Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
«… rêveries sur la possibilité d’un gouvernement du monde par une aristocratie de savants »
Le cas Romain Rolland* est des plus curieux. Romain Rolland, écrivain de langue française, n’est pas d’origine suisse, comme beaucoup de personnes l’imaginent. Romain Rolland est né dans le Nivernais de vieille souche nivernaise. L’auteur de La vie de Beethoven et de ce Jean-Christophe qui a l’air d’une œuvre posthume de Richter, n’a jamais passé plus de deux mois de sa vie en Allemagne : du moins ses amis l’assurent. Cependant il est à ce point pénétré de germanisme qu’il ne peut s’empêcher de prendre le parti des Allemands même pendant la guerre. Il vient de faire scandale en imprimant dans un journal de Genève que les intellectuels français ne s’étaient pas mieux conduits que les intellectuels allemands. En somme, il pèse désespérément sur la balance au moment où, dans la sympathie de l’univers, c’est la cause de la France qui est tout près de l’emporter définitivement. Cet état d’esprit était déjà celui de Jaurès, qui, en politique, ne pouvait s’empêcher de prendre toujours le parti de l’Allemagne, de voir la justice, la raison du côté de l’Allemagne, jusqu’à inventer un jour, sans souci de l’ordre de succession des évènements ni de la vérité historique, que la Triplice était le contrepoids de l’alliance franco-russe.
Mais cet état d’esprit est bien plus ancien encore. Il a été, à diverses reprises, celui d’un homme infiniment plus nuancé, infiniment plus intelligent et infiniment moins impulsif qu’un Romain Rolland, qu’un Jaurès, prompt à se mettre en garde contre le parti pris autant que ceux dont je viens de parler aiment y baigner leur sensibilité grossière : c’est Renan, chez qui l’empreinte du germanisme demeura toujours. Dans Les Dialogues philosophiques qu’il écrivait, il le raconte lui-même, en 1871, tandis qu’il entendait le canon de la guerre civile, celui de l’armée de Versailles reprenant Paris sur la Commune : il témoigne que, dans ses rêveries sur la possibilité d’un gouvernement du monde par une aristocratie de savants, son esprit, par une invisible pente, s’est laissé entraîner jusqu’à cette hypothèse :
« La France incline toujours aux solutions libérales et démocratiques; c’est là sa gloire; le bonheur des hommes et la liberté, voilà son idéal. Si le dernier mot des choses est que les individus jouissent paisiblement de leur petite destinée finie, ce qui est possible après tout, c’est la France libérale qui aura eu raison; mais ce n’est pas ce pays qui atteindra jamais la grande harmonie, ou, si l’on veut, le grand asservissement de conscience dont nous parlons. Au contraire, le gouvernement du monde par la raison, s’il doit avoir lieu, paraît mieux approprié au génie de l’Allemagne, qui montre peu de souci de l’égalité et même de la dignité des individus, et qui a pour but avant tout l’augmentation des forces intellectuelles de l’espèce.«
Que dit le plus fameux manifeste des intellectuels allemands, le programme d’asservissement du monde à la Kultur par l’instrument du militarisme prussien ? Le manifeste en dit moins, au fond, il dit moins nettement les choses, comme s’il fallait que les plus monstrueuses rêveries germaniques, pour trouver leur expression définitive, eussent repassé dans une tête française. ■ JACQUES BAINVILLE
* Romain Rolland (1866-1944), écrivain pacifiste, internationaliste, vivait en Suisse.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source.
D’abord nous remercions chaleureusement le Prince Jean de ses vœux pour notre pays et de répondre présent.
