
Cette tribune est parue dans le Figaro du 11 mars. On pourrait, en contester certains aspects. Par exemple la possibilité de concilier toutes les traditions, les unes édificatrices, les autres destructrices, dont l’histoire de France est chargée. Ni celle de réaliser, fût-ce au nom des beautés de notre culture, « l’assimilation de tous ». Il y a sûrement à cela des limites quantitatives et, sans que cela soit péjoratif pour quiconque, qualitatives aussi. Cela étant, l’esprit de cette tribune consiste à aimer l’identité française profonde, raison pour laquelle nous la reprenons. Dernière remarque que nous nous autorisons : la lecture de cette tribune nous a évidemment rappelé le souvenir de Jean-Marc Varaut : à Marseille, par exemple, un 21 janvier, aux côtés de Jean-François Mattéi, dans un repas auquel, grâce à Jean Gugliotta, nous les avions tous deux, invités ; aux Baux de Provence, aussi, pour accueillir les princes Jean et Eudes de France, aux côtés du cher Marcel Jullian. Jean-Marc Varaut était ému. Et tous les présents. L’identité française en sa quintessence !
TRIBUNE – Alors que le premier ministre lance un débat sur l’identité nationale via des « conventions citoyennes décentralisées », l’eurodéputé RN Alexandre Varaut loue la richesse du patrimoine spirituel et architectural français.
Alexandre Varaut est eurodéputé RN depuis 2024, après l’avoir été de 1999 à 2004, et avocat de profession.
Dans le monde d’Emmanuel Macron on aime par-dessus tout les palabres. Leur dernier avatar est le projet annoncé par François Bayrou au Figaro, de «conventions citoyennes décentralisées» trois mots bien choisis, gentils, rassurants. Comme d’habitude, la convention est destinée à enterrer le sujet dans la dignité. La question posée à la convention, «Qu’est-ce qu’être français», mérite pourtant l’attention de tous. Est-ce une culture commune attestée par une carte d’identité ou la même carte, devenue sésame, dispense-t-elle de toute assimilation ?
Une réponse est en ce moment proposée en la basilique de Saint-Denis. Dans ce sanctuaire ou reposent les rois et 32 reines de France depuis Dagobert, le ministère de la Culture propose une exposition de 32 nouvelles reines. Il s’agit de 32 photographies de femmes de la ville de Saint-Denis, dont certaines sont voilées et toutes formidables selon le Centre des monuments nationaux puisqu’elles sont garantes du lien social dans la ville, notamment en faisant «la bise aux dealers».
Du Guesclin, Charles Martel et Turenne inhumés à Saint-Denis vont-ils rester de marbre ? L’évêque de ce diocèse, affectataire de la cathédrale, trouve-t-il lui aussi qu’il faille soutenir les dealers ou que le voile est un droit de la femme ? Il est si silencieux que l’on peut se demander si, comme Saint-Denis lui-même au IIIe siècle, il n’aurait pas perdu la tête …
La culture est un combat que la gauche mène et gagne souvent, et depuis longtemps sous l’œil impavide d’une certaine droite qui ne croit qu’aux chiffres. Alors soyons gramscistes nous aussi et renversons la table. Le «plug anal géant» de la place Vendôme, le «vagin de la reine» dans le parc de Versailles, cela fait frémir d’aise quelques progressistes mais cela sonne creux comme des provocations de vieillards libidineux. Si nous voulons retrouver la grammaire de l’identité française, il faut rendre au peuple français le goût de la beauté et celui du mot juste.
La droite est soupçonnée (parfois à juste titre) de n’avoir d’intérêt que pour la préservation du patrimoine, l’œil dans le rétroviseur et la poche néanmoins pleine d’oursins dès qu’elle gouverne. Pourtant, les notions même de patrimoine ou de musée sont des enfants lointains de la révolution française.
La gauche serait résolument tournée vers la création contemporaine, le spectacle vivant, l’artiste rebelle et la subvention généreuse. Pourtant, ce sont bien les rois de France, François 1er, Louis XIV, qui portèrent les artistes de leur temps et distribuèrent pensions et prébendes pour leur permettre de vivre. La Fontaine n’a jamais renié les bontés de Fouquet, Molière celles du roi et Voltaire lui-même, historiographe attitré et appointé de Louis XV, n’oubliera pas de publier sur son arrière-grand-père Le Siècle de Louis XIV, son seul bon livre.
Nous choisirons donc de ne pas choisir, préserver le passé, encourager la création, n’être ni conservateurs ni progressistes. Patriotes.
