
« Avec l’Algérie, la France vit un jour sans fin. »
Par Vincent Hervouët.
Cette chronique spirituelle, pertinente et informée suivant les qualité et le style habituels de Vincent Hervouet, est parue au JDD du 9 avril.
CHRONIQUE. Le communiqué des Affaires étrangères après la visite de Jean-Noël Barrot en Algérie était, pour Vincent Hervouët, de la langue de bois vernie de jargon technocratique… En clair : le Quai d’Orsay donne raison à Alger contre la place Beauvau.
Sonnez trompettes, résonnez hautbois… Avec Barrot, c’est toujours Noël ! Il faut écouter le ministre et le ministère. C’est un monument de langue de bois. Chevillée, cirée, pesant une tonne. On parle de reconstruire « un partenariat d’égal à égal », bien sûr, « serein et apaisé », ça va sans dire, « dans l’intérêt mutuel », évidemment… Il veut retrouver « les voies de la coopération, sans délai, pleine et entière », et il le veut « avec sérieux, discrétion, efficacité »… on l’applaudit très fort. On a entendu cela mille fois. Avec l’Algérie, la France vit un jour sans fin.
Le communiqué du ministère des Affaires étrangères parle de « fluidification » de la coopération migratoire. De « l’opéra-tionna-lisation » de la feuille de route dessinée par les chefs d’État. C’est la langue de bois vernie avec le jargon des technocrates. Sur le fond, c’est kif-kif, comme on dit en bon français. Toujours plus de visas, pas touche aux accords de 68 et pour les OQTF, on verra…
Le pompeux, le flou, l’abstrait
À quoi sert cette langue de bois ? À noyer les problèmes sous le pompeux, le flou, l’abstrait. Les diplomates qui parlent toutes sortes de langues étrangères se servent surtout de celle-là. Le contraire de la langue de bois, c’est le langage corporel. L’une est un mensonge, l’autre est un aveu.
Regardez la photo de Jean-Noël Barrot reçu par le président Tebboune. L’Algérien est calé dans son fauteuil, large comme un trône, les jambes écartées, le sourire goguenard. Le ministre est aux aguets, assis au bord de son siège, qui est un peu plus bas. Il a les coudes sur les cuisses. Cela ne ressemble pas à un dialogue d’égal à égal, serein et apaisé. C’est même le contraire : on y voit de la gêne, de la soumission. Le comble est que le ministre reprenne avec zèle une formule maladroite du président Tebboune. Il a dit et l’autre répète qu’après huit mois de brouille, « le rideau se lève ». Pas le soleil, le rideau. C’est vrai, c’est du théâtre et on connaît la pièce, la même toujours recommencée.
Le ministre insiste sur le dialogue dans une logique de résultats
C’est la perfidie à relever. Les diplomates prétendent réussir là où le ministre de l’Intérieur aurait échoué avec sa riposte graduée. On comprend le demi-sourire d’Abdelmadjid Tebboune. Il a fait de Bruno Retailleau son bouc émissaire préféré.
Donc, les réadmissions des OQTF seront traitées « via les procédures normales et fluides de la coopération consulaire ». Cela veut dire quoi ? Qu’il faudra que les préfets demandent aux consuls algériens l’autorisation d’exécuter les décisions de la justice française. Souvent, ils disent non. Ils ont dit 14 fois non pour Brahim qui a tué un passant et en a blessé 8 autres, fin février, sur le marché de Mulhouse. Plus question d’expulsion en urgence comme celle de l’influenceur Doualem, qui appelait à tuer ceux qui critiquent le régime algérien et qu’Alger a refoulé… Bref, le Quai d’Orsay donne raison à Alger contre la place Beauvau.
Jean-Noël Barrot est reparti sans lui. Sans lui avoir porté des oranges. Le ministre implore un geste d’humanité pour Boualem Sansal « au regard de son âge et de son état de santé ». On ne crie pas qu’il est innocent. On ne réclame pas sa libération. Juste un geste d’humanité. Peut-être que le clairvoyant Tebboune lui accordera double ration de pain ou deux douches par semaine. À Alger, on se soumet avec Barrot. Et on reste derrière les barreaux. ■ VINCENT HERVOUËT
Un pays n’a pas d’amis, mais seulement des intérêts. Quels sont les intérêts que nous défendons par cet aplaventrisme?