
Par Paul Sugy
Ce « récit » est paru dans Le Figaro d’hier, 31 mars. Il nous montre surtout, sans épuiser le sujet, que les mentalités évoluent. Timidement, en effet. Mais nous avons connu toute une époque où même dans des milieux et des écoles de pensée normalement vouées à la défense du Pays, à la préservation de notre héritage intégral, par souci de conformité ou lâcheté d’esprit, il était mal vu, presque interdit d’évoquer ce sujet là… Les offensives de plus en plus puissantes du camp adverse, dont le « récit » est ici donné, ont peu à peu entamé ces réticences à voir les réalités en face, souvent jusqu’à les nier. Ceux qui se sont réfugiés dans ces attitudes peureuses ont été dépassés par d’autres plus courageux ou clairvoyants. Et la réaction populaire a tranché obligeant à la réaction salutaire d’un certain nombre, puis d’une large majorité de Français. Il faut œuvrer à hâter les évolutions nécessaires des mentalités. Sinon, même les royalistes, n’auraient plus d’héritage à sauver et plus de roi à qui le transmettre.
RÉCIT – Certains intellectuels et certains médias s’entêtent à nier le racisme anti-Blancs, car cette notion aurait été inventée par l’extrême droite. Seules les discriminations « systémiques » visant les personnes « racisées » constitueraient du racisme. Généalogie d’une manipulation idéologique.
En affirmant sur Europe 1 et CNews que les populations « françaises » et « blanches » peuvent aussi être victimes de racisme, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, a déclenché une vive polémique. Soutenir qu’il existe en France un racisme anti-Blancs était jusqu’ici plutôt l’apanage des élus de la droite nationaliste, plus rarement de ministres (encore qu’en leur temps Jean-Marc Ayrault puis Édouard Philippe l’avaient déjà évoqué), et c’est peu dire que l’expression vaut à celui qui l’emploie une pluie d’anathèmes. Si la porte-parole du gouvernement a donc fait montre, en la reprenant à son compte, d’un certain courage, on peut aussi lui reconnaître une étrange naïveté lorsque, en confirmant quelques jours plus tard ses propos sur Public Sénat, elle a ajouté au sujet des critiques essuyées depuis : « Ça m’a surprise, parce que je pense que c’est un lieu commun de dire ça. »
Un « lieu commun » ? Pas pour tout le monde. Car un large éventail d’intellectuels (sociologues, philosophes…) ont préempté le débat sur le racisme anti-Blancs en martelant malgré les évidences que cette notion est creuse et ne désigne aucune réalité effective. Le secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, en a d’ailleurs lui-même fait les frais à gauche, en attestant à son tour de l’existence d’une forme spécifique de racisme visant les Blancs, ce à quoi le député de La France insoumise Bastien Lachaud a répondu en l’accusant de « banaliser des notions venues de l’extrême droite et (de) contribuer ainsi à la défaite idéologique de (leur) camp social ».
Mais comment nier l’existence, en France, d’insultes et de violences commises spécifiquement à l’encontre des Blancs ? L’actualité en offre, hélas, de trop nombreux exemples. Le 10 mars dernier, un homme giflait encore des policiers au cours de sa garde à vue aux cris de « sales Blancs », rapporte La Dépêche. N’est-ce pas du racisme anti-Blancs ? Si, à l’inverse, les policiers avaient été noirs, et si l’individu les avait injuriés en raison de leur couleur de peau, le caractère raciste de l’agression aurait-il fait le moindre doute ?
Ceux qui s’évertuent à prétendre que « le racisme anti-Blancs n’existe pas », comme la militante racialiste Rokhaya Diallo l’affirmait encore sur son compte Instagram ce jeudi 27 mars, ne contestent pas l’existence de tels faits mais affirment deux choses : d’une part, que l’expression de « racisme anti-Blancs » a été forgée par l’extrême droite et que la reprendre à son compte revient à promouvoir une vision raciste de la société ; et, d’autre part, que ces faits sont des actes isolés, tandis que le vrai racisme est un système global de domination en vertu duquel les Blancs jouissent de « privilèges » et les « personnes racisées » souffrent de « violences systémiques ».
Une notion qui ne vient pas de l’extrême droite
Examinons d’abord la première affirmation : le racisme anti-Blancs serait une invention de l’extrême droite. Cette thèse est tellement ancrée dans l’esprit de certains qu’elle finit par avoir valeur d’évidence, ou de vérité factuelle : ainsi était-elle reprise sans la moindre distance critique par le journaliste de l’Agence France-Presse Jérémy Marot, dans sa dépêche relatant les propos de Sophie Primas : « L’extrême droite, écrivait le journaliste en pensant énoncer là un fait indubitable, a théorisé le concept il y a une cinquantaine d’années. »
Dans la littérature scientifique, c’est encore la thèse du démographe Hervé Le Bras, pour qui parler de « racisme anti-Blancs », c’est présupposer l’existence d’une race blanche… donc être raciste.
