L’Algérie a tout gâché et a dressé contre elle une bonne partie de la classe politique et de l’opinion publique française. Quelle politique à courte vue de la part des dirigeants algériens !
Entretien par Ronan Planchon.
Cet entretien – qui prolonge utilement la tribune de Pierre Lellouche que nous avons publiée hier – est paru dans Le Figaro de ce 31 janvier. Il n’appelle pas de commentaire sauf que faire plier l’Algérie en la circonstance pourrait conduire, à l’inverse de ce que l’on croit, à des rapports plus normaux avec ce Pays. Cela étant dit, il faut bien penser que ce n’est guère du genre d’Emmanuel Macron de pouvoir faire plier quelqu’un et que, d’autre part, les actuels dirigeants algériens ne tiennent en place que par l’usage intensif d’un ressentiment dit mémoriel incessamment entretenu par leurs soins contre la France.
ENTRETIEN – Après la suspension par la justice de l’expulsion de l’influenceur Doualemn vers l’Algérie, l’ancien ambassadeur de France à Alger y voit une conséquence des errances de notre système judiciaire.
Xavier Driencourt est diplomate et ancien ambassadeur de France en Algérie. Il a publié L’Énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger (editions de l’Observatoire, 2022).
LE FIGARO. – La suspension de l’expulsion de la France vers l’Algérie de l’influenceur Doualemn est-elle un aveu d’échec de la France dans la crise qui l’oppose à Alger ?
XAVIER DRIENCOURT. – Je ne crois pas que l’on puisse vraiment dire que cette suspension de l’expulsion du dénommé Doualemn constituerait un échec pour la France. Soyons clairs, c’est encore moins un échec pour le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Il faut simplement rappeler que contrairement à l’Algérie, qui, elle, a refusé de faire entrer sur son sol un ressortissant algérien muni d’un passeport biométrique algérien, la France est un État de droit.
Ce sont les juges français qui ont considéré qu’il n’y avait pas d’« urgence absolue » à expulser Doualemn vers l’Algérie. C’est notre système judiciaire, notre environnement juridique qui est en cause et peut-être une certaine tendance des juges administratifs comme judiciaires à interpréter de manière extensive la situation administrative d’un étranger au regard du seul droit, sans tenir compte de l’environnement politique et diplomatique. C’est là où le bât blesse.
Quelles sont les marges de manœuvre dont dispose la France pour faire plier l’Algérie ?
Nous disposons, je l’ai souvent dit, de leviers vis-à-vis de l’Algérie : je relève d’ailleurs que toute la classe politique, à quelques exceptions à gauche, a repris les éléments que j’avais déjà mis en avant : l’abrogation de l’accord franco-algérien sur la circulation des personnes, du 27 décembre 1968 ; dénonciation de l’échange de lettres entre Bernard Kouchner et Mourad Medelci en avril 2007 sur l’exemption de visas pour les titulaires de passeports diplomatiques ; quelques contrôles fiscaux ou autres, bien ciblés, sur des personnalités algériennes en France.
Enfin, il faut rappeler que la délivrance de visas reste un acte de souveraineté de même que l’admission sur le territoire national ; avoir un visa Schengen ne signifie pas un droit absolu à entrer en France ; cela veut dire que la police aux frontières (PAF) peut demander des justificatifs à une personne qui aurait déjà obtenu un visa, en fait les mêmes justificatifs que le titulaire du visa a fournis lorsqu’il a déposé son dossier (hébergement, devises, etc.). La PAF peut ainsi s’opposer à l’entrée sur le territoire de personnes titulaires de visas et, comme le fait l’Algérie, les remettre dans l’avion pour Alger.
Faites cela pour les passagers d’un vol Air Algérie, cela aura une valeur pédagogique, surtout quand on voit les critiques algériennes à propos de passagers algériens qui auraient été mal traités à Orly. Enfin, la France peut bloquer à Bruxelles les discussions qui devraient avoir lieu entre la Commission et l’Algérie à propos de l’accord d’association UE-Algérie. Il y a donc une gamme de mesures à utiliser. Mais veut-on aller jusque-là ?
Quelles seraient les conséquences de sanctions commerciales pour l’Algérie ? Ce pays peut-il se le permettre ?
Dans ce domaine, la France ne dispose pas vraiment d’outils à sa main. Nous sommes fournisseurs d’un certain nombre de produits dont l’Algérie a besoin, mais elle peut, comme elle l’a déjà fait sur les achats de blé, se tourner vers d’autres fournisseurs. Nous serions plus performants sur les liens bancaires, financiers, technologiques, par exemple, où nous pouvons bloquer certaines transactions. Et, encore une fois, il y a l’accord d’association entre l’UE et l’Algérie.
Emmanuel Macron a voulu, dès 2017, ouvrir un cycle mémoriel réparateur avec l’Algérie. Cette crise diplomatique est-elle le signe qu’Alger n’a jamais eu l’intention de saisir la main tendue de la France ?
Je crois que l’Algérie s’est mise dans une posture diplomatique qui est devenue un piège pour elle : à force de faire monter les enchères vis-à-vis de la France dans le domaine mémoriel ou autre, le « système » algérien a fini par se tirer une balle dans le pied. C’est lui qui a besoin de la France et de l’Europe ; c’est ce « système » qui ne réalise pas qu’il n’a jamais eu un interlocuteur aussi favorable à la réconciliation entre les deux pays que l’actuel président français…….
Au lieu de saisir cette occasion unique, l’Algérie a tout gâché et a dressé contre elle une bonne partie de la classe politique et de l’opinion publique française. Quelle politique à courte vue de la part des dirigeants algériens ! Il faudra bien qu’ils sortent du piège où ils se sont mis, car la possibilité qu’il arrive quelque chose à Boualem Sansal serait la pire des choses pour ce « système ». À force de tirer sur la corde, celle-ci finit par casser. ■
De Gaulle croyait pouvoir se débarrasser du boulet algérien en 1962. Quelle illusion !
On ne se sort pas de deux siècles de mariage comme ça. Les français voudraient « oublier » cette parenthèse.
C’est impossible. La réalité s’impose…
En attendant le renouveau de la piraterie en Méditerranée.
Je me rappelle avoir lu il y a bien longtemps dans l’Enquète sur la monarchie cette observation qui est, je crois, de Paul Bourget : « De plus en plus et nécessairement nous serons gouvernés par les morts ». Autrement dit le passé nous colle à la peau comme on dit familièrement aujourd’hui ! Malgré la séparation, l’Algérie se colle à nous !