
« La maternité est vue comme un vice : on plaint les mères comme on plaint les alcooliques. »
Par
Ce récit d’une rencontre est paru dans Le Figaro du 6 avril. Il intéressera ceux que préoccupe cette sorte de culture de mort qui s’installe au cœur de nos société d’où les instincts de vie élémentaires se seraient pour l’instant évanouis. Houellebecq s’est déclaré de longue date contre le suicide, contre l’arrogance du progressisme qui voudrait balayer toutes les sagesses anciennes… Houellebecq est un anti moderne, forme la plus radicale d’être de son temps l’esprit libre et éveillé. Donc avec un peu d’avance intrinsèque sur les autres. La modernité active est en opposition critique avec elle-même et en lien avec les pensées et les sagesses anciennes qui, elles, ne sont pas d’une époque mais de toujours. Toujours est supérieur à moderne mot dont la racine est parente de futilité passagère. C’est, à notre avis, ce que pense Michel Houellebecq.
RENCONTRE – Ce 3 avril, Le Figaro TV diffusait Ensemble, un documentaire consacré aux bénévoles qui accompagnent les personnes en soins palliatifs. L’écrivain Michel Houellebecq s’est entretenu à cette occasion avec la médecin Claire Fourcade, réaffirmant son opposition au projet de loi (arrivant au Parlement en mai) légalisant l’euthanasie.
« Je ne voudrais pas donner l’impression de me satisfaire d’un argument d’autorité, mais tous ceux qui ont pensé, au cours des millénaires précédents, étaient contre ». Michel Houellebecq
L’émotion était palpable ce jeudi soir sur le plateau du Figaro TV, lorsque Michel Houellebecq, la gorge serrée et les larmes aux yeux, a laissé voir que sa préoccupation au sujet de la fin de vie n’était pas que théorique, mais avant tout sensible. Invité à réagir au film Ensemble, premier documentaire coproduit par Le Figaro, qui raconte la vie ordinaire à La Maison, à Gardanne, d’une unité de soins palliatifs pas comme les autres, l’écrivain a laissé transparaître son bouleversement.
Une scène l’a particulièrement touché, celle d’une malade, Angèle, qui se préoccupe de son maquillage jusqu’au seuil de la mort : « C’est terrible. Je ne suis pas une femme, mais je comprends cette importance du maquillage. (…) J’ai constaté que certains, tout en se sachant condamnés, continuaient à croire en une vie éternelle. Mais n’a-t-on pas besoin de s’imaginer être éternels pour vivre ? J’ai l’impression que l’optimisme est meilleur pour la santé. On ne vous dit jamais de regarder votre mort en face. »
Concédons à Houellebecq que le documentaire est poignant. Les patients, loin d’être exigeants, ont l’impression de ne plus être à même d’évoluer dans l’univers de leurs proches. Auprès d’eux, Delia, avec son accent anglo-saxon, fait montre d’une douceur infinie, quand Emma, elle, communique avec sa vivacité naturelle – et l’une comme l’autre, en réalité, sont source de grand réconfort.
La simple idée de regarder un tel film préoccupait l’écrivain : « J’avais peur de me sentir nul par rapport à ceux qui travaillent avec les gens en fin de vie. » Mais ces volontaires accomplissent leur tâche avec tant d’enthousiasme qu’ils permettent aux malades de se retrouver au centre de l’attention : « Finalement, poursuit-il, je me suis plutôt senti dans la peau de l’accompagné, des personnes en fin de vie. Cela change la perspective : et si l’on me devait aussi des choses, un minimum d’attention, quand j’en serai là ? »
Le mépris de la vie, symptôme d’une décivilisation ?
Si Laurence de Charette souhaitait que Houellebecq s’entretienne avec Eugénie Bastié et Claire Fourcade pour approfondir le thème du documentaire, ses espoirs étaient minces : l’écrivain se fait rare. Le commentaire n’est pas son domaine. Il accepte pourtant l’invitation de bon cœur. L’euthanasie est une préoccupation de longue date chez Houellebecq. Dès 2010, avec la publication de La Carte et le Territoire, elle lui vaut même un procès.
Dans ce roman, où sa perception d’un Occident toujours plus décadent est prégnante, il mettait en scène l’entreprise de services d’aide au suicide Dignitas, qui opère en Suisse alémanique. Dans son récit, elle est motivée par la cupidité, monnayant très souplement une euthanasie en théorie soumise à un strict encadrement légal : « L’association Dignitas se targuait, en période de pointe, de satisfaire à la demande de cent clients par jour », écrivait-il. Dignitas a essayé de voir son nom disparaître des livres vendus en Suisse et en Allemagne ; l’éditeur a eu gain de cause.
