
Cette lettre est parue dans Le Figaro de ce 13 mars. C’est en quelque sorte une récidive car Pierre Lellouche avait déjà écrit le 1er mars, toujours dans le Figaro, une tribune allant dans le même sens, reprise par JSF avec un commentaire que nous ne répèterons pas ici. On peut s’y reporter. Le bellicisme d’Emmanuel Macron et de ses homologues européistes fait courir de sérieux dangers à la France, dangers de divers ordres et d’importance inégale, mais bien réels. Nous relayons les prises de position qui pointent ces risques imposés au Pays par le Chef de l’État et, plus largement, par le Régime.
FIGAROVOX/TRIBUNE – Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, l’ancien ministre Pierre Lellouche fait part de ses inquiétudes au président de la République concernant le dossier ukrainien. Il alerte quant au risque d’engrenage.
«Monsieur le Président,
Je vous fais une lettre,
Que vous lirez peut-être,
Si vous avez le temps…»
Rassurez-vous, Monsieur le Président, je ne suis pas un pacifiste, ni un déserteur.
Simplement un citoyen, préoccupé d’abord par la défense de nos intérêts nationaux, mais de plus en plus inquiet de la tournure que prennent les événements autour de la guerre d’Ukraine. Une inquiétude, je vous le confesse, en partie alimentée par vos déclarations.
La plus récente, à la télévision, mercredi 5 mars, a touché semble-t-il 14 millions de nos concitoyens. Vous avez réalisé une formidable part d’audience de 70%, pour annoncer quoi ? Qu’au-delà de l’Ukraine, «la menace russe nous touche» que «son agressivité ne semble pas connaître de frontières», que la Russie constitue – et vous l’avez dit à deux reprises – «une menace pour la France et pour l’Europe» et que dans ces conditions «rester spectateurs serait une folie»…
Alors que Trump renoue avec la Russie, vous la désignez comme notre adversaire, voire même comme notre ennemie, faisant vôtre le leitmotiv de Zelensky : «Après l’Ukraine, Poutine prendra l’Europe». Un postulat hautement discutable au regard des piètres performances de l’armée russe après trois années de guerre contre un adversaire cinq fois moins nombreux et bien plus pauvre…
Alors que l’Amérique cherche à obtenir un cessez-le-feu au plus vite, allant même jusqu’à suspendre son aide militaire à Kiev, vous annoncez vouloir poursuivre le combat, ou plus exactement laisser les Ukrainiens poursuivre un combat pourtant perdu, car l’Ukraine ne peut simplement pas reconquérir militairement le Donbass et la Crimée. Pour cela vous entendez, avec la majorité de vos collègues européens, continuer à soutenir l’effort de guerre de Kiev, en remplaçant l’aide américaine déjà stoppée… Jusqu’où et avec quel objectif ? Avec quels moyens ? Mystère…
Vos décisions semblent fermes et votre résolution entière. Pourtant, pour rassurer quelque peu nos concitoyens «inquiets», il n’est pas inutile de rappeler votre goût prononcé pour les changements de cap à répétition.
C’est peu dire en effet que, depuis 2017, vous avez eu, sur différents sujets de politique internationale, des positions que de mauvais esprits considéreraient comme parfaitement contradictoires. Au cours des sept dernières années, vous avez par exemple donné des cours appuyés de démocratie à la classe politique libanaise, avant de vous en désintéresser totalement. Depuis, les Israéliens ont fait le travail sur le Hezbollah, et nous sommes désormais parfaitement absents du Liban… En Israël justement, après le 7-Octobre, vous avez d’abord recommandé de ressusciter la coalition internationale anti-Daesh pour aider Israël, avant d’insister à de nombreuses reprises par la suite pour un cessez-le-feu immédiat, qui aurait laissé le Hamas au pouvoir à Gaza. Ce cessez-le-feu, c’est Donald Trump qui l’a obtenu à la veille même de son investiture …
En Afrique, vous avez d’abord proposé une nouvelle relation notamment avec la jeunesse africaine, tout en restant enkysté dans l’interminable et coûteuse opération Barkhane, léguée par votre ancien patron et prédécesseur… Perçus comme une puissance néocoloniale, nous nous sommes vus, après dix ans au Sahel, 10 milliards d’euros engloutis et plusieurs dizaines de tués parmi nos soldats, littéralement expulsés de notre ancien «pré carré»…. En Europe, vous avez choisi l’alignement sur les choix de politique intérieure allemande, avec notamment la fermeture de Fessenheim. Cela avant de découvrir l’urgence de la relance du programme nucléaire en France, en soutenant aussi une politique écologiste suicidaire dictée par la Commission, qui a amené entre autres à la destruction de notre industrie automobile.
