
JD Vance a donc seulement rappelé que les communautés naturelles sont des lieux d’affection privilégiée
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Cette chronique est parue sur le JDD, hier 16 février. Elle remet les pendules à l’heure sur divers points de ce retour au bon sens auquel paradoxalement l’Amérique nous invite aujourd’hui. On aurait tort de ne pas en accepter les maximes positives et tout aussi tort d’en prendre prétexte pour ne pas défendre bec et ongles nos intérêts nationaux face à la voracité de la même Amérique.
CHRONIQUE. En affirmant qu’il existait une hiérarchie dans l’affection que l’on porte aux êtres, en fonction de leur proximité, le vice-président américain a soulevé un tollé. C’est oublier que l’amour du prochain exprime en substance depuis l’Antiquité l’amour du plus proche, rappelle l’historien Jean-Marc Albert.
Le véritable égoïsme serait de faire croire que l’on peut aimer toute la planète de manière inconditionnelle
Ce ne fut sans doute pas le sujet principal de la Saint-Valentin mais le propos du vice-président américain J.D. Vance sur l’« ordre de l’amour » a nourri une polémique mondiale. Le truculent Hillbilly s’est fendu d’une réflexion sur l’amour du prochain pour justifier le slogan trumpien « l’Amérique d’abord » et sa politique migratoire. Reprenant l’échelle des affections, il a affirmé qu’on aime sa famille, puis son « voisin », sa « communauté » et enfin son « propre pays » avant de « donner la priorité au reste du monde » et d’ajouter que « cela ne signifie pas détester quelqu’un d’autre » mais « faire passer les intérêts des citoyens américains en premier ».
Ce propos évident a pourtant déclenché l’ire de tout ce que la planète compte de bien-pensants, mais plus encore des milieux chrétiens progressistes qui y ont vu un détournement du principe spirituel de fraternité universelle. Éprouvé par une enfance pauvre et animé d’une foi simple, J.D. Vance, converti au catholicisme, a répondu au contraire, que l’amour porté à ses proches était le premier devoir naturel de tout être. La discussion n’est pas neuve. Depuis la parabole du Bon Samaritain, la question posée au Christ de savoir « qui est mon prochain ? » n’a pas fini de susciter des débats.
Pour contrer les mots de Vance, l’exégèse moderne a convoqué hâtivement ses fondamentaux évangéliques comme le mal compris : « Aimez-vous les uns les autres, comme Je vous ai aimés ». L’amour ne connaissant pas de frontières, les enfants de Dieu doivent être doux entre eux comme le Seigneur l’est envers chacun. Par l’encyclique Fratelli Tutti, le pape François a repris cette injonction poussant les êtres, « créés à l’image de Dieu » à se porter un amour sans restriction jusqu’à leurs ennemis.
Pourtant, un simple examen étymologique de prochain suffit à établir sa dimension hiérarchique. L’amour du prochain n’est pas l’amour de tous mais du plus proche – du superlatif proximus. C’est le sens que donnent les Romains à l’amicitia et avant eux, les Grecs à la philia aristotélicienne. La communauté charnelle se fonde primitivement, presque organiquement, sur l’affection que se portent les citoyens mus par le sentiment de partager un socle commun de principes qui les rapprochent, bien au-delà des seuls liens juridiques. La loi naturelle, inscrite au cœur de l’Homme, privilégie la vertu de l’amour filial puisque c’est avec le père et la mère, honorés par le Décalogue, que nous faisons la première expérience de l’amour.
JD Vance a donc seulement rappelé que les communautés naturelles sont des lieux d’affection privilégiée
L’amour chrétien, ou agapé, élargit cette hiérarchie des affections à des cercles toujours plus larges. C’est dans la charité que peut se réaliser la fraternité entre les hommes en union avec le Christ. Søren Kierkegaard peut citer l’encouragement paulinien à l’amour universel, saint Paul exige un amour qui « regarde ceux qui sont plus proches de nous avant ceux qui sont meilleurs » et, à Timothée, en appelle au soin prioritaire de son foyer.
Mais lorsque le vice-président américain évoque l’idée de « s’aimer soi-même avant d’aimer les autres », il est accusé de contredire le mépris de soi enseigné par l’Église pour s’élever à Dieu. Pourtant le magistère incite certes à renoncer à l’amour de son propre corps, mais pas à celui de son âme qui peut contribuer au Bien commun comme à son bien propre. S’aimer soi-même, c’est accepter de s’oublier pour aider ce proche que l’on aime.
J.D. Vance a donc seulement rappelé que les communautés naturelles sont des lieux d’affection privilégiée. Chacun peut se sentir relié à l’humanité tout entière, la vie en commun nécessite de faire des choix. La Cité augustinienne évoque cet Ordo amoris quand saint Thomas d’Aquin insiste sur le devoir d’aimer de manière appropriée ceux qui nous sont proches dans la Foi mais aussi dans le cercle de la famille et de la cité, « les personnes qui nous sont les plus proches sont celles qui nous sont unies par les liens du sang et de l’amitié ; c’est pourquoi nous devons les aimer plus que les autres ». Dans l’ordre politique, l’ordo amoris du Christ invite les dirigeants de la cité à veiller d’abord sur ceux qu’ils gouvernent. De la préférence familiale à la préférence nationale, l’ancien sénateur de l’Ohio assimile la responsabilité parentale de pourvoir au bien-être de la fratrie à celle des pouvoirs publics à l’égard des membres de la patrie. Il est naturel que l’État protège d’abord les siens.
L’amour du prochain n’exclut pas celui porté aux autres mais ces deux formes d’affection ne se confondent pas, elles s’ordonnent, se priorisent et s’enrichissent mutuellement. Effacer cette distinction conduit à perdre le sens de l’amour du prochain et l’inclination à persévérer dans notre être. Par Charité, nous voulons le salut de tous mais nous n’avons pour obligation que de secourir ceux que nous pouvons aider. Nous ne serons punis que si nous abandonnons nos familles.
Le véritable égoïsme serait de faire croire que l’on peut aimer toute la planète de manière inconditionnelle. Saint Augustin synthétise avec force le dynamisme de toute société, « tous les hommes doivent être aimés de la même manière. Mais comme vous ne pouvez pas faire du bien à tous, vous devez accorder une attention particulière à ceux qui, par les hasards du temps, du lieu ou des circonstances, se trouvent en relation plus étroite avec vous ». Charité bien ordonnée. ■ JEAN-MARC ALBERT
C’est ce que Jean-Marie avait dit il y a quelques décennies.
Il est très bien ce Vance le bras droit de Donald…