
“Qui n’a pas été député ne saurait se faire une idée du vide humain.”
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Cet article paru dans Boulevard Voltaire le 2 mars remet en lumière la personnalité sans doute trop occultée par ses flamboyants compagnons, Maurras ou Bainville, de l’écrivain prolixe, journaliste, député, militant de l’Action Française, que fut Léon Daudet, féru de ce qu’on appelait autrefois les humanités. Sur lesquelles, d’ailleurs, il prononça à l’Assemblée un discours demeuré célèbre. Du moins parmi les lettrés. Merci à Samuel Martin et Boulevard Voltaire de cette salutaire évocation.
Auteur des célèbres Lettres de mon moulin, Alphonse Daudet est un écrivain resté populaire. Son fils, Léon Daudet (1867-1942), n’a pas hérité de cette postérité. Journaliste de L’Action française, un temps député, il est victime d’un silence posthume épais. Et pourtant, quel écrivain, quel passionné de littérature ! Son jugement fut souvent visionnaire, nous rappelle Anne Le Pape, dans son étude Léon Daudet, critique littéraire (Éditions de Flore).
Contre l’académisme
Léon Daudet, c’est d’abord le refus de tout académisme, synonyme de médiocrité. Ses trois modèles de critiques, chacun à sa manière, sont incompatibles avec les accommodements et les ménagements. Jugez-en : Édouard Drumont, Jules Barbey d’Aurevilly, Léon Bloy. D’irréductibles penseurs libres, sabreurs des facilités et des lâchetés – et qui en payèrent le prix. De flamboyants stylistes, aussi, alors que l’académisme affadit le style et la pensée.
Or, la langue, Daudet ne la conçoit que débridée. La phrase est fulgurante, la langue truculente. L’écrivain fait feu de tout bois : argot, néologisme, jeux de mots, latinismes… Le critique ne s’interdit rien, du moment qu’il s’agit d’exprimer l’admiration ou la détestation de l’ouvrage qu’il commente. Sensible jusqu’à la sensualité, Daudet refuse de s’engoncer dans une langue grise et passe-partout. Il vérifie de la sorte l’axiome de Buffon : « Le style est l’homme même. »
Un découvreur tous azimuts
On comprend que la syntaxe cataractante de Voyage au bout de la nuit ait séduit Daudet ! Il fut l’un des trois qui votèrent pour lui au Goncourt 1932. Céline n’était pourtant pas de la paroisse politique et religieuse de Daudet. Mais, en littérature, Daudet comptait pour rien les différences de conviction du moment qu’un livre l’avait empoigné. Ainsi, il ne reste pas insensible aux « décisives explorations intérieures » de Nietzsche, malgré son anticatholicisme. Parallèlement, il ne suffisait pas d’être antidreyfusarde comme Gyp pour qu’il trouve des qualités à ses livres, « petites machines », selon lui, emplies de « héros salonnards et héroïnes pseudo-mondaines ».
Proust – dreyfusard, lui – doit à Léon Daudet son Goncourt 1919. Daudet fit campagne pour le roman auprès de ses confrères et À l’ombre des jeunes filles en fleurs emporta le morceau. Certains spécialistes de Proust ne se sont jamais remis de cette implication de l’écrivain de l’Action française. Et pourtant… « Qui ignore de nos jours le nom de Proust ? Qui n’a rien lu de Bernanos ? Qui ne connaît le rôle fondamental qu’a joué Voyage au bout de la nuit
dans notre littérature ? Les variations de l’histoire littéraire déposent en faveur de la justesse de vue de Daudet », écrit Anne Le Pape.
Du côté des anciens
Sa curiosité pour les auteurs contemporains s’accompagnait d’un égal appétit pour ceux des temps passés. Il a évoqué Shakespeare et Rabelais dans deux ouvrages originaux pour un critique, des sortes de romans (Le Voyage de Shakespeare, 1896 ; Un amour de Rabelais, 1933). L’étiquette de roman est « un prétexte, explique Anne Le Pape, qui lui permet d’exposer la somme de connaissances accumulées dans le commerce assidu de ces deux écrivains, devenus pour lui de véritables compagnons. » L’art critique de Daudet s’est souvent exprimé sous la forme de portraits, forme autrement incarnée que la « nouvelle critique » qui naîtra dans les années soixante.