Quant à l’Ukraine, vous avez commencé par essayer de dialoguer avec Poutine, à juste raison d’ailleurs, en comptant sur votre proverbiale force de conviction, mais sans avoir les moyens de peser, puisque vous n’étiez pas en mesure d’apporter un accord sur la neutralité de l’Ukraine qui aurait pu empêcher la guerre. Vous avez insisté ensuite sur la nécessité de «respecter les intérêts de sécurité de la Russie» en évitant surtout de l’«humilier», cela avant un nouveau changement de cap à 180 degrés, face aux protestations des pays d’Europe centrale qui vous accusaient d’être pro-Poutine et de «macroner» . Depuis votre discours de Bratislava en juin 2023, vous proclamez donc que «la Russie ne doit pas gagner cette guerre», en martelant l’idée que nous devrions aider l’Ukraine «aussi longtemps que nécessaire». Vous avez été le premier également à proposer l’envoi de soldats en Ukraine, dès février 2024, pour des missions de combat ou de formation non définies, une proposition compromise par la dissolution, mais que vous avez reprise le 5 mars, cette fois avec un rôle de «maintien de la paix» dans le cadre d’un éventuel cessez-le-feu.
Et puis surtout, vous avez agité le parapluie nucléaire français, le proposant à nos partenaires européens, pour remplacer celui désormais très compromis des États-Unis. Vous avez voulu vous positionner ainsi comme le chef de guerre d’une nation menacée, et comme le patron d’une Europe de la défense en gestation, que la France aurait vocation à diriger. Ce vaste programme, comme l’aurait qualifié le général de Gaulle, vous avez eu soin de le présenter comme parfaitement indolore : pas d’augmentation des impôts avez-vous promis, pas non plus de retour au service militaire.
Malgré vos précautions oratoires, j’ai eu l’occasion de vérifier ces derniers jours auprès de nombreux Français, à Paris comme en province, la très forte vague d’anxiété que vous avez suscitée dans tout le pays.
Car si la situation est anxiogène, permettez-moi de vous dire que l’êtes encore plus. «Vous êtes légitimement inquiets», avez-vous asséné au début de votre allocution de mercredi dernier. Les Français ne l’étaient peut-être pas avant que vous leur teniez ce discours. Ils le sont à coup sûr depuis, s’interrogeant sur leur avenir, et surtout sur la destination que vous semblez avoir choisie pour la nation…
Parce que je suis poli, je laisserai de côté l’aspect de politique intérieure, transparent dans cette allocution. Après votre invraisemblable dissolution ratée, et face à la situation absolument désastreuse des finances du pays, à la décomposition des forces politiques à laquelle vous n’avez pas peu contribué, la guerre d’Ukraine vous permet de regagner en crédibilité, en exploitant à fond votre domaine réservé. Un sondage récent montre que le pari a été plutôt réussi, puisque vous avez progressé d’une vingtaine de points… je vous en félicite. C’est ce que les sondeurs appellent «l’effet drapeau». Ou l’instrumentalisation de la peur…
Permettez-moi cependant de revenir à l’essentiel, c’est-à-dire à la situation diplomatique et stratégique autour de l’Ukraine et aux options, toutes difficiles, qui sont devant nous. Une situation qui se décompose en deux problématiques liées, mais distinctes.
La plus urgente porte sur l’arrêt des combats.
Pour résumer, alors que Trump veut l’arrêt des combats maintenant , ni l’Ukraine ni l’Europe ne veulent s’y résoudre. Les uns veulent croire encore possible une victoire militaire sur la Russie, qui permettrait un changement de régime à Moscou et ainsi d’en finir enfin avec l’ADN impérialiste des Russes. D’autres savent la guerre perdue, mais rêvent d’une entrée de l’Ukraine dans l’Otan, en forme de garantie de sécurité pour l’après-guerre. Problème : cette option, bien qu’inscrite dans la Constitution ukrainienne, est totalement exclue par Washington, qui pourtant l’avait encouragée depuis trois décennies! Reste alors l’idée – la vôtre et celle de votre collègue britannique Starmer – de déployer des forces françaises et britanniques sur le sol ukrainien, qui seraient elles-mêmes soutenues par les Américains. Problème : ni les Américains, ni les Russes ne veulent d’une telle formule qui reviendrait mécaniquement à faire entrer l’Otan en Ukraine.
Face à de telles impasses, continuer la guerre comme vous le proposez, sans objectif stratégique clair et sans les moyens militaires de remplacer ceux des Américains, surtout en matière de défense antiaérienne mais aussi de renseignements et de transmission, paraît quelque peu aléatoire, sinon condamné à l’échec.
