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« En 1848, lord Palmerston, Premier ministre de la reine Victoria, dit définitivement à ce sujet : « Nous n’avons pas d’alliés éternels ni d’ennemis perpétuels. Nos intérêts sont éternels et perpétuels, et il est de notre devoir de les défendre. » La sphère du régalien, se doit d’appliquer cette maxime, la France et l’Algérie comme les autres. »
Par Karim Maloum et Xavier Raufer.
Cette contribution de Karim Maloum et Xavier Raufer est parue sur Atlantico le 27 février. Intéressantes analyses surtout factuelles, très éclairantes sur le rapport de forces en train de s’établir entre la France et l’Algérie. Un sujet d’actualité brûlante et d’importance majeure pour la France à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières.
A l’issue d’un comité interministériel de contrôle de l’immigration, François Bayrou a annoncé mercredi que la France allait demander à l’Algérie « que soit réexaminée la totalité de l’accord » de 1968 entre les deux pays. L’État algérien est-il encore en capacité de mener des stratégies d’influence sur la diaspora algérienne en France ?
Atlantico : Mercredi 26 février, François Bayrou annonce sa volonté de « réexaminer la totalité des accords » entre l’Algérie et la France. Une annonce survenant après plusieurs camouflets pour la France, avec le renvoi coup sur coup de plusieurs influenceurs algériens pourtant placés sous OQTF. Que sait-on, exactement, de la capacité d’ingérence du régime algérien sur le sol français ? Faut-il par exemple penser qu’Alger pilote ces influenceurs ?
Xavier Raufer : D’abord : récemment, les affaires franco-algériennes sont dans la vitupération énervée – mauvais plan pour régler les problèmes sérieusement et durablement. Or les énervés-vitupérateurs ne savent rien de l’Algérie présente, n’y ont jamais mis les pieds, ne connaissent nul Algérien influent et n’ont en tête que des fantasmes d’hostilité. Je connais un peu ce pays, y ai enseigné comme criminologue et y ai rencontré des d’officiels. C’est à ce titre que je vous réponds. De même d’ailleurs, au Maroc ou au Sénégal car à l’Institut de criminologie, nous avons formé bien des cadres « régaliens » de l’Afrique francophone du Maghreb et du Sahel.
Ensuite, ce rappel sur la relation entre deux pays souverains : En 1848, lord Palmerston, Premier ministre de la reine Victoria, dit définitivement à ce sujet : « Nous n’avons pas d’alliés éternels ni d’ennemis perpétuels. Nos intérêts sont éternels et perpétuels, et il est de notre devoir de les défendre. » La sphère du régalien, se doit d’appliquer cette maxime, la France et l’Algérie comme les autres.
Enfin, tout ce qu’il advient entre la France et l’Algérie (ou tout autre pays d’ailleurs…) relève de la réciprocité. La France peut autant que l’Algérie s’informer… Influencer… séduire ou contraindre le pays d’en face. Cet équilibre a longtemps prévalu entre Paris et Alger – d’abord, lors de la terrible guerre civile menée par le régime algérien contre ses propres islamistes. Équilibre maintenu quand M. Le Drian était ministre de la défense, mais rompu ensuite sous la présidence Macron, en tout point désastreuse, s’agissant de toute l’Afrique.
Karim Maloum : C’est un sujet important, sur lequel circulent un certain nombre d’informations parfois inexactes, sinon erronées. Depuis l’indépendance de l’Algérie et même depuis la fin de la guerre franco-algérienne, les relations entre la France et l’Algérie ont toujours été assez mauvaises, tendues. Cela s’explique par l’exploitation systématique, par l’Algérie, de la rente mémorielle. Cela n’a évidemment rien de nouveau, mais c’est un point important qu’il faut bien comprendre avant d’appréhender la suite. Depuis la fin du conflit, la France est ainsi confrontée à une vague migratoire incontrôlée (qui, reconnaissons-le, ne vient pas que d’Algérie, mais bien du Sahel, de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, etc.). Les Algériens constituent la plus grande des communautés immigrées en France. Parmi eux, certains ont décidé de jouer les influenceurs. Il s’agit parfois, ainsi qu’en témoigne l’actualité récente, d’individus frappés par des OQTF, tout à la fois analphabètes et incultes, qui appellent à tuer des Français et des ennemis du régime algérien. Faut-il penser qu’ils sont téléguidés, manipulés, structurés par le régime ? Pas nécessairement. Nombreux sont ceux qui ont décidé de s’autoproclamer influenceurs et qui le font sur le sol français. L’exécutif actuel a d’ailleurs décidé de prendre des mesures fermes pour adresser ce problème (il aura tout de même fallu attendre une vingtaine d’années avant d’en arriver là). Naturellement, ces influenceurs sont instrumentalisés par le régime, ils sont parfois manipulés, et cette capacité de l’Algérie à structurer pour partie (sans pour autant avoir recours à une “structure parallèle” qui viendrait téléguider les individus) ce type de comportement est inquiétante. L’Algérie n’hésite en effet pas à profiter de la volonté des uns et des autres qui veulent déstabiliser la France. Elle les alimente, parfois elle discute même avec eux.
Pour autant, je crois que le principal danger est ailleurs. Le problème de fond, il me semble, c’est la cinquième colonne qui travaille la société française de l’intérieur. Elle est composée de Franco-Algériens et de Français qui font tout pour défendre les intérêts d’un pouvoir en place, lequel est pourtant une mafia politico-financière qui s’appuie sur cette même rente que nous décrivions précédemment pour désigner la France comme bouc émissaire systématique quand elle est confrontée à un problème de politique interne. Ces personnes, celles qui composent la cinquième colonne, en font de même au nom de l’antiracisme, de l’anti-impérialisme, de la lutte contre le capitalisme et contre tout un tas d’autres sujets qui les énervent. Le pouvoir algérien constitue, pour ces gens, un vecteur de mobilisation en France et, dans certains cas, l’occasion d’engranger des voix. Vous l’aurez compris, je parle évidemment de la France Insoumise, mais aussi des Verts, d’une partie des socialistes et, d’une façon générale, de l’extrême gauche française. Pourquoi adoptent-ils ce comportement ? Parce qu’ils ont compris qu’un certain nombre d’Algériens ayant aussi la nationalité française sont de potentiels électeurs et qu’ils entendent récupérer leurs voix. On pourrait ainsi citer Karim Zéribi, Jean-Michel Aphatie (qui est d’ailleurs tout à fait à l’aise à l’idée de comparer colonialisme et nazisme !)… Force est de constater qu’ils sont capables d’aller très loin pour s’appuyer sur un discours très simple : donner dans l’invective, ne jamais perdre de vue que plus c’est gros, plus ça passe. Ils font valoir un vernis culturel et intellectuel qui, contrairement aux influenceurs que nous évoquions, leur permet de passer dans la presse et d’avoir pignon sur rue. À cet égard, ils me paraissent considérablement plus dangereux.
Que sait-on, par ailleurs, de la capacité de l’Algérie à engendrer du trouble à l’ordre public et autres types de déstabilisation sur le sol français ?
Xavier Raufer : Votre question suppose que la diaspora algérienne en France obéisse au doigt et à l’œil au régime d’Alger – lequel, dans cette hypothèse, est vu comme un bloc monolithique. Or la jeunesse d’origine algérienne vivant en France est vue à Alger avec une infinie méfiance ; car ces jeunes, quand ils rentrent au « bled », tendent à s’y comporter comme dans le neuf-trois, ce qui déplait fort, notamment à la Gendarmerie nationale algérienne, au rôle crucial dans la sécurité intérieure de l’Algérie. Et les quelques dizaines de militaires et civils régissant pour l’essentiel ce pays – le « régime » si vous voulez – ne sont pas tous sur la même ligne ; il a longtemps existé en son sein ce qu’on appelait « le parti de la France », proche des sphères régaliennes françaises ; face à d’autres courants plus tiers-mondistes ou révolutionnaires.
Karim Maloum : Nous l’avons évoqué : il peut arriver que l’Algérie, désireuse de profiter d’individus d’ores et déjà décidés à déstabiliser le pays, alimente certains influenceurs, par exemple. D’une façon ou d’une autre, elle fera tout pour activer ses relais et défendre son point de vue. Cela va de la pression exercée pour peser sur la classe politique ou sur le secteur de la presse à l’utilisation de la carte de l’intellectuel. Ils sont nombreux, nos experts et nos intervenants privilégiés des médias, à reprendre le discours de l’Algérie.
Récemment encore, un politologue affirmait sur un plateau que l’armée française avait tué un million d’Algériens pendant la guerre d’Algérie. Cela n’a aucun sens, puisqu’il n’y avait, à l’époque, que 3 millions d’Algériens. L’armée française aurait-elle tué 33 % de la population ? Un tiers des Algériens ? Cela n’a pas de sens. Et pourtant, ce chiffre est répété à tort et à travers, au seul prétexte qu’il émane du pouvoir algérien. Le bilan total de la guerre est estimé à environ 400 000 morts, dont 25 000 à 30 000 soldats français, à peu près autant de harkis assassinés et environ 300 000 Algériens. C’est un nombre très conséquent, qui illustre toute l’horreur de cette guerre. Personne ne niera la violence et le drame qu’elle représente. Cela ne signifie pas pour autant qu’un million d’Algériens ont été tués.
Comment discuter avec l’Algérie si celle-ci diffuse de fausses informations de ce genre, si elle verse dans le révisionnisme historique pour affirmer que la France est toujours responsable de tout ? Or, on constate que la propagande algérienne trouve un écho favorable en France. C’est particulièrement inquiétant. Il faut mener le combat démocratique et intellectuel en France.
Pour déstabiliser le pays, l’Algérie s’appuie sur plusieurs relais. L’histoire qui lie la France à l’Algérie remonte à 1827. Autant dire que les liens sont nombreux. Certains n’ont même pas besoin d’être sollicités par le régime pour en faire la promotion, comme c’est le cas de Karim Zéribi, qui joue les porte-parole de la dictature algérienne. Personne n’a imposé à Sandrine Rousseau de s’attaquer ouvertement à Boualem Sansal, en le traitant de suprémaciste et en justifiant, ce faisant, son arrestation à demi-mot, alors même qu’elle prétend défendre la démocratie et la liberté d’expression en France.
Le calcul est évident : on pense qu’il y a des voix à récupérer dans l’électorat des banlieues en défendant le régime algérien.
Récemment, Ferhat Mehenni, chef du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie, affirmait que les services algériens pourraient être responsables d’actes de terrorisme en France. Quel crédit faut-il porter à de telles accusations ?
Xavier Raufer : Ce monsieur est dans son rôle, qui consiste à vouloir éloigner Paris d’Alger. Mais j’observe qu’à Alger, surtout dans la sphère régalienne, la présence kabyle est énorme. Donc là aussi, les positions sont multiples, tout n’est pas blanc ou noir et doter la France de 2025 d’une politique solide vis-à-vis d’Alger – bien sûr, c’est le résultat voulu – ne s’obtiendra pas à partir de fantasmes et d’actes-réflexes remontant à un demi-siècle – au mieux.
Faut-il penser que le politique français a peur des capacités d’ingérence et de déstabilisation algérienne ?
Karim Maloum : Oui, indéniablement. Depuis trente ans, je dis et répète à qui veut l’entendre que les Algériens sont fatigués de la rente mémorielle que le régime sur-utilise à tout bout de champ. Beaucoup d’Algériens aspirent simplement à vivre tranquillement. La diaspora algérienne en France compte entre 4 et 10 millions d’individus aujourd’hui. Autant dire que la majorité en a assez d’entendre parler de cette rente, ce qui représente tout de même un grand nombre de personnes.
Il y en a aussi qui continuent à jouer un rôle dans des groupes de pression et qui, effectivement, font leur possible pour défendre les intérêts de l’Algérie. À droite également, on observe une certaine crainte de voir la gauche gagner des voix si l’on s’engage trop frontalement dans la critique du régime algérien. Même Bruno Retailleau, qui théorisait l’idée d’instaurer un rapport de force, tombe dans le piège. Récemment encore, il a affirmé qu’il faudrait distribuer des visas aux récitateurs du Coran pendant le ramadan. Pourquoi ? En quel honneur ? Sans doute propose-t-il cela en raison de la campagne qui s’ouvre au sein des Républicains et de son espoir de se présenter à la prochaine élection présidentielle. C’est l’occasion pour lui d’essayer de capter les voix des musulmans, en oubliant au demeurant qu’ils savent lire eux-mêmes et qu’ils n’ont pas besoin de récitateurs.
L’attitude de la gauche comme de la droite peut s’avérer particulièrement insultante à l’égard des musulmans de France. Et n’oublions pas, en effet, les trahisons de la droite ! C’est elle qui a instauré le regroupement familial, signé les accords de 1968… La gauche prend désormais le relais, mais la responsabilité de la droite est historique.
Naturellement, le politique français craint aussi la façon dont la communauté algérienne pourrait se « mobiliser » (potentiellement en réponse à des départs de feu allumés par l’Algérie) et se livrer à des actes de délinquance, cherchant à déstabiliser la France. Les Franco-Algériens ne sont pas perçus comme Français. En vérité, comprenez-le bien, les banlieues des métropoles françaises ne nourrissent pas une grande affection pour le régime algérien, dont tout le monde sait qu’il est une dictature.
Cela n’empêche pas le politique français de considérer que l’autocrate Tebboune a de l’influence sur les Franco-Algériens et de craindre sa capacité d’action. Alors même que les émeutes auxquelles nous avons assisté sont aussi le fruit du banditisme, du trafic de drogue… et de l’islamisme.
Xavier Raufer : Le « politique français » devrait d’abord considérer deux choses :
– M. Macron a réussi l’exploit d’exaspérer toute l’Afrique, Maghreb et Sahel, tout un. Algérie comprise : à Alger nul dirigeant n’a compris qu’il revienne sur le colonialisme et les « crimes contre l’humanité » de la France outre-Méditerranée. De même, les dirigeants algériens ont la mémoire longue ; ils méprisent et détestent les gauchistes type Mélanchon-LFI. Ils se souviennent que tout cela provient d’une secte trotskiste, dite « Lambertiste » qui, dans la guerre d’indépendance, a soutenu le MNA, tendance du nationalisme algérien éliminée par le FLN, dont les dirigeant actuels de l’Algérie sont issus. Qu’un dirigeant politique français – même de droite – engage un dialogue franc, même, sans concessions – avec Alger apaisera rapidement les choses, j’en suis sûr.
– Que les mêmes « politiques français » jaugent le poids réel de l’Algérie en Afrique. L’Algérie fut l’un des premiers pays du continent à devenir indépendant. Ensuite, elle a accueilli sur son sol maints mouvements indépendantistes issus de toute l’Afrique ; les a formés, encadrés, armés, aidés… et bien sûr, en leur sein, s’est fait nombre d’amis et d’obligés – parlons clair : ses services y ont recruté à peu près qui ils ont voulu. Je ne dis pas qu’il faut se laisser imposer quoi que ce soit par Alger ou quiconque ; je dis simplement qu’au Maghreb comme aux confins russo-ukrainiens, mieux vaut connaître son potentiel adversaire, que de se laisser emporter par des clichetons dépassés ou des vitupérations puériles. ■ KARIM MALOUM – XAVIER RAUFER
CE PAYS SE COMPORTE COMME UNE VIEILLE MAÎTRESSE…