De nombreuses personnalités ou organisations d’extrême droite ont certes repris à leur compte l’idée que l’immigration alimentait en France un racisme anti-Blancs (ou « anti-Français »). C’est pour combattre celui-ci que des personnalités du Front national ont fondé en 1984 l’Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (Agrif), et plusieurs auteurs nationalistes ont depuis étayé le concept, à l’instar du négationniste Hervé Ryssen, auteur en 2011 du Racisme antiblanc aux Éditions Baskerville. Mais l’extrême droite n’a pas le monopole de la dénonciation d’un racisme visant spécifiquement les Blancs, issue à l’origine d’une préoccupation émanant de la constellation des associations de lutte contre le racisme.
Il faut lire, pour s’en convaincre, les travaux de l’historien Emmanuel Debono, titulaire d’un doctorat en histoire à Sciences Po Paris et auteur au CNRS d’un livre portant sur les « origines de l’antiracisme », qui retrace la genèse dans l’entre-deux-guerres de la Ligue contre l’antisémitisme, devenue aujourd’hui la Licra. Dans un long billet publié sur son blog (hébergé par le site du Monde), Emmanuel Debono livrait quelques réflexions fort utiles à ce sujet à la suite d’une plainte de la Licra contre le rappeur Nick Conrad, auteur d’un clip intitulé «Pendez les Blancs» (Nick Conrad a été relaxé en appel de son procès pour racisme). Le Front national, rappelle-t-il, « n’est pas l’inventeur de la notion de racisme anti-Blancs, qui émerge dans le débat public au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans le contexte de décolonisation ». Et de rappeler que l’expression « blancophobie » était déjà employée aux Antilles dès la fin du XIXe siècle pour désigner l’attitude hostile envers les colons. Puis, dans un contexte de décolonisation traumatique et face aux conséquences en métropole de l’agitation suscitée par des mouvements de libération dans les anciens territoires de l’empire colonial, la Lica, ancêtre de la Licra, mettait en garde dès les années 1960 contre la montée d’un « néoracisme anti-Blancs ».
« Domination blanche »
Si l’extrême droite s’est mise à parler à son tour de racisme anti-Blancs, il s’agit plus sûrement d’une récupération que d’une invention. Le racisme envers les Blancs a d’abord été dénoncé et combattu par des organisations antiracistes, luttant à l’origine contre l’antisémitisme, puis ayant élargi leur combat à toutes les formes de racisme quelles qu’elles soient. Du reste, s’agissant de l’antisémitisme, il n’est pas inutile de constater que ses principaux relais aujourd’hui essentialisent les Juifs comme les militants décoloniaux ont pu essentialiser les Blancs : l’instrumentalisation du conflit entre Israël et le Hamas sert aujourd’hui à ramener les Juifs à une appartenance ethnique, puis à une entreprise politique, et par conséquent à les réduire à une complicité supposée avec les décisions du gouvernement israélien, qui justifierait par conséquent leur déshumanisation.
Le racisme a été décrit plus tard comme une gamme d’attitudes négatives constatées chez un groupe de population à l’égard d’un autre, dans une perspective utilisant notamment la psychologie sociale
De même que ceux qui s’en prennent aux Blancs essentialisent les Français n’ayant pas d’origines étrangères, ramenant ceux-ci au passé colonial de la France et les rendant du même coup complices d’une supposée « domination blanche ». En somme, l’antisémitisme contemporain se rapproche bien plus sûrement du racisme anti-Blancs que des autres formes de racisme et souffre également des mêmes mécanismes de déni.
Du reste, suggère aussi Emmanuel Debono, ni l’instrumentalisation du racisme anti-Blancs par des groupes politiques ni même la longue série de controverses qui entoure cette notion depuis l’origine ne suffisent à la disqualifier.
Le racisme n’est pas nécessairement « systémique »
Le débat tourne dès lors à une confrontation entre différentes façons de définir le racisme – qui, au demeurant, ne sont pas exclusives les unes des autres. C’est Daniel Sabbagh, un autre docteur à Sciences Po, cette fois en science politique, qui a le plus clairement explicité les termes de la querelle en schématisant trois approches de la notion de racisme. Celui-ci peut d’abord être décrit comme une idéologie, consistant à séparer l’humanité en groupes ethniques distincts et à hiérarchiser ensuite ces groupes en affirmant que certains sont supérieurs à d’autres en vertu de critères précis.