Mais au-delà même du règlement de la guerre en Ukraine, la question posée par votre allocution est plus grave encore car elle concerne l’architecture future de la sécurité sur le continent. Si la Russie représente effectivement une menace existentielle pour la France et pour l’Europe, au point que certains services de renseignement craignent une attaque russe contre l’Otan dès 2030, qu’attendons-nous pour nous y préparer en urgence, sachant qu’aucun réarmement sérieux n’a été entrepris depuis le début du conflit il y a trois ans ? Les sommets se succèdent et l’on parle beaucoup de «défense européenne», mais nulle stratégie, là encore, n’a été évoquée vis-à-vis de la Russie, et aucun montant significatif n’a été avancé.
Si la Pologne et désormais l’Allemagne ont effectivement décidé de réarmer sérieusement, en France, l’état totalement dégradé de nos finances va conduire soit à l’inaction, soit à des impôts de guerre, soit à des coupes douloureuses
Chacun sait que les 800 milliards annoncés par Ursula von der Leyen ne sont que de l’affichage. En pratique, seuls 150 milliards seront empruntés par l’UE, une somme très inférieure aux besoins de financement des armées européennes. Chaque État devra donc se débrouiller avec ses moyens propres. Si la Pologne et désormais l’Allemagne ont effectivement décidé de réarmer sérieusement, en France, l’état totalement dégradé de nos finances va conduire soit à l’inaction (c’est-à-dire à des annonces incantatoires non suivies d’effets tangibles), soit à des impôts de guerre, soit à des coupes majeures mais douloureuses parmi les 900 milliards d’euros que nous consacrons chaque année aux dépenses sociales. Or vous n’avez pas dit un seul mot sur le sujet, vous contentant de rappeler que sous votre magistère le budget de défense de la France a été doublé, ce qui n’est pas exact si l’on tient compte de l’inflation qui a diminué les efforts financiers de 30%. Il suffit d’ailleurs d’examiner poste par poste les moyens disponibles, et chacun pourra constater que le nombre de chars, de blindés, d’avions de combat ou de frégates n’a pas augmenté depuis 2017, au contraire…
Poutine regarde l’Europe se débattre dans ses contradictions et ses hésitations financières. Si comme vous le prétendez l’Ukraine a remis en branle l’impérialisme russe, alors il faut d’urgence nous y préparer et réarmer, ce que nous ne faisons toujours pas…
Dans le même temps, il faut s’attendre à ce que Russes et Américains aboutissent à un deal auquel l’Ukraine n’aura d’autre choix que de se soumettre. Une fois le cessez-le-feu signé, les sanctions contre la Russie seront levées et de nouveaux flux économiques majeurs seront mis en place entre Washington, Moscou et probablement l’Asie également. Quant à nous, qui étions entrés dans cette guerre par procuration à la traîne de Biden, nous nous retrouvons aujourd’hui, après le revirement spectaculaire de Trump, dans la position du perdant-perdant, ayant perdu la guerre avec l’Ukraine, abandonné plusieurs dizaines de milliards d’investissements en Russie, et grâce à la rhétorique qui est la vôtre, sans espoir de nous asseoir la table de négociation, donc de reconstruire une relation correcte de voisinage avec la Russie.
Le pire est que cette situation ne manquera pas d’entraîner d’autres engrenages funestes, notamment en matière de prolifération nucléaire, y compris en Europe ! À force de brandir notre parapluie nucléaire en remplacement de celui compromis des États-Unis, nous risquons de susciter la tentation chez d’autres d’en faire de même. Les dirigeants polonais par exemple parlent désormais ouvertement de construire une force de dissuasion pour la Pologne et je ne doute pas que la même discussion s’invite rapidement en Allemagne, au moment où l’AfD fait la percée que l’on sait…
Bref, cette guerre qui est déjà une calamité pour la France et pour l’Europe pourrait dégénérer vers le pire, si de nouvelles erreurs de calcul devaient être commises dans cette période cruciale qui s’est ouverte avec la conclusion prochaine d’un cessez-le-feu parrainé par Trump et Poutine…
Dans ces conditions, vous comprendrez, Monsieur le Président, nonobstant le respect que je dois à votre fonction, que je n’aie pas été rassuré par vos prises de position. ■ PIERRE LELLOUCHE
*Dernier livre paru : Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde, de Pierre Lellouche, Odile Jacob, 368p., 23,90€. Odile Jacob
Pour des analyses de fond, Marc Vergier recommande à juste titre d’écouter les émissions suivantes :
– de Jacques Baud (plutôt diachronique) : https://www.youtube.com/watch?v=OkcPB-iznAQ
– de François Asselineau (plus synchronique): https://www.youtube.com/watch?v=_6KiEAdLMTc.
– enfin, les lumières décapantes apportées par un expert géologue sur les fameuses « terres rares » (d’autant plus rares qu’elles sont déjà entre les mains russes). Écouter France Culture :https://www.radiofrance.fr/franceculture/grille-programmes?date=27-02-2025 (émission de 6h30).
