
« Le progressