
Belle-de-Mai Éditions est de retour ! à l’occasion du centième anniversaire de la parution chez Grasset du recueil de poèmes de Charles Maurras intitulé La Musique intérieure, qui eut lieu, donc, en 1925, au sein de la collection « Les Cahiers Verts » dirigée par Daniel Halévy.
C’est par une substantielle préface adressée à ce dernier que commence ce livre, et qui vient expliquer sa raison d’être, le reste étant composé de poésies en vers écrites sur une période longue de plusieurs décennies.
Indéniablement, sa sortie fut un véritable événement littéraire : à cette époque le « Maître de Martigues », devenu une figure importante du monde des lettres, est à la tête d’une organisation militante puissante dotée d’un quotidien très lu qui opère une grande séduction auprès des jeunes esprits.
Aujourd’hui nous allons voir la recension que lui consacra le 14 juin 1925 José Vincent, chargé de la rubrique « Les livres d’aujourd’hui » pour le journal La Croix.
« Que nos lecteurs se rassurent. Le présent article n’abordera pas ce que Mistral appelait la politique inflammatoire. Je peux, du reste, par devoir et sans plaisir, me rattraper ailleurs. Ici, dans cette Croix, à 1’enseigne de laquelle j’écris, j’ai l’inestimable joie de ne m’occuper chaque dimanche que de littérature. Aujourd’hui, je ne sortirai donc pas de mon dessein habituel. Je ne parlerai que d’un beau livre, d’un beau livre très imprévu et très neuf, même pour ceux à qui les habitudes d’esprit et l’art de Charles Maurras sont le plus familiers.

Voilà bien l’extrême souplesse du bon génie français. Taine nous en avait offert, tout systématique qu’il fût, deux bien savoureux échantillons dlans cette carrière, pas aussi rigoureusement rectiligne qu’on a cru, où rayonnèrent, à côté des Origines de la France contemporaine dans lesquelles le déterminisme est si impérieux, — ces délicieux sourires de l’homme d’esprit à deux reprises détendu : le Voyage aux Pyrénées, dédié à Marcellin, philosophe, et nonobstant batifolant directeur de la batifolante Vie Parisienne et Thomas Graindorge.
Semblablement Maurras, le sûr et dur logicien, qu’on aime ou non, qu’on prend ou qu’on laisse, parce qu’avec lui à l’ordinaire nul boiteux compromis n’est possible, le constructeur politique dont l’épure engendre la joie de l’esprit ou l’exaspération des nerfs a introduit dans ces pages toute la riante lumière de son pays et tout l’attrait de la meilleure galéjade de chez nous. Il a, cette fois, rouvert ses deux poings que volontiers, qu’instinctivement il ferme dans la controverse orale, comme s’il fallait, vu l’urgence, qu’un geste violent corse l’assaut de sa dialectique. Son visage, si souvent fermé, pour ceux du moins qui ne savent pas y voir doucement tressaillir les muscles de la tendresse, de la mélancolie et de l’humour, cette fois s’est épanoui jusqu’au rire, rire d’enfant qui n’a pas oublié le seigneur père, comme on dit en Provence, ni le doux visage d’une mère, ni les saillies spontanées de cette Sophie, servante naïve, fine et bonne, à qui ce grand lettré doit peut-être une part de l’aimable abandon du présent livre.

La Musique intérieure comprend deux parties. La première contient, avec une brassée de souvenirs tout fleuris d’enfance provençale et une rapide histoire des juvéniles pensées de l’écrivain, rattachante et curieuse genèse des poèmes qui achèvent le livre. La seconde renferme lesdits poèmes. De sorte qu’entre le commencement et la fin de l’ouvrage il n’y a nulle solution de continuité, à plus forte raison nulle disparate. Une espèce de logjque intérieure et aussi Maurras, lui-même, artiste plus qu’aucun autre, conscient et volontaire, ne me démentira pas, je crois, une adroite et secrète rouerie, ont ici comblé tous les vides, presque inévitables, d’un sujet par nature morcelé, jeté des ponts entre les idées et les épisodes, agencé le tout de telle façon que l’esprit, à suivre les méandres d’un tel livre, conserve la rassurante impression de ne jamais s’égarer tout en s’abandonnant au frais plaisir de ce que j’appellerai l’école buissonnière de la pensée, du souvenir et du rêve.
Et voilà bien la fondamentale différence entre ce haut intellectuel, chez qui la fantaisie, le sentiment et la demi-ivresse dionysiaque assouplissent tant, quoi qu’on dise, l’appétit de synthèse et le goût systématique, et tel autre intellectuel de la lignée plus ancienne des écrivains de France : je veux dire ce Fontenelle, né bel esprit, et qui, précisément, fut fort en peine de devenir un grand esprit et un vrai poète, faute de cette désinvolture, faute de cette réelle aisance dans la conduite de l’esprit, qui est la marque des maîtres tout à fait supérieurs : un La Fontaine, un Racine, un Mistral, un Gœthe. À Fontenelle il manquait le cœur. Et Mme de Tencin ne le lui avait pas envoyé dire, le jour où, montrant de son doigt la poitrine du pseudo-idyllique, elle lui administra ce trait : « Ce n’est pas du cœur que vous avez là ; c’est de la cervelle comme dans la tête. »
Cela, on l’a trop pensé et trop soutenu à propos de Maurras. Rien ne le dément plus que ce recueil, où s’avère, bien entendu, comme en toutes ses autres œuvres, la généreux parti pris de laisser en toute occasion la raison souveraine, mais où l’essor du sentiment est si vif. Je n’en veux pour preuve ici que ces trois strophes dans lesquelles le poète envisage le définitif retour au pays qui l’a fait et où dorment ses morts :
Mais enfin, c’est ici désormais que m’attirent,
Ô berceaux balancés,
Ô tranquille caveau !
L’esprit, rame, la fleur du terrestre sourire,
Et ta figure antique et les charmes nouveaux.
Nous les savourerons ensemble quelque automne, dit-il à un ami déjà de retour en Provence,
Des rayons appauvris sort un feu délicat,
L’olive est au pressoir, la grappe dans la tonne,
Une rieuse enfant nous verse le muscat.
Le vent vif a cueilli la verveine et la menthe
Pour nous envelopper des charités du sort.
Ami, nous raisonnons de l’humaine tourmente
Comme deux matelots qui reviennent au port.

