C’est un article paru dans Le Figaro du 15 janvier et c’est la chronique d’un naufrage ayant pour principal mérite d’en recenser les éléments et de les mettre en lumière, même s’ils y sont déjà pas mal. Le tableau est saisissant. Décidément, il n’y a pas forcément que la vieillesse qui soit un naufrage. Le jeunisme régnant qui avait tant servi le premier Macron en prend ici un coup sérieux. Le lecteur jugera.
Tombé dans l’impuissance avec sa dissolution ratée, le président n’a mené à bien quasiment aucun des nombreux chantiers annoncés en grande pompe au lendemain de la nomination de Gabriel Attal à Matignon.
Un cimetière de réformes mort-nées. Voilà ce qu’est devenue la grande conférence de presse qu’Emmanuel Macron a organisée le 16 janvier 2024. C’était il y a un an, jour pour jour. Le chef de l’État venait de nommer Gabriel Attal premier ministre, mais se permettait de lui couper déjà l’herbe sous le pied. Avant la déclaration de politique générale du nouveau locataire de Matignon, le président tenait à fixer lui-même les priorités de l’année qui s’ouvrait et expliquer «le sens profond» de son action. Un moment solennisé devant des centaines de journalistes rassemblés dans la salle des fêtes de l’Élysée, et programmé en soirée pour s’assurer une diffusion en prime time à la télévision. Une première depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir.
Pendant deux heures vingt, dans son propos liminaire puis ses réponses aux questions de la presse, le chef de l’État dévoile alors toute une batterie de mesures pour «une France plus juste et plus forte». Des initiatives censées relancer un quinquennat perturbé par la majorité relative sortie des urnes aux législatives de 2022. Il lui fallait «se régénérer», selon l’expression alors en vogue au pôle communication de l’Élysée.
« Réarmement démographique »
Se pencher sur la liste de ces annonces douze mois plus tard, c’est constater à quel point la parole présidentielle, loin d’être « performative », ne s’est pas vraiment concrétisée dans les actes. La dissolution de juin et la défaite du camp Macron aux législatives qui ont suivi sont passées par là, annihilant la plupart des chantiers ouverts par le président. Et mettant en évidence son impuissance.
Ce 16 janvier 2024, Emmanuel Macron frappait ainsi les esprits en prônant un «réarmement démographique». Mais le nouveau «congé de naissance» et le «grand plan» contre l’infertilité annoncés n’ont absolument pas vu le jour, alors que le nombre de naissances a encore baissé en 2024, comme vient de le documenter l’Insee. Lettre morte, aussi, la reprise «de contrôle de nos écrans» pour protéger les enfants, alors que le chef de l’État se disait prêt à aller jusqu’à des «interdictions».
« Généralisation du SNU »
Emmanuel Macron annonçait aussi une «refondation» de l’éducation civique dont le volume horaire devait être doublé au collège, ainsi qu’un renforcement de l’éducation culturelle et artistique, en mettant l’accent sur le théâtre pour qu’il «devienne un passage obligé au collège dès la rentrée prochaine». Lors de ladite rentrée 2024, la ministre de l’Éducation nationale d’alors, Nicole Belloubet, a bien confirmé un allongement du temps consacré à l’éducation civique, mais s’est contentée de lancer «une mission» sur l’enseignement du théâtre et de la musique.
«Nous irons vers la généralisation du Service national universel en seconde», déclarait aussi Emmanuel Macron. Un serpent de mer qui ne donne aujourd’hui plus signe de vie. Mais le SNU pour tous «n’est pas abandonné», assure-t-on dans l’entourage présidentiel, sans plus de détails.
« Deux milliards de baisses d’impôts »
Sur le volet économique et social, le chef de l’État esquissait un «acte 2 de la réforme du marché du travail» et demandait au gouvernement des mesures favorisant «la dynamique salariale». Là aussi, c’est le néant, même si l’on rappelle à l’Élysée que les partenaires sociaux sont tombés d’accord, en novembre, sur de nouvelles règles de l’assurance-chômage. Le président confirmait aussi sa volonté de «deux milliards de baisses d’impôts» pour les classes moyennes en 2025. Depuis, le dérapage des comptes publics a éclaté au grand jour et les classes moyennes se demandent plutôt si elles échapperont à une hausse de la fiscalité, levier activé en catastrophe par Michel Barnier puis François Bayrou pour redresser la barre.
Autre projet : Emmanuel Macron souhaitait rémunérer davantage les fonctionnaires «au mérite». Une mesure prévue par le projet de loi sur la fonction publique, alors porté par le ministre Stanislas Guerini, fidèle lieutenant macroniste. La dissolution a coulé ce texte et Guerini a été battu aux législatives qui ont suivi. Le président comptait également accélérer la relance du nucléaire pour conforter l’indépendance énergétique de la France. S’il avait déjà mis en route la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires EPR2, Emmanuel Macron devait annoncer «à l’été» les «grands axes» pour en lancer huit autres. Une prise de parole que la filière attend toujours.
Sur le plan diplomatique, enfin, Emmanuel Macron annonçait qu’il se rendrait en Ukraine «en février» 2024 pour montrer le soutien de la France et finaliser un accord bilatéral. La visite n’a jamais eu lieu, même si, au cabinet présidentiel, on renvoie à la réunion entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky, organisée en décembre par le chef de l’État à l’occasion de la réouverture de Notre-Dame. «Il a toujours dit qu’il irait en Ukraine si c’est utile», ajoute-t-on.
À l’Élysée, où l’on prend le temps de revenir point par point sur ces annonces faites il y a un an, on met tout de même en avant les quelques mesures qui ont vu le jour. Comme les «opérations place nette» contre le trafic de drogue, qui se sont effectivement multipliées avec des résultats mitigés. Ou l’expérimentation de la «tenue unique» dans certains établissements scolaires sur la base du volontariat, même si sa possible généralisation en 2026 ne semble plus à l’ordre du jour.
Emmanuel Macron avait aussi annoncé un doublement des franchises médicales, une mesure d’économies mise en œuvre par un décret en mars 2024. Sur le plan sociétal, «l’IVG a été inscrite dans la Constitution et le texte sur la fin de vie reste à l’ordre du jour», souligne-t-on à l’Élysée.
Le bilan reste très maigre. Mais «le diagnostic que le président a formulé à ce moment-là est plus actuel que jamais», insiste-t-on au cabinet d’Emmanuel Macron, où l’on note par exemple que les derniers chiffres de la natalité, en baisse, confirment l’urgence du «réarmement démographique». «Mais il y a clairement des choses que l’on n’a pas pu faire», concède-t-on dans un euphémisme.
Et il est peu probable qu’Emmanuel Macron puisse remettre l’ouvrage sur le métier, lui qui est désormais privé de toute majorité et écarté de la conduite des politiques nationales. Le chef de l’État s’est retranché sur ses prérogatives en matière de diplomatie et de défense. Pour tenter de se relancer, il a annoncé dans ses vœux télévisés du Nouvel An qu’il demanderait aux Français de «trancher» directement un certain nombre de «sujets déterminants», sous une forme qui reste énigmatique. Gageant que l’année à venir serait moins stérile que la précédente. ■ LOUIS HAUSALTER