Quelques réflexions sur la guerre de 1914-18 et la position de Romain Rolland suite au journal de Jacque Bainville :
Certes Jacques Bainville est un esprit supérieur et profond, qui avec une rigueur passionnée , explore les enjeux de notre histoire. . Plongé dans la grande guerre n’est-il pas malgré sa lucidité otage de l’union sacrée en critiquant Romain Rolland, coupable selon lui de sympathies pro -allemande ? Mais est-ce vraiment le débat, ? Ne serait-il pas celui de faire la paix un jour , même et surtout avec notre ennemi et donc de refuser l’engrenage répétitif de cette guerre, véritable suicide pour l’Europ ?
Cette l’humanitarisme socialiste de Romain Rolland est insuffisant, certes l’appel en 1915 des écrivains allemand pour soutenir leur pays peut nous choquer à juste titre, mais le but supérieur de toute diplomatie, n’est-il pas justement de passer par-dessus ces obstacles pour retrouver la paix ? Oui , faire la paix n’est pas abominable, ni lâche, et s’imposait dans cette Europe, qui s’approche du gouffre et ce but aurait pu réunir des hommes de bonne volonté de bords différents, pour dépasser les passions idéologiques, ancrées, et ne pas favoriser « la montée aux extrêmes , (que René Girard fait remonter à Iena ) qui mène à l’abime ?
Le grand historien Guglielmo Ferrero divise l’histoire entre « destructeurs » et « constructeurs. » . Les « destructeurs, » nous les connaissons bien en France depuis le17 juin 1789 jusqu’à à nos jours, ceux qui jouent l’appel à la rue à l’émeute pour imposer leurs vues, délégitimant le pouvoir, entrant dans une processus de violences qui ne s’arrêtent plus. Et les constructeurs, qui tentent vaillamment de continuer leur chemin, construire le pays, malgré ses aléas , sans rentrer dans le jeu des passions idolâtres. C’est ce qu’ont tenté de faire nos Rois, aidés par leurs collaborateurs Il est évidemment plus facile d’être un destructeur, tout casser, ou pratiquer le terrorisme, etc. ; flatté , encensé par les mauvais génies de notre pays, aujourd’hui comme hier. .
Face à l’ennemi en 1914 au nom de l’union sacrée fallait-il se convertir à l’idéologie révolutionnaire de la révolution, et à sa conception destructrice de la patrie, celle qui chante notre propre mort..Voire le couplet de notre hymne dédié aux enfants rapporté par Jean de Viguerie :
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus(..)
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil !
Ensuite, s’il était souhaitable de ne pas donner raison à la volonté d’hégémonie de l’Allemagne, et de se battre pour refuser l’invasion du pays, est-ce que la France était-elle toujours si bien placée pour donner des leçons de civilisation à son ennemi héréditaire ? Un pays, qui a encensé une révolution sanglante, une terreur abominable, jamais vraiment remise’ en cause, . un pays qui a chanté la gloire du conquérant de l’ Europe et qui a laissé se déclarer cette stupide guerre de 1870 sans le moindre motif sérieux ? .Toujours la fuite en avant dans ce désir mimétique qui a gagné toute l’Europe, analysé par R. Girard. (Quant à la passion de l’égalité voire ce que Chigalev dans les « Démons « prophétise, elle conduit à la mort de tous par tous) ….. ;
Les vrais héros sont ceux qui ont mis en route des tentatives de paix si mal comprises même par nos évêques (dans le cas du pape Benoit XV) pour arrêter l’Europe au bord du gouffre, tentatives sourdement sabotées par cet Etat profond si républicain, (tentatives que Maurras lui n’a pas insultées )
Je ne peux m’empêcher de penser à ces vieillards républicains ,privés des joies de la jeunesse, envoyant sans état d’âme la fine fleur de notre pays se faire tuer, ces jeunes gens qui ne demandaient qu’à vivre, oui tous ceux qui tenaient les manettes de notre pays trop contents d’accepter le dévouements souvent admirables de tous ceux qui aimaient leur pays autrement qu’eux, et ne voulaient pas le voir mourir.. Le débat continue.. ;
Très beau commentaire en vérité.
Je suis d’ailleurs persuadée que Bainville vous approuverait !