En matière d’erreurs, Angela Merkel est orfèvre. Son heure est passée, tout comme celle d’Olaf Scholz. L’Allemagne d’aujourd’hui est touchée à la fois dans son identité (« 63% des Allemands favorables à un blocage des demandeurs d’asile à la frontière ») et dans son portefeuille (Le PIB allemand a chuté de 0,2% au 4e trimestre 2025). Une telle conjoncture n’est guère favorable aux centristes démocrates-chrétiens et socio-démocrates de l’après-guerre. Cette époque paraît bel et bien est révolue. Et les législatives sont fixées au 23 février… JSF
DÉCRYPTAGE LE FIGARO DU 30.01.2025 – – L’ancienne chancelière allemande, figure de la CDU, a blâmé le président de son parti Friedrich Merz, après le vote d’une motion parlementaire sur l’immigration grâce aux voix de l’AfD.
L’adoption au Bundestag d’une motion parlementaire de la CDU sur l’immigration grâce aux votes du parti d’extrême droite AfD a déclenché une tempête politique en Allemagne. Ce jeudi matin, Angela Merkel, l’ancienne chancelière et figure de la CDU, pourtant peu habituée à critiquer son propre parti, est sortie de sa réserve.
Dans un communiqué publié sur son site internet, elle a regretté que Friedrich Merz, l’actuel président de la CDU ait renoncé à son engagement de novembre dernier de ne s’associer au Bundestag qu’à des partis centristes, et en aucun cas à l’AfD.
« Une erreur impardonnable »
« Il est nécessaire que tous les partis démocratiques travaillent ensemble, au-delà des frontières politiques partisanes», affirme-t-elle, avant d’appeler à rejeter «les manœuvres tactiques». L’ancienne chancelière réclame le retour de la mesure «sur la base du droit européen applicable, pour empêcher des attentats aussi terribles que celui de Magdebourg et d’Aschaffenburg .»
De leur côté, le SPD et les Verts fulminent contre cette première historique. Pour l’actuel chancelier Olaf Scholz, il s’agit d’«une erreur impardonnable». «Depuis la fondation de la République fédérale d’Allemagne il y a plus de 75 ans, il y a toujours eu un consensus clair de tous les démocrates dans nos parlements : nous ne faisons pas cause commune avec l’extrême droite», a-t-il affirmé devant le Parlement.
Le ministre de l’Économie et chef de file des Verts allemands, Robert Habeck a également exprimé toute l’hostilité que lui inspire cette alliance. «Au-delà des questions démocratiques que cela implique et du renoncement à la parole donnée, cette coopération entre l’AfD et la CDU serait un clou au cercueil de l’économie allemande», a-t-il déclaré au Bundestag, faisant référence à la main-d’œuvre immigrée. «Les gens qui ne s’appellent pas Mayer, Müller ou Habeck pourraient bien quitter le pays», a-t-il déploré.
« Je n’aurais jamais pu m’imaginer qu’un parti chrétien-démocrate serait capable de rompre la digue qui le sépare de l’extrême droite ».Heidi Reichinnek, membre du parti Die Linke.
«Je n’aurais jamais pu m’imaginer qu’un parti chrétien-démocrate serait capable de rompre la digue qui le sépare de l’extrême droite», s’est emportée l’une des chefs de file du parti de gauche, Die Linke, Heidi Reichinnek. Elle a terminé sa prise de parole par un appel à son camp : «Résistons au fascisme dans ce pays !» Une semaine après une attaque au couteau faisant deux morts dont un enfant de 2 ans dans un parc en Bavière et trois semaines avant les élections législatives, la classe politique allemande est en ébullition.
Les réactions sont outrées, mais faut-il voir pour autant dans ce vote les prémices d’une coopération renforcée entre la CDU et la sulfureuse AfD ? Les observateurs interrogés par le Figaro s’accordent à répondre par la négative. Outre-Rhin, l’AfD continue de susciter chez les partis conventionnels une répulsion très forte. Le fameux «Brandmauer», littéralement coupe-feu, qui se traduirait en français par «cordon sanitaire» est encore solide. Il existe certes localement des exemples de collaboration entre une aile droite de la CDU et l’AfD, notamment en Saxe et en Thuringe, mais le parti reste un repoussoir.
