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« Remarquons que le gouverneur de la Banque de France ne semble pas plus inquiet que les agences de notation. Comme tous les financiers internationaux, il sait que l’administration française est performante pour arriver à prélever l’impôt malgré des lois qui changent en permanence et des entreprises qu’il devient de plus en plus difficile de ponctionner du fait de la mondialisation du commerce et de la libre circulation des hommes et des capitaux. »
Par François Schwerer.
Taxer les retraités, surtout ceux de cette génération coupable qui a tout sacrifié à sa jouissance ? Pourquoi pas mais à tant faire qu’avoir une crise de conscience, pourquoi ne pas changer l’État qui a permis cette folie ?
« Si la situation actuelle est devenue insupportable pour le pays, si la génération en responsabilité aujourd’hui a fortement accentué la dérive financière que nous connaissons, les retraités en sont très largement responsables. »
Depuis quelques mois maintenant, nos hommes politiques en mal de ressources et d’idées pour équilibrer le budget du pays lorgnent sur l’argent des retraités. Tout le monde s’accorde à dire que la France est le pays où, malgré un déficit de plus en plus important, les ponctions légales sont les plus élevées. Pourtant nul ne cherche sérieusement à couper dans les dépenses de l’Etat mais simplement à trouver comment capter un peu plus de richesses privées au profit du budget national. Dans un pays réputé libéral, plus de 50 % du PIB est entre les mains de l’Administration. La charge des intérêts des dettes publiques ne cesse de croître ; elle est en passe de devenir le premier poste budgétaire. Le prochain budget sera encore déséquilibré et pourtant les agences internationales de notation ne semblent pas inquiètes.
Comment la France a-t-elle garanti ses dettes ?
Remarquons que le gouverneur de la Banque de France ne semble pas plus inquiet que les agences de notation. Comme tous les financiers internationaux, il sait que l’administration française est performante pour arriver à prélever l’impôt malgré des lois qui changent en permanence et des entreprises qu’il devient de plus en plus difficile de ponctionner du fait de la mondialisation du commerce et de la libre circulation des hommes et des capitaux. En fait, il sait qu’il reste trois garanties principales pour les prêteurs qui acceptent de soutenir la socialisation « à bas bruit » de la France. Ces trois garanties sont d’abord l’impossibilité pour les particuliers de délocaliser certains biens : leur logement et leurs autres biens fonciers. Faciles à taxer et avec une valeur soutenue grâce à une spéculation importante et une législation « incitative », elles assurent une rentrée sans risque pour de nombreuses années. Si les revenus des petits propriétaires ne permettent plus un jour de faire face aux charges qui leur incombent, ils seront acculés à les vendre et les créanciers de la France auront ainsi la possibilité de se faire rembourser à bon compte. La deuxième garantie est l’ensemble de l’épargne des Français maintenue sur des supports comme les livrets bancaires. Cette épargne est stable, étant mise de côté par une multitude de petits porteurs auxquels elle répond à un besoin de précaution. Ces petits épargnants ne disposent pas de liquidités suffisantes pour les délocaliser grâce à des montages réservés aux opérateurs internationaux. La dernière garantie est constituée par le patrimoine national qu’il soit industriel (lequel peut être vendu à des fonds de pension ou des entreprises multinationales), commercial (comme l’aéroport de Toulouse) ou artistique (comme cela avait été imposé à la Grèce il y a quelques années). Reste enfin la possibilité de taxer encore un peu plus les populations qui ont le moins les moyens de se rebeller ; au premier rang, les retraités.
Comment taxer les retraités ?
Sur ce sujet l’imagination ne manque pas à défaut d’être vraiment originale. Outre geler les pensions, certains imaginent supprimer purement et simplement l’abattement de 10 % dont ils bénéficient au même titre que les salariés sous prétexte que cet abattement est officiellement censé couvrir les frais professionnels qu’ils n’ont plus à supporter. En fait, quand cet abattement a été mis en place les parlementaires avaient explicitement avancé l’idée qu’il permettait en partie de gommer la différence existant entre les salariés qui ne pouvaient pas tricher et les non-salariés qui avaient la possibilité de minorer leurs revenus déclarés en faisant supporter à leur industrie certaines dépenses ayant un caractère plus ou moins privé. Ces discussions sont oubliées, l’intitulé de l’abattement est resté. Il reste qu’en France il est toujours très difficile de revenir sur un « avantage acquis ». Une autre piste vient d’être explorée par le ministre du Travail : faire supporter une taxe supplémentaire aux retraités percevant plus de 2 000 ou 2 500 euros par mois. Il ne faut pas s’illusionner : si cette solution était retenue, le Conseil constitutionnel n’y trouverait rien à redire, l’égalité ne serait pas atteinte puisque tous les retraités y seraient assujettis. Le ballon d’essai est lancé, il n’y a plus à attendre que l’idée mûrisse. Une autre mesure a été envisagée qui consisterait à faire disparaître certaines « niches fiscales » comme les abattements d’impôt pour les aides à la personne. On pourrait aussi faire supporter aux propriétaires de leur logement une taxe spéciale puisqu’ils ont le privilège de ne pas payer de loyer, mais cette mesure ne toucherait pas que des retraités et cela pourrait déstabiliser un peu plus le marché de l’immobilier qui, actuellement, ne se porte pas bien. Reste que toutes ces mesures n’apporteraient que des nouvelles ressources relativement limitées et pourraient avoir des effets pervers non évalués. Ayant perdu la disposition de certaines ressources les retraités pourraient moins aider leurs enfants – pour ceux qui ont eu le courage d’en avoir –, diminuer leurs activités bénévoles qui sont en fait souvent sources de frais et de dons et finir par se priver de certaines dépenses, notamment de santé. Il n’en demeure pas moins que demander aux retraités de « participer à l’effort national » semble aux yeux de beaucoup une décision de justice fiscale.
Pourquoi taxer spécifiquement les retraités ?
Ce qui vient spontanément à l’esprit de ceux qui défendent ce type de mesure est que, d’un côté, les retraités, surtout les plus âgés, ne descendent plus facilement dans la rue pour manifester leur désapprobation et que, d’un autre côté, il y a peu de chance qu’ils soient soutenus par des actifs qui d’une part sont déjà fortement ponctionnés et qui d’autre part n’y verront qu’une mesure de justice sociale et fiscale. Sur ce dernier point il est difficile de leur donner entièrement tort. En effet les dettes de la France sont, en grande partie, dues à l’égoïsme des personnes aujourd’hui à la retraite. Car ce sont bien les retraités d’aujourd’hui qui sont à l’origine des dettes contractées hier pour faire face aux dépenses de fonctionnement (et pas seulement d’investissement). Ils ont cru à l’époque bien vivre en profitant des efforts de leurs parents, ceux qui ont reconstruit la France d’après-guerre et engendré les « trente glorieuses » et en renvoyant la charge de leurs consommations sur les rares enfants qu’ils ont eus – rares en grande partie parce qu’ils risquaient d’entraver leur liberté de jouissance immédiate. Ils ont d’autre part mal élevé ces enfants en les habituant à bénéficier de nombreuses aides d’État pour des activités qui leur paraissent désormais indispensables à la vie. Ils les ont habitués à se lamenter sur la misère des autres et donc à s’ingérer dans le fonctionnement des pays étrangers sans pour autant leur donner les moyens de comprendre exactement les besoins de ces derniers. Ils leur ont appris qu’ils avaient des droits avant d’avoir des devoirs. Ils leur ont enfin montré comment ils avaient réduit leur propre solidarité avec leurs parents en les parquant dans de véritables mouroirs où d’autres les prennent en charge. Ils n’ont pas fait évoluer le système de retraite pour tenir compte de l’effondrement démographique national, croyant pouvoir combler le manque de ressources à venir en ouvrant tout grand les portes aux immigrés.
Si la situation actuelle est devenue insupportable pour le pays, si la génération en responsabilité aujourd’hui a fortement accentué la dérive financière que nous connaissons, les retraités en sont très largement responsables. Ils sont rattrapés par un mouvement qu’ils ont déclenché et qu’ils ne maîtrisent plus, et leurs successeurs non plus. Dans cette conjoncture, tout le monde doit faire un effort et en tout premier, l’État. Celui-ci doit couper drastiquement dans toutes les dépenses inutiles ou superfétatoires, se concentrer sur ses missions régaliennes au service de ses propres citoyens, rendre aux Français les responsabilités qui sont les leurs et leur redonner le sens de l’effort et de la vraie solidarité. L’État-providence est mort ; il est temps que chacun s’en rende compte. Ce n’est pas parce que les États-Unis sont victimes (toute proportion gardée) des mêmes défauts qu’il faut croire que les nôtres ne sont que de simples péripéties ; c’est tout le monde occidental qui, à l’image des Américains, doit désormais s’interroger sur ses valeurs fondamentales et renouer avec ses racines profondes. La France restera-t-elle fascinée par ce qui n’est qu’un mirage aux alouettes ou réussira-t-elle à redevenir un phare pour un monde vraiment libre ? ■ FRANÇOIS SCHWERER
Article précédemment paru dans Politique magazine.
Dernier ouvrage paru…