Magnifique, du jamais vu, j’adore.
Enfin un homme , un vrai français qui analyse sérieusement la situation avec un bon angle.
Si il y avait eu un courageux en 1939 qui ait écrit une lettre semblable , nous n’aurions pas eu de guerre et l’occupation.
Ou sont les oppositions parlementaires, la France est à nouveau enlisée dans un bourbier qui est le contraire de la démocratie.
En France c’est toujours les autres qui ont tord, à les entendre nous sommes les plus intelligents de la planète.
Petites poucettes réveillez vous, retrouvez le sens du travail, du devoir bien fait et lisez cette lettre digne d’une épreuve du Bach.
Merci Monsieur Pierre Lellouche
La Première Guerre mondiale représentait un enjeu majeur : la récupération de l’Alsace et de la Lorraine. Nous y étions préparés depuis 1870. De même, lors du second conflit, notre équipement était bien supérieur, mais notre stratégie militaire, dépassée, et la trahison de la classe politique nous ont conduits à l’échec.
Aujourd’hui, après avoir cru à la « fin de l’histoire » et dénigré la plupart de nos valeurs, nous nous imaginons pouvoir rattraper quarante années d’inaction et de renoncements à nos véritables principes en instaurant une « économie de guerre » ? Et cela, sans mesurer à sa juste nocivité la cinquième colonne islamiste, qui ne manquera pas de nous frapper dans le dos ?
J’ose espérer que cette agitation ne relève que d’une manœuvre de politique intérieure, visant à redorer le blason de la macronie.
100 % d’accord avec le commentaire de Paul Pontenuovo, commentaire subtil et juste.
En tant qu’Alsacien francophile je dois dire que la déclaration de guerre de notre fait en 1870 a été folie de notre part, faute inexcusable, qui marque le retour de l’Europe déchirée par les conflits, la revanche peut-être de Sainte Hélène selon Guglielmo Ferrero La guerre de 1914 , qui a suivi, a aussi été une folie totale, suicide de l’ Europe, dont les responsabilités sont inextricablement partagées, A part Benoit XV, si mal compris, Romain Rolland puis Stephan Zweig, qui s’y est opposé ? Si l’enjeu était la récupération de l’Alsace lorraine, cela a été payé trop cher en millions de mort et par la récidive de la seconde guerre mondiale sans compter l’avènement des totalitarismes. ( il y avait d’autres moyens pour renouer avec l’Alsace et sa part française, Je récuse Poincaré donc comme Giraudoux Actuellement la fuite vers la guerre quels que soient les torts de uns et des autres est une folie récurrente à nos idéologies folles, elle est actée par la majorité de notre classe politique ( -Claude Malhuret ardent défenseur au Sénat de la constitutionnalisation de l’IVG, donc d’une idéologie de mort, chantre de sa gloire propre en des moulinets indécents, il y quelque chose de maléfique de voir ces vieillards chenus envoyer dans des conflits, donc à la mort ,la fine fleur de la jeunesse, européenne pour faire le beau, cela rappelle des souvenirs cuisants vieux de plus d’un siècle et puis cette jeunesse a -telle encore le droit de vivre? .) J’oserais dire que cette classe se veut républicaine et tourne en rond , même si un président totalement pervers s’en délecte. L’article de Pierre Lelouche qui s’élève au nom des réalités contre cette volonté de relancer la guerre mortelle , « en montant aux extrêmes » , est courageux salutaire, à juste titre relayé. Le néant idéologique va éclater , mais combien allons nous payer ces propagandes insanes.. Quant à la papauté elle est paralysée, même si François continue à régler ses comptes, donc hors d’état de proposer une vraie médiation. Que nous restent -ils comme diplomates en poste pour élever le débat? Suivre le conseil de Pierre Lelouche? Merci à lui, et espérons que d’autres suivront.
J’ai fait l’erreur de parler de 1939,
Napoléon trois dit le petit a certainement apprécié de visiter Sedan, comme actuellement, il n’était pas en mesure.
En 1938-1939 l’Etat major a refusé de croire à la percée des Ardennes bien qu’envisagée par des généraux venus du Maroc et aussi à l’avantage des chars d’assauts. L’équipement des soldats dataient de la précédente guerre, la radio: des pigeons, le transport: la marche à pieds, , ils venaient des colonies: ils avaient froid, malgré ce ils ont résistés jusqu’en juin , beaucoup sont morts: ou étaient les élus et les généraux de salon.
Si vous dites qu’ils étaient prêt , alors partons encore la fleur au fusil, mais au fait ou allons nous.
Oui les islamistes sont derrière nous, sur le terrain puisque les élus politiques et les responsables de l’église catholique les font venir?
Pour mémoire en « démocratie », qui décide de l’économie de guerre?