Un basculement symbolique
«L’AfD est toujours très virulente, n’hésitant pas à relativiser la politique du IIIème Reich, elle n’est certainement pas en voie de notabilisation», analyse Jacques-Pierre Gougeon, directeur de l’observatoire de l’Allemagne à l’IRIS. «On ne verrait jamais, comme ça pourrait être le cas en France, un vice-président du Bundestag issu des rangs de l’AfD», ajoute Paul Maurice, chercheur au comité d’étude des relations franco-allemande de l’IFRI. Ce vote commun représente incontestablement un basculement symbolique en Allemagne, même si la motion parlementaire adoptée n’a aucune valeur législative.
Tout porte donc à croire qu’il s’agit d’une manœuvre politique étrangement calculée par Friedrich Merz, aspirant très sérieux à la Chancellerie. «Sa campagne pour les élections législatives, axée sur des thèmes économiques, ne décollait pas, contrairement à celle de l’AfD. Ainsi, il se remet au centre du jeu et tente d’endiguer la chute de la CDU dans les sondages», analyse Paul Maurice. Selon lui, le candidat marque aussi sa divergence de ligne avec celle qui l’a précédé : «Il se débarrasse de l’héritage Merkel pour qui il a une forte inimitié et qu’il tient pour responsable de la montée de l’AfD. » En affirmant son identité plus droitière, il montre à ses électeurs, majoritairement défavorables à l’immigration et scandalisés par la multiplication d’attaques violentes commises sur leur sol par des ressortissants étrangers, qu’il compte agir de façon offensive sur ce volet.
63% des Allemands favorables à un blocage des demandeurs d’asile à la frontière
Selon un sondage de la deuxième chaîne de télévision allemande ZDF mené auprès de 1500 personnes et publié ce jeudi, 63% des Allemands se disent favorables au rejet des demandeurs d’asile à la frontière, l’une des propositions figurant dans la motion de la CDU. Près de 70% des sympathisants de la CDU/CSU sont favorables à un renforcement de la politique migratoire selon ce même baromètre. Cependant, selon Paul Maurice, «s’il peut gagner des électeurs sur le fond du texte, Merz en perd certains sur la forme». Les électeurs qui sont restés fidèles à la CDU et n’ont pas migré vers l’AfD, notamment ceux de l’aile centriste autrefois incarnée par Merkel, restent frileux à l’idée d’une association politique avec le sulfureux parti d’Alice Weidel.
Si le pari est donc dangereux sur le plan électoral, la stratégie politique n’est pas moins hasardeuse. «Merz n’a pas anticipé la capacité de la gauche à se fédérer contre lui», analyse Patrick Moreau, docteur en histoire et chercheur au CNRS, auteur de L’Autre Allemagne : Le réveil de l’extrême droite (Vendémiaire). «Sa charge de cavalerie recentre le débat autour de l’éthique politique, de la non-violation nécessaire du droit européen.» En plus d’enclencher une soudaine levée de boucliers de l’ensemble de l’opposition, ce précédent pourrait bien crisper les potentiels futurs partenaires de coalition de la CDU et compliquer sa tâche lors des négociations post élections législatives. «Friedrich Merz prend le risque que les Verts refusent de faire une coalition avec lui, avance Patrick Moreau. Et s’ils acceptent, lui qui veut ardemment devenir chancelier, devra mettre énormément d’eau dans son vin, ce qui sera un signal politique catastrophique.»
Les députés allemands seront de nouveau appelés à voter ce vendredi sur un projet de loi sur l’immigration à l’initiative de la CDU. «Mais cette fois, le parti devrait proposer une version plus ’soft’ pour rallier les voix des sociaux-démocrates et de la gauche», suppose Jacques-Pierre Gougeon. ■