Buisson dénonçait la « religion du nouveau », qui n’était qu’un masque pour déguiser l’oubli des racines et l’abandon des plus vulnérables.
Dans La Cause du peuple , Patrick Buisson mêlait à des confidences intimes le pamphlet politique, pour ausculter une France à la dérive. Il y ravivait la mémoire d’un peuple trahi par ses élites intellectuelles, politiques et financières, et réduit au silence dans le tumulte de la mondialisation. Ce livre n’était pas seulement une rétrospective, c’était un manifeste, une charge contre l’amnésie collective. Dans le vacarme institutionnel ambiant, ses enseignements trouvent aujourd’hui un écho particulier.
L’essayiste ne s’embarrassait pas de détours : il déclarait la guerre à cette caste mondialisée qui, sous prétexte de progrès, sacrifiait l’âme du pays. Avec une verve inspirée, il convoquait les spectres de la Révolution française – sans que l’on puisse pour autant lui accoler l’étiquette de révolutionnaire – et des grandes luttes ouvrières pour rappeler que le «peuple» était une entité à la fois charnelle et symbolique, à la fois fragile et puissante.
Il révélait un paradoxe cruel : les chantres de la mondialisation heureuse, dans leur fuite en avant technocratique, se coupaient des réalités qu’elles prétendaient gouverner. Les citoyens, eux, s’ancraient dans un quotidien souvent dévasté par le déclin industriel et la dislocation culturelle. Le «peuple» décrit par Buisson n’était pas une masse informe, mais une somme de douleurs et d’aspirations que les pouvoirs successifs avaient choisi d’ignorer.
Avec une ironie mordante, Buisson décapitait les partis traditionnels. La droite, selon lui, avait perdu son âme en reniant ses fondements historiques au profit d’un libéralisme sans racines, à l’instar de son compagnon de route Nicolas Sarkozy. Quant à la gauche, elle s’était vautrée dans une morale universaliste déconnectée de ce que certains nomment «réel». Ces forces politiques, jadis rivales, se rejoignaient alors dans une même complaisance à l’égard de la globalisation, ouvrant ainsi la voie à un populisme de revanche.
La «ligne Buisson» s’affirmait comme une boussole pour qui voulait renouer avec les desseins profonds qui traversaient le pays. Elle conjuguait réaffirmation identitaire et solidarité sociale. Mais l’auteur ne se contentait pas d’esquisser une théorie : il passait au scalpel les erreurs de Nicolas Sarkozy, dont le règne avait échoué à traduire les aspirations populaires en actes. Une quinzaine d’années plus tard, Emmanuel Macron semble prendre la même tangente.
De ce constat implacable, Buisson tirait des principes clés. Les Français aspiraient à des dirigeants qui parlent avec leurs tripes autant qu’avec leur esprit. L’éloquence technocratique devait céder le pas aux fondements historiques, capable de résonner auprès du «peuple des invisibles». Dans un monde en quête de repères, Buisson exhortait à une transmission active. Il appelait à réinvestir les symboles nationaux, à faire vibrer les cordes du patrimoine commun. Si la gauche avait abandonné ce combat, la droite se devait de le réinvestir, non pas en imitant les recettes collectivistes, mais en proposant une sécurité économique et culturelle à l’échelle de la nation.
Ceux que Buisson nommait les «entrepreneurs en démolition», reprenant la formule de Léon Bloy, incarnaient, selon lui, une pathologie de notre époque : la destruction systématique de tout ce qui nous précédait. Derrière le discours du progrès se cachait une entreprise froide et cynique de nivellement culturel. Buisson dénonçait cette «religion du nouveau», qui n’était qu’un masque pour déguiser l’oubli des racines et l’abandon des plus vulnérables. En réponse, il plaidait pour un «patriotisme solidaire», un équilibre entre ouverture au monde et enracinement. Chacun l’aura compris, le progrès ne devrait pas être synonyme de dépossession.
En filigrane, La Cause du peuple était une ode à la transmission de notre héritage chrétien, presque écrite pour nous, humbles contemporains. Buisson rappelait que l’avenir ne pouvait s’écrire qu’en honorant ce que le passé nous avait légué. Dans une époque ivre de précipitation et d’amnésie, ce message résonne comme un appel au sursaut. Ainsi, Buisson signait un livre qui n’était pas qu’une somme de constats amers. Il tendait un miroir à une France en quête d’elle-même, une invitation à renaître en puisant dans ses propres forces. Cette lecture, à la fois rude et lumineuse, s’adresse à ceux qui refusent de voir leur pays sombrer dans les méandres de l’impuissance. Une véritable déclaration d’amour à une France qui doute, mais qui peut encore espérer. ■ WANDRILLE DE GUERPEL