C’est la façon dont de nombreux anthropologues, à l’instar de Claude Lévi-Strauss, ont appréhendé le problème du racisme ; l’intérêt étant que, si le racisme repose sur une idéologie erronée (on songe aux errements de la physiognomonie, pseudo-science qui a en partie contribué à l’essor scientifique du nazisme), il peut être combattu par la connaissance et l’instruction. Dans un second temps, le racisme a été décrit plus tard comme une gamme d’attitudes négatives constatées chez un groupe de population à l’égard d’un autre, dans une perspective utilisant notamment la psychologie sociale. Cette approche a le mérite de permettre de comprendre la stigmatisation et les phénomènes de rejet ou de haine entre deux communautés.
Enfin et plus récemment, le racisme n’est parfois plus perçu en sciences sociales que comme l’établissement d’un système de domination, qui conduit le groupe dominant à intérioriser sa supériorité sur le groupe dominé, et donc à ne plus être réellement conscient d’agir de façon raciste. Il n’existerait autrement dit de racisme que « systémique »… C’est ce qui fait dire, par exemple, au sociologue Éric Fassin que « le racisme anti-Blancs n’existe pas », car seules les personnes « racisées » (perçues comme non-blanches) font l’objet d’oppressions systématiques. « Je n’entends pas de discours politique anti-Blancs, je ne vois pas de discrimination à l’embauche ou au logement pour les Blancs, je ne vois pas de contrôle au faciès pour les Blancs. Donc les expériences sociales ne sont pas les mêmes pour tout le monde », déclarait-il par exemple à France Culture.
Militants afro-américains des années 1960
Selon cette typologie, le racisme anti-Blancs existe bien si l’on s’en tient aux deux premières façons de le définir, mais l’idée d’un racisme systémique, défendue aujourd’hui par les tenants d’une sociologie militante, exclut d’emblée la possibilité pour les Blancs d’être victimes de racisme.
Sauf que cette conception maximaliste n’est pas sans danger : d’une part, relève Daniel Sabbagh, elle peut décourager jusqu’aux plus farouches adversaires du racisme, qui se retrouvent par leur seule couleur de peau suspects, si ce n’est coupables. C’est ce discours que l’on entend dans les universités californiennes, où l’on demande aux étudiants blancs de réfléchir aux « privilèges » que leur confère leur « blanchité » – une injonction défendue jusqu’en France par l’universitaire Simon Grivet, par exemple, qui appelait dans les colonnes du Monde à « mesurer la dimension postcoloniale de notre société » pour « mettre en lumière la persistance de discriminations inacceptables ». Le risque est encore de banaliser la notion de racisme : s’il innerve chaque dimension même inconsciente de la vie civique, si les institutions elles-mêmes sont racistes, si tout est raciste… alors plus rien ne l’est vraiment.
Cette idée d’un « racisme structurel » a été utilement critiquée par le philosophe Pierre-André Taguieff, qui montre comment cette invention forgée par les militants afro-américains des années 1960 vise en réalité à ne réfléchir au racisme que pour l’imputer exclusivement aux Blancs, l’antiracisme devenant, paradoxalement, une arme politique destinée à s’en prendre aux Blancs en tant que groupe constitué. Ce nouvel antiracisme participe non seulement à rétablir une analyse raciale des rapports sociaux mais justifie même la disqualification politique des Blancs, si ce n’est leur discrimination au nom des politiques d’« affirmative action » qui ont cimenté aux États-Unis le rejet, à travers le vote Trump, des dérives du wokisme…
Pour revenir à la question du racisme anti-Blancs, on voit finalement la tautologie : la seule façon d’en nier l’existence consiste à adopter une définition du racisme qui postule en réalité, à l’appui d’une lecture résolument postcoloniale des rapports sociaux en Occident, que le racisme ne peut qu’être une attitude commise par des Blancs à l’égard de personnes « racisées ». Il faudrait présupposer l’inexistence du racisme anti-Blancs pour démontrer qu’il ne revêt aucune réalité effective : c’est un raisonnement circulaire, et par conséquent très fragile. Mais ancré néanmoins dans le discours intellectuel, encore que les prises de position politiques évoquées plus haut prouvent que l’omerta sur cette forme de racisme commence à se fissurer. La justice a du reste déjà reconnu à plusieurs reprises l’existence d’une circonstance aggravante de racisme pour des faits commis à l’encontre d’une victime blanche, signe que les mentalités évoluent… timidement. ■ PAUL SUGY
Je rappelle que Paul Sugy est par ailleurs l’auteur d’un excellent petit essai, « L’extinction de l’homme », consacré à l’antispécisme.