En peinture, en musique, en littérature, les siècles ne comptent pas, aux yeux de Léon Daudet : c’est un homme, une femme qui s’exprime et le message est reçu comme s’il venait d’être écrit ou peint. Se constituent de la sorte, par affinités, des lignées littéraires, des familles spirituelles qui échappent au temps. Quand Daudet écrit qu’« on peut se passer de Virgile comme de pain et de vin », ce grand mangeur et grand buveur ne dit qu’une chose : on ne peut pas se passer de Virgile…
« L’esprit toujours en éveil et la plume en action, il cherchait à découvrir et à faire découvrir ce qu’il y avait de plus vrai dans le monde – et Dieu sait s’il avait de bons yeux ! », nous dit Anne Le Pape. L’histoire littéraire, en évacuant de son champ d’étude Léon Daudet pour des raisons politiques, se prive d’une œuvre d’autant plus essentielle qu’il ne portait pas d’œillères, lui. ■ SAMUEL MARTIN
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Fanatique amateur de Léon Daudet depuis trop de décennies pour en avouer le nombre, je le découvre encore et toujours… Ainsi, par exemple, cette année, revenu vers lui en raison de la belle préface qu’il écrivit pour l’édition originale française du somptueux roman de Thomas Hardy «Le Retour au pays natal» – traduit par Marie Canavaggia, grande dame s’il en fut, que l’on connaît surtout comme ayant été la secrétaire de Céline –, entraîné par l’enthousiasme, j’ai repris les quatre volume du «Courrier des Pays-Bas» (en particulier, pour me remettre en mémoire ses propos sur la «Melencolia» d’Albrecht Dürer, sur Montaigne et cette charnière palpitante entre les XVIe-XVIIe, qu’il évoque plus précisément comme telle ici qu’ailleurs) ; et voilà que, outre la confirmation radieuse de la haute intellectualité de Daudet – «intellectualité», au plus au sens du terme, qui intéresse les questions d’ordre spirituel –, je me suis aperçu que sa prodigieuse sensibilité, sa furieuse douceur, s’exprimait aussi dans des considérations tout à fait rares dans la littérature française ; je veux parler de ce qu’il dit de «la Femme» et des femmes… J’avais complètement oublié que Daudet était un fervent de «L’Éternel féminin», tel qu’on le trouve artistiquement exprimé, tout d’abord dans l’Allemagne du XIXe siècle, chez Goethe – «L’Éternel féminin nous attire vers le haut» (Premier Faust) –, chez Novalis («Je suis philosophe parce que j’aime Sophie [von Kühn]», chez Nietzsche et, en France, essentiellement chez Villiers de L’Isle-Adam, Léon Bloy et Léon Daudet. Autrement dit : Léon Daudet “féministe” ! Cela va en défriser plus d’un que de le formaliser comme je le fais, pour sûr; mais c’est encore, là, une facette inattendue de cet homme prodigieux et dont je ne crois pas qu’elle eût été relevée par quiconque entre les commentateurs de son œuvre.
J’ai pu voir l’émission que Rémi Soulié a consacré à Léon Daudet sur «TV Liberté» pour la sortie du livre d’Anne Le Pape ; je dois dire à quel point j’ai apprécié la manière intelligente et douce – manière FÉMININE, en somme – qu’Anne Le Pape a eu d’évoquer certains aspects du grand Léon – jusques et y compris certains sur lesquels Anne Le Pape pourrait manifestement se montrer plus réservé –, et je me suis demandé comment elle pourrait aborder cette question du “féminisme” de Léon Daudet… Bien entendu, il ne s’agit en rien de l’agitation sociéto-psychique actuellement en vogue et qui ne veut pas dire un mot de plus que ceux qu’elle ne veut surtout pas prononcer, mais de tout autre chose, voire même du rigoureux contraire de ce méchant, vulgaire, abruti et parodique féminisme masculinisé à outrance («mâle-et-vicié», maléficié, faudrait-il dire) de la vilaine modernité.
À ma grande honte, je n’ai pas lu le livre d’Anne Le Pape, mais je ne manquerai pas de le faire incessamment. En attendant :
«Vive Léon Daudet ma mère !
Vive Léon Daudet ! […]
Vive les Camelots du Roy !»
[…]
«Et vive le Roy, à bas la République !
Et vive le Roy qui défendra nos droits !»