Heureux qui comme Ulysse. Les lieux communs ont la vie dure. Tant mieux, certes ! Car leurs harmoniques se répercutent diversement dans toutes les âmes. Et le langage choisi de quelques-uns qui les ont plus pensés et plus sentis, de siècle en siècle leur infuse toujours un sang nouveau.
Dans le vaste domaine du lyrisme humain, du lyrisme universel et éternel, on peut toujours trouver des terres nouvelles en suivant tout bonnement la trace d’un Malherbe ou, en remontant bien plus haut, d’un Pindare. Du grand Thébain Montherlant a cru restituer les beaux élans et le génie en célébrant à son tour des héros sportifs. C’était peu. Comme plus tard Malherbe, Pindare surtout a été et cela suffit bien pour sa gloire et notre plaisir le chantre inspiré de la haute actualité nationale. Maurras, de son côté, aux grandes heures que vécut la patrie pendant quatre ans de glorieuse épreuve, a visé même but et par des moyens tout pareils. Il a donc pris telle quelle la vieille strophe de dix octosyllabes, véritable petite pièce à forme fixe, vrai petit sonnet, délesté du 2e quatrain, mais aussi arrêté dans ses contours que le sonnet le plus correct, et dans ce moule, que lui transmirent inaltéré Malherbe, J.-B. Rousseau, Lefranc de Pompignan et Lamartine, il coula sa matière épique, toute brûlante du feu même de son cœur de Français. Écoutez les éclats de sa liesse débordante le jour où Brisach nous revint. Voyez-le se tourner avec un geste de frénétique enthousiasme vers la grande ombre de l’Éminence grise que l’événement, même dans une autre vie, n’a pas pu laisser froide :
Père Joseph de la Tremblaye,
Rouvrez vos yeux sous le froc gris
Père Joseph de la Tremblaye,
Brisaoh eet pris, Brisach est pris !
Chez ce lyrique dont la muse, au gré des connaisseurs, trop rarement s’épanche, constatez avec moi la vigueur irrépressible du réflexe français. Les strophes des Poèmes en cours — ainsi nommés, je crois, parce qu’ils ne se terminent pas plus que le destin français qui toujours marche et se poursuivront sans doute tant que le poète vivra — en conservent une sorte de pathétique frémissement où je vois le sceau du véritable art national.
Dans le passage où Maurras a exhalé sa fureur contre la pensée dévorante et stérile d’un Luther, affreux gâcheur de concorde européenne et chrétienne, gardez-vous de voir un simple développement oratoire. Il y a là toute l’horreur, à la fois instinctive, acquise et calculée, d’un fils intellectuel, profondément romain, de l’abbé Penon, présentement évêque de France, pour tout ce qui est au rebours de chez nous, et qui vomit l’erreur allemande et protestante, en attendant de proclamer la vérité totale, comme vous et comme moi. En des vers brûlants l’imposture ici est étalée et bafouée par celui-là même qui l’a conçue et dont le poète se fait aujourd’hui l’écho implacablement fidèle.
À la porte de la chapelle J’ai lu l’écrit, Frère Martin.
Qui, promulguant la foi nouvelle.
Vous émancipe du latin : « César, et Pierre, et leurs curies
Font une même Idolâtrie !…
Mon Dieu n’est pas un hypogée
Où l’homme enterre son trésor
Ta voix, mon Dieu, n’est point gagée
Pour nous absoudre de la mort !
Que chacun pour soi-même expie
Exterminons le rite impie
Qui se joua de tes courroux
Et trafiqua de la prière
Que notre sœur ou notre frère
Entreposait sur tes genoux !… »
Et maintenant, écoutez chanter le chœur qui réplique à la rauque et fausse voix de de Wittenberg : voyez surgir l’Étoile du matin, que le poète évoque en deux strophes où les moins favorablement prévenus reconnaîtront comme moi, sous l’invective, l’ébauche d’une prière :
Ô corruptrices de l’azur,
Savez-vous ce qu’est devenue
La mystique Rose au cœur pur,
Qui, neige et feu, sous de longs voiles
Qu’auréolèrent sept étoiles,
Emparadisa terre et mer ?…
Dites-nous : la Vierge Marie
Ne règne plus dans notre ciel
Et votre terre défleurie,
Désert de cendres et de sel,
Ne mène plus l’ogive en flamme
S’ouvrir aux pieds de Notre-Dame,
Jurer l’amour entre ses mains
Et lui chanter : « Ô belle, ô claire,
Dans la maison d’un même Père
Abritez nos cœurs pèlerins ! »
Tota pulchra es, Maria. J’aime ce cantique dans cette bouche. C’est un saint présage, à côté des trois ou quatre touches païennes de ce beau livre.
Que dire de plus, amis lecteurs ?
Simplement, le petit, l’énorme mot de tous nos offices : Prions. »

Nombre de pages : 240.
Prix (frais de port inclus, offerts par Belle-de-Mai Éditions) : 25 €.
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