L’affaire est entendue, nous vivons dans le plus beau pays du monde – l’Italie n’est pas mal non plus. Cette beauté n’est pas le fruit du hasard mais d’une volonté politique et de capacités humaines qui se sont épaulées sans cesse. Le temps des cathédrales n’est pas séparable de l’époque énorme et délicate qui les fit. Lorsque Louis XIV fit venir à Paris depuis Rome le cavalier Bernin, le plus grand architecte et sculpteur de son temps, il le renvoya couvert de cadeaux mais ne lui accorda pas de finir la cour carrée du Louvre, préférant au baroque l’ordre classique de Perrault qui correspond à sa certaine idée de la France. Depuis le centre de celle-ci on aperçoit la façade de l’Institut de France voulu par Richelieu pour tenir également en ordre la langue française. Politique encore.
Pourtant, la culture n’est pas un luxe mais un besoin de l’âme, celui qui n’a rien entend le même vers de Verlaine que celui qui a tout
Les siècles continuent et nos plus grands vont mêler leur gloire au combat politique, Lamartine, Chateaubriand, Victor Hugo ; puis Dorgelès montre la guerre de 14, Kessel et Druon font chanter la résistance, d’autres s’égarent. Le vin étant tiré il faut maintenant le boire. Quelle politique pour perpétuer cette alliance séculaire entre la beauté et la gloire de la France, avec de plus hautes ambitions que d’éviter les grèves des intermittents du spectacle et de renouveler les subventions.
André Malraux, premier ministre de la Culture en France en 1959, fit bien. On lui doit notamment les maisons de la culture, hélas remises en location-gérance à la gauche. Il n’y a pas un mot à retirer au décret instituant le ministère qu’il rédigea lui-même : «Rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France au plus grand nombre de Français, assurer la plus large audience à notre patrimoine culturel et favoriser la création.»
Jack Lang, au risque de choquer certains, ne fit pas si mal, le soutien au cinéma français l’a sauvé. Nous parlerons une autre fois des biais idéologiques… Le prix unique du livre fut la planche de salut des librairies, les journées du patrimoine, les fêtes de la musique, le Grand Louvre. Il reste bien sûr les colonnes de Buren, mais il serait malhonnête de juger sévèrement cette œuvre, encore évidemment inachevée. Rachida Dati semble pleine d’énergie mais trop manifestement de passage rue de Valois, sur le chemin de la mairie de Paris, pour appeler d’autres commentaires que sur ses qualités de contorsionniste politique qui justifient en effet le respect de la corporation du spectacle vivant.
Demain, si les Français le veulent – ils semblent le vouloir – une autre majorité pourrait présider au destin du pays. À chacun, l’immigration, la sécurité, le pouvoir d’achat, le logement paraitront les sujets prioritaires. La culture n’en restera pas moins un enjeu majeur, en France c’est un sujet régalien.
La beauté des châteaux semés au long de la Loire, le manteau de monastères et d’églises qui couvre le pays, Versailles, Le Louvre de Paris ou celui de Lens, le festival d’Avignon ou la Comédie Française, les Francofolies, le Puy du Fou ou Carcassonne, tout cela rayonne et contribue grandement à faire de la France la première destination touristique du monde. 500 000 personnes vivent directement ou indirectement de notre patrimoine (dont ces métiers d’art qui ont rebâti Notre-Dame), pourtant nous lui consacrons 500 millions d’euros alors qu’il génère, tous flux confondus, 15 milliards de revenus.
Pourtant, la culture n’est pas un luxe mais un besoin de l’âme, celui qui n’a rien entend le même vers de Verlaine que celui qui a tout. Si ces conventions citoyennes ont lieu, si elles sont ouvertes à tous, si elles ne sont pas pilotées par des experts chargés d’étouffer le débat, si elles parlent de l’identité de la France, elles devraient définir ce qu’être français veut dire au XXIe siècle.
Être Français, ce n’est ni une race, ni un régime politique, mais un héritage et l’espoir que cela continue. C’est le goût de nos régions si différentes qu’il faut mettre en valeur, une chanson de Brassens, une fable de La Fontaine, un slam de Grand Corps Malade, une nature morte de Chardin. La seule conclusion possible de cette convention, nous la connaissons déjà : il faut offrir la culture au plus grand nombre. Une culture belle et populaire qui permette l’assimilation de tous au creuset commun qui se nomme Nation française. ■ ALEXANDRE VARAUT