue le 18 décembre sur la page FB de Radu Portocala.
Radu Portocala est écrivain et journaliste, spécialisé notamment en Relations Internationales.
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