Si Ensemble leur a donné un visage, l’auteur, dans un autre livre, Anéantir (Flammarion, 2022), imaginait déjà les pensées de ceux qui partagent les derniers instants des malades : « Elle devait nettoyer tout ça, la merde et les draps souillés et c’était désagréable, mais le pire de tout c’était leur regard implorant quand elle arrivait dans la chambre, et leur manière de lui dire : “Vous êtes bien gentille, mademoiselle.” Chez elle, en Afrique, des choses comme ça ne se seraient pas produites, si c’était ça le progrès, ça ne valait pas la peine. »
Pourquoi un écrivain dont les romans évoquent la misère sexuelle, la solitude des sociétés libérales, la tristesse de l’individualisme a-t-il fait de l’opposition à l’euthanasie son dernier combat ? De sa voix hésitante et qui force à tendre l’oreille, Houellebecq semble se désespérer en constatant la désintégration du corps social de notre nation. Il rappelle que, même « lorsqu’une majorité de Français étaient favorables à la peine de mort, les jurys populaires ne la requéraient que rarement ». Car le propre de la civilisation est de répudier la mise à mort : « Lorsqu’un pays – une société, une civilisation – en vient à légaliser l’euthanasie, il perd à mes yeux tout droit au respect. Il devient dès lors non seulement légitime, mais souhaitable, de le détruire ; afin qu’autre chose – un autre pays, une autre société, une autre civilisation – ait une chance d’advenir », écrivait-il dans les colonnes du Figaro il y a près de cinq ans.
« Arrogance progressiste »
Depuis, ses convictions se sont confortées. Lorsqu’il est arrivé dans les locaux du Figaro, la programmatrice des émissions « Le Club », Virginie Le Trionnaire, a invité Michel Houellebecq à se départir de ses affaires avant d’entrer en plateau. L’écrivain d’insister : sa sacoche restera à ses côtés. Cette exigence prit son sens au fil de la conversation : le propos fut ainsi agrémenté d’une série de documents. D’une épaisse chemise, il a extrait nombre de chiffres et d’infographies pour alimenter son propos. À ceux qui font de la lutte contre l’euthanasie une panique morale catholique, il reproche un « manque de culture. Sur un site américain, les positions des diverses religions sur la question de l’euthanasie sont retranscrites. C’est américain, il y a donc beaucoup de communautés religieuses… Il ressort que, sauf les unitariens, aucune religion n’y est favorable. Il n’y a donc aucun besoin d’être un catho réac pour être contre l’euthanasie. »
« En outre, de nombreux philosophes ont abordé la question de façon détournée. Kant, par exemple, ne parle pas de l’euthanasie – qui lui semble inconcevable -, mais il se présente très nettement contre le suicide. On peut également penser au serment d’Hippocrate, largement avant le christianisme. Je ne voudrais pas donner l’impression de me satisfaire d’un argument d’autorité, mais tous ceux qui ont pensé, au cours des millénaires précédents, étaient contre. Il y a une espèce d’arrogance progressiste – désolé de la vulgarité du terme ! – qui me semble inouïe. Elle revient à balayer toute la sagesse et les pensées antérieures. D’ailleurs, si les philosophes se sont limités à la question du suicide, c’est parce qu’ils n’imaginaient pas qu’une société puisse envisager d’aboutir à nos interrogations actuelles. »
Dans un texte publié dans le Harper’s Magazine intitulé « The European Way to Die », Houellebecq mettait en opposition la légalisation du suicide assisté dans certains États américains, reposant avant tout sur la liberté individuelle, et la façon dont certains pays européens (et le Canada) ont opté pour une euthanasie qui socialise la mort en la faisant administrer par le corps médical, option que la France semble suivre dans le projet de loi qui va être débattu au Parlement. Et, même aux États-Unis, le sujet ne fait pas l’unanimité.
En extirpant de sa sacoche un nouveau document, représentant les quelques États américains qui proposent une aide à mourir, il explique la logique prévalant outre-Atlantique : « Le poison est confié par un médecin. Il ne l’administre pas. En amont, un autre médecin intervient pour confirmer un diagnostic de “mort proche”. La procédure reste ainsi encadrée. En outre, le patient doit renouveler sa demande à deux reprises, avec des témoins. Il est enfin interdit de donner le poison à quelqu’un qui serait dépourvu des moyens de se l’administrer. » Et même les patients les plus désespérés finissent bien souvent par prolonger l’automne de leur vie : « Entre 34 % et 50 % des personnes qui ont réceptionné le poison n’en ont jamais fait usage ! En un sens, je ne serais pas contre d’avoir pareille solution chez moi… »
La peur d’« être à charge »
Cette conception le « gêne moins que la logique débattue en France, où l’on ne sait pas qui donne la mort. Peut-on vraiment le demander à un médecin ou à un infirmier ? Dans le cas américain, l’action de la société ne consiste qu’à fournir le poison. (…) Aider les gens à se suicider est une chose, les euthanasier en est une autre. » La médecin Claire Fourcade d’abonder dans son sens : « Le soin est une relation avec les patients et le docteur deviendrait celui qui interrompt ce lien », rappelle-t-elle.
Au fil de l’échange, sa vision d’une rupture civilisationnelle qu’engendrerait la légalisation de l’euthanasie s’est précisée. Il n’est pas simplement opposé au texte débattu, il ne saurait concevoir son inscription dans notre univers. C’est au demeurant pour cette raison qu’il a régulièrement convoqué de grands auteurs de la littérature : ils nous plongent, comme l’euthanasie, dans un monde qui n’est pas le nôtre. Il en va ainsi de la nouvelle L’Examen, de Richard Matheson, dont il a lu un large extrait in extenso. Dans celle-ci, « un examen est imposé aux personnes âgées, à la fois mental et physique. Il consiste à déterminer si elles sont encore en état de vivre. La nouvelle se passe dans une famille de la classe moyenne américaine, pas très riche. Elle a deux enfants, ne dispose que de deux chambres et vit avec le père du mari. Il occupe l’une des chambres. »
« Dans la scène qui ouvre la nouvelle, le mari prépare son père pour l’examen du lendemain. Il sera décidé s’il est bon pour la vie. Il comprend que son père échouera, qu’il n’a aucune chance de réussir. Sa femme est consciente de l’enjeu, mais pense principalement à la chambre qu’elle récupérerait (…). Le lendemain, le père se rend à l’examen. Puis rentre sans dire mot. Pour les deux enfants, qui jouaient dehors, la mort programmée du grand-père ne signifiait rien. C’est de la science-fiction : il y a une exagération légère, mais hélas pas totalement invraisemblable. En ce moment, on condamne les vieux à l’euthanasie, car la Sécurité sociale coûte trop cher. »
Une dimension de l’euthanasie semble obséder Michel Houellebecq : le poids que les malades ou les personnes âgées ont peur de faire ressentir à leur entourage. « Par des siècles de condition difficile, on a été dressé à l’impératif de ne pas être à charge. Mais ce n’est pas une envie de mourir. » Dans le documentaire, il est d’ailleurs frappant de voir la gratitude éprouvée par les malades au contact de bénévoles qui leur accordent un semblant d’importance, de capital social. Certes, « la dégradation de l’état physique conduit forcément à une forme de dépendance », mais la mise en accusation de celle-ci « découle en partie du traitement général de la vieillesse ». C’est à ce niveau que doit reposer l’ambition politique : la dépendance ne doit plus être synonyme d’abandon.
« Nous ne sommes pas des retardataires »
Tandis que Claire Fourcade rappelait que la mise en place de traitements palliatifs offrait à des patients gagnés par l’isolement social la possibilité de construire une relation nouvelle avec leur personnel médical, Houellebecq a vu en eux une forme de revitalisation. Comme un dernier sursaut. Dans une tribune au Figaro, il avait mis en miroir la médecine palliative avec la possibilité de recourir à l’euthanasie. « Je me vois très bien demander à mourir juste dans l’espoir qu’on me réponde : “Mais non, mais non, reste avec nous.” »
Avant que le projet de loi soit débattu au Parlement, le documentaire de Laurence de Charette sera diffusé à l’Assemblée nationale ce mardi 8 avril. Nos représentants décideront ensuite si la France doit rejoindre « deux blocs » identifiés par Michel Houellebecq à la fin de son entrevue avec Le Figaro : la Belgique et les Pays-Bas, et l’Espagne et le Portugal. Ce sont les seuls pays d’Europe à avoir légalisé l’aide active à mourir. Houellebecq veut rappeler que rien n’est inéluctable : « Nous ne sommes pas des retardataires abrutis derrière des progressistes enthousiastes et intelligents qui se seraient jetés dans l’euthanasie. » ■ ELIOTT MAMANE
Merci pour ce compte-rendu éclaiarant
Faute d’avoir une société d’entraide défaite de responsabilités de gratitude et d’affect et surtout faute de religion on escamote ce qui dérange .et pour satisfaire l’ego d’un président dont le bilan est désastreux on change notre civilisation et bientôt notre population. Après le mariage pour tous voici la mort pour tous et « dignement » c’est à dire sans deranger sans faire de bruit sans cris et sans larmes enterrés sans messe ou mieux incinérés et surtout vite oubliés. Une mort digne comme celle de mon toutou préféré …