
Cet entretien est paru dans JDNEWS ce jour, 26 mars. Venant de Bernard Lugan, il n’a besoin d’aucun commentaire. Ne manquons pas de commander son livre sur les Algéries qui permet d’être au fait des réalités, notamment historiques et géopolitiques, relatives à l’Algérie, à son principal voisin, le Maroc, et, naturellement, à la France.
Africaniste, ancien professeur aux écoles de Saint-Cyr Coëtquidan et de l’École de guerre, Bernard Lugan publie une « Histoire des Algéries ». Pour le JDNews, il décrypte la crise franco-algérienne.
Le JDD.« Nous ne voulons pas la guerre avec l’Algérie, c’est l’Algérie qui nous agresse », affirme le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui réclame « une réponse graduée » envers Alger, si celle-ci ne veut pas reprendre ses ressortissants expulsables. A-t-il raison ?
Bernard Lugan. Il a évidemment raison car l’Algérie est en guerre contre la France et cela, depuis 1962. Il suffit d’écouter les paroles de son hymne national… Le ministre Retailleau n’a pas la tâche facile car il doit se battre en France même, et jusqu’au sein du gouvernement, contre les groupes de pression de cette gauche française gardienne vigilante du mensonge national algérien. Si nous voulons dépasser le simple descriptif de la situation actuelle, il nous faut revenir à l’histoire qui explique tout en Algérie. La cause immédiate de l’accélération de la guerre que nous mène l’Algérie est que, habituée à voir satisfaites toutes ses exigences mémorielles, elle n’a pas accepté la reconnaissance par Paris de la marocanité du Sahara occidental qui remonte pourtant au XIe siècle.
À ce sujet, vous prônez un retour du réel, en citant Mohammed Harbi « pour que l’histoire cesse enfin d’être l’enfer et le paradis des Algériens ». Il y a donc un espoir de réconciliation ?
Cette phrase de Mohammed Harbi est d’une grande profondeur. « Enfer » effectivement, car l’histoire montre que l’Algérie n’existait pas avant 1962, d’où ce complexe existentiel qui habite ses dirigeants et qui interdit chez eux toute analyse rationnelle. Mais, paradoxe, pour eux, cette histoire est en même temps « paradis », parce que, pour oublier qu’elle est un « enfer », ils ont fabriqué une artificielle épopée valorisante à laquelle ils sont condamnés à faire semblant de croire et sur laquelle repose la « légitimité » du régime. Comme cette histoire officielle présente la France comme étant à l’origine de tous les problèmes de l’Algérie, tant que la génération qui la dirige actuellement ne sera pas arrivée au terme de son horloge biologique, toute « réconciliation » sera impossible.
Vous dites sur l’affaire Boualem Sensal qu’« une simple attitude virile du président Macron suffirait ». Qu’entendez-vous par là ?
Revenons d’abord sur les raisons de la prise en otage de Boualam Sansal car nous sommes là au cœur de la fausse histoire algérienne fabriquée par le FLN depuis 1962. Avec l’Algérie, nous en revenons, en effet, toujours à l’histoire, et c’est pour cela que j’ai écrit ce livre. Sansal a, en effet, osé faire connaître au grand public une vérité connue des historiens sérieux, mais interdite de publicité, à savoir qu’avant la colonisation française, l’ouest de l’Algérie (Béchar, Tindouf, Tidikelt, Gourara, Saoura, Tabelbala etc.) faisait partie intégrante du Maroc et que ce fut la France qui, pour créer l’Algérie française les en détacha. Pour encore aggraver son cas, Boualem Sansal ajouta que, durant la guerre d’indépendance, hébergés et aidés diplomatiquement, financièrement et militairement par Rabat, les dirigeants algériens s’étaient engagés à ce que, une fois l’indépendance obtenue, soient restitués au Maroc des territoires qui lui avaient été arrachés par la colonisation.
Sansal a osé faire connaitre au grand public une vérité interdite de publicité
Or, après 1962, non seulement Alger n’a pas respecté sa parole, mais, plus encore, a déclenché contre le Maroc la guerre des Sables de 1963… C’est donc pour avoir osé toucher au mythe fondateur d’une Algérie historiquement prétendument une et indivisible, crime très sévèrement puni par le Code pénal algérien, que Boualem Sansal a été emprisonné. Le « système » qui l’a pris en otage et qui dirige l’Algérie, ne peut, en effet, tolérer la moindre atteinte au dogme historique national, toute remise en cause représentant, en effet, une menace existentielle pour lui.
Pour en revenir à votre question, comme le président Macron a toujours cédé à l’Algérie, et comme il a osé parler de la colonisation comme d’un « crime contre l’humanité »… il est donc très mal à l’aise dans cette affaire. Or encore, la stratégie algérienne étant de faire cibler le ministre Retailleau par ses relais dans les médias français, une telle stratégie s’effondrerait immédiatement si le président Macron avait des paroles fortes à ce sujet. Il n’est pas interdit de rêver…
Déclenchant une violente polémique, le journaliste Jean-Michel Aphatie a affirmé que les Français ont fait des « Oradour » lors de la conquête de l’Algérie et que les nazis s’en seraient inspirés. Qu’en est-il dans les faits ?
Disons d’abord que la guerre n’étant pas un chemin bordé de roses, l’on pourrait, des jours durant, dresser la liste des exactions ou des prétendues exactions commises par les uns ou par les autres. Cela n’avancera à rien. Le plus important est de bien comprendre que le pouvoir algérien dispose de relais fidèles en France. Ces auxiliaires dévoués et zélés forment à la fois le poumon de la diplomatie parallèle d’Alger et le porte-voix de ses services. Héritiers des « porteurs de valises », on trouve parmi eux des journalistes complaisants ou incultes, sans parler de militants poursuivant un combat révolutionnaire de destruction de la société française. Tous véhiculent et popularisent dans l’espace médiatique l’histoire officielle algérienne écrite depuis 1962 et à laquelle l’école de Benjamin Stora donne un label « scientifique ».
Contrôlant à la fois l’université, la politique et le monde des médias, ils ont réussi à imposer en France l’exclusivité de la fausse histoire sur laquelle repose la « légitimité » du pouvoir algérien. Jean-Michel Aphatie n’a pas inventé l’accusation délirante qu’il porta sur les ondes. Cette thèse aussi outrancièrement radicale que totalement idéologique et anachronique, est, en effet, ancienne. Elle fut sévèrement dénoncée par Gilbert Meynier et par Pierre Vidal-Naquet – ce dernier pourtant ancien compagnon de route du FLN –, qui écrivirent à son propos : « Assimiler peu ou prou le système colonial à une anticipation du IIIe Reich, voire à un ‘‘précédent inquiétant’’ d’Auschwitz, est une entreprise idéologique frauduleuse […] on ne voit pas pourquoi la répression sanglante de la révolte de Spartacus, ou encore la Saint-Barthélemy, ne l’auraient pas tout autant annoncé… En histoire, il est dangereux de tout mélanger. […] Un sottisier peut-il tenir lieu d’œuvre de réflexion et de synthèse historique ? » ■ BERNARD LUGAN
Histoire des Algéries, Bernard Lugan, Ellipses, 304 pages, 26 euros.
Blog sur l’actualité africaine : bernard-lugan.com
Avec Lugan, sur ces sujets-là, tout est clair !