« Trump juge l’ordre international dans lequel nous évoluons périmé, et le révoque par décret, à tout le moins sur le plan théorique, à son avantage. La gouvernance globale est derrière nous. »
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COMMENTAIRE JSF – Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce samedi 18 janvier. Mathieu Bock-Côté y constate, avec la vigueur et la lucidité qu’on doit bien lui reconnaître, que « l’illusion quasi-kantienne du faux centrisme perpétuel se dissipe sous nos yeux ». Cette illusion qui fut à l’origine de l’entreprise mondialiste et de son sous-ensemble : le rêve européiste. Nous qui sommes maurrassiens, ou tentons de l’être, percevons dès lors clairement que nous entrons dans un nouveau cycle de l’histoire des nations, bien plus proche du monde de Kiel et Tanger – celui qui inspira De Gaulle et Pompidou – que de celui de Fukuyama, le monde de la fin de l’Histoire, tel qu’interprété, en tout cas, par les élites mondialistes. C’est un retour au Réel donc, lequel n’est pas toujours synonyme de temps paisibles et heureux à venir.
CHRONIQUE – Donald Trump revient à la Maison-Blanche au moment où Justin Trudeau et Olaf Scholz quittent la scène. Un changement d’époque qui illustre le passage d’un système d’évidences à un autre.
Au-delà des frasques de Trump, c’est l’épuisement du système mondialiste issu de 1989 qu’il faut bien constater, sous le poids de ses contradictions objectives
Lundi, Donald Trump redeviendra président des États-Unis. Au-delà de son fascinant come-back, nous sommes surtout témoins, en direct, d’un changement d’époque. Car ce n’est pas seulement un président qui en remplace un autre, mais une vision du monde radicalement opposée à la précédente qui s’installe à la Maison-Blanche. On a déjà pu le constater depuis l’élection, Trump ne croit pas à ce qu’on appelait le leadership global américain, censé piloter la démocratisation du monde entier à partir de Washington. Il semble plutôt reconnaître, à la manière d’un état de fait, l’émergence d’un monde multipolaire, où de grandes puissances assurent sur de grands espaces leur hégémonie.
C’est ainsi qu’on comprend ses déclarations menaçantes plus qu’inattendues à l’endroit du Canada, du Groenland et du canal de Panama. Dans le premier cas, il s’agit surtout de forcer une renégociation des accords commerciaux entre les deux pays à coups de déclarations tonitruantes sur une éventuelle annexion que personne ne prend au sérieux. Dans les deux autres, on voit les États-Unis renouer avec une version renouvelée de la doctrine Monroe, dans un siècle nouveau. Autrement dit, Trump juge l’ordre international dans lequel nous évoluons périmé, et le révoque par décret, à tout le moins sur le plan théorique, à son avantage. La gouvernance globale est derrière nous.
Il y a une « promesse » trumpienne, quoi qu’on en pense. Elle consiste à remettre à plat, à tout le moins partiellement, et pas seulement au niveau international, une structure de pouvoir, qu’il a nommé avec d’autres « État profond », qui détourne le système américain au service d’une caste qui s’en est emparée à son avantage exclusif. L’expression sera contestée par plusieurs, mais on ne peut nier que le développement de l’État social et administratif, du régime diversitaire et de la mondialisation a permis la constitution en Occident d’une oligarchie d’un nouveau genre, servie par ce qu’on aurait appelé autrefois une nomenklatura progressiste.
D’ailleurs, au-delà des frasques de Trump, c’est l’épuisement du système mondialiste issu de 1989 qu’il faut bien constater, sous le poids de ses contradictions objectives. L’explosion de la dette, la fiscalité devenue écrasante, la submersion migratoire correspondant pratiquement à une contre-colonisation, la haine de soi, l’insécurité permanente, la démocratie neutralisée par « l’État de droit », la censure s’installant au nom de la lutte contre la « désinformation » et la « haine » sont désormais la norme partout en Occident. Sans oublier la vague woke des dernières années, qui n’est pas sans lien avec la crise de la santé mentale des jeunes générations.
Une révolte populiste se fait partout sentir
La classe politique d’extrême centre qui incarnait ce système mondialiste à la grandeur du monde occidental est partout déstabilisée. Justin Trudeau et Olaf Scholz quittent la scène. Keir Starmer n’a dû son élection qu’à la distorsion produite par un système électoral accordant une prime massive à celui qui arrive premier dans les urnes. À bien des égards, il en est de même, en France, où la macronie s’est repliée dans les institutions non électives, et ne s’est maintenue politiquement en place, elle aussi, que grâce aux distorsions du système électoral entraîné par la remobilisation du front républicain. Cette caste débordée ne cache pas sa tentation autoritaire, apparemment pour sauver, comme elle dit, « notre démocratie ».
Car une révolte populiste se fait partout sentir. Elle accuse de trahir l’esprit véritable de la démocratie. Certes, Pierre Poilievre, Nigel Farage, Marine Le Pen, Alice Weidel et bien d’autres expriment des sensibilités distinctes mais sont portés par la même dynamique. Le populisme, qu’il soit identitaire, conservateur, social, ou libertarien, traduit chaque fois un sentiment de dépossession, une révolte contre la calcification des institutions, et une volonté de changer les règles du jeu. On reproche à Elon Musk de ne pas jeter l’opprobre sur ces forces politiques alors qu’il n’est normalement permis d’en parler médiatiquement qu’en les maudissant et en les extrême-droitisant, en les assimilant à une « internationale réactionnaire ».
On en revient au changement d’époque. Il correspond au passage d’un système d’évidences à un autre. Ce qui allait de soi ne va plus de soi. Et inversement. L’immigration n’est plus perçue comme une chance, le protectionnisme ne passe plus automatiquement pour un archaïsme, la bureaucratie n’est plus jugée naturellement compétente et le wokisme est enfin considéré comme le symptôme et la cause, tout à la fois, d’un effondrement psychique. Les forces politiques qui entendent remplacer les précédentes élites n’arrivent pas avec une musique d’ascenseur et les années qui viennent seront troubles, turbulentes. L’illusion quasi-kantienne du faux centrisme perpétuel se dissipe sous nos yeux. ■ MATHIEU BOCK-CÖTÉ