
Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Nous redonnons cet éditorial de Louis-Joseph Delanglade paru dans nos colonnes il y a presque 2 ans (13.02.2023) parce qu’il nous semble difficile de produire une analyse plus claire et plus équilibrée du problème franco-algérien. Si les circonstances de février 2023 sont bien évidemment autres que les actuelles, le fond des choses, mmeles procédés, les grands enjeux sont semblables. À la question posée en titre (Faut-il tirer un trait sur l’Algérie ?), on comprend bien que Louis-Joeph Delanglade ne penche pas pour une réponse par l’affirmative. Si elle devait l’être, ce serait bien davantage par la faute de l’insigne faiblesse de la partie française qu’à cause de la redoutable duplicité de la partie algérienne. « En espérant des jours meilleurs, car rien ne peut être exclu » est-il conclu dans cet éditorial de février 2023. ■
Mme Bouraoui est ce que l’on appelle une « binationale », en l’occurrence française et algérienne. Qu’on le veuille ou non, la binationalité reste une sorte de zone juridique grise et il est difficile de ne pas voir d’abord dans ce qui est arrivé à cette dame une bonne illustration des problèmes y afférents.
Ayant participé en tant qu’Algérienne à la révolte du Hirak (2019-2021), elle est emprisonnée, puis libérée, puis condamnée à deux années de prison à purger à partir du prochain printemps, et pour ce motif sous le coup d’une interdiction de quitter le territoire algérien. Elle se souvient alors qu’elle est française et utilise son passeport gaulois pour passer en Tunisie d’où elle parvient à rejoindre la France.
Fureur d’Alger, un peu compréhensible tout de même, qui met en cause, à tort ou à raison, les services français pour cet acte « très inamical » : « La France […] ne changera jamais » ( El Moudjahid). Le nombre de binationaux franco-algériens est tel qu’il constitue de fait une source de problèmes à venir entre les deux pays, à moins que ceux-ci ne trouvent un accord satisfaisant.
Cela dit, la question se pose de savoir s‘il s’agit d’un simple prétexte à un énième psychodrame entre Paris et Alger, peut-être dû à des tensions internes au pouvoir algérien, ou d’une crise beaucoup plus grave propre à recongeler des relations qui donnaient l’impression de devoir se réchauffer. En effet, il y a seulement six mois, en visite officielle à Alger, M. Macron se montrait d’autant plus conciliant sur la question mémorielle ou sur les visas qu’il affichait l’ambition de mettre sur pied avec son « ami » le président Tebboune un vrai partenariat politique, économique et militaire (« Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé »). Il parlait même d’une « histoire d’amour » entre la France et l’Algérie (faisant écho, sans doute involontairement et quarante ans plus tard, au fameux « coup de coeur » de Claude Cheysson, ministre des Relations extérieures de François Mitterrand, de 1981 à 1984). Lui succédaient à Alger, en octobre dernier, Mme Borne, accompagnée de la moitié de son gouvernement puis, en décembre et en solo, M. Darmanin. Dans l’autre sens, on notera en janvier la visite discrète mais très significative du général Chengriha, chef d’état-major de l’armée de terre algérienne.
Or, suite à l’affaire Bouraoui, Alger a rappelé son ambassadeur en France « pour consultation », ce qui en langage diplomatique signifie un grand mécontentement. Seraient par ailleurs compromis (reportés, voire annulés ?) la réunion du Comité mixte économique franco-algérien, la visite en France du président des patrons algériens, des projets économiques et militaires « majeurs » (sur le pétrole et des minerais « stratégiques »). Mais, surtout, la presse algérienne souligne le caractère très incertain de la venue à Paris en visite officielle de M. Tebboune, président de la République algérienne – visite programmée pour le mois de mai et présentée auparavant comme le point d’orgue du processus dit de « réconciliation ».
Si on devait en arriver là, se poserait vraiment la question de savoir s’il faut, oui ou non, continuer à courir après une Algérie qui manifesterait tant de mauvaise volonté, voire de mauvaise foi, en réponse à la grande compréhension (certains y voient une faiblesse coupable) dont la France n’aura cessé de faire preuve depuis soixante ans. La réponse n’est pas facile. Sauf à renoncer au moins provisoirement à une politique étrangère active pour se replier de façon tactique sur son pré carré, la France peut difficilement, et pour de nombreuses raisons, ignorer l’Algérie. Il lui faudrait alors continuer à œuvrer en espérant des jours meilleurs, car rien ne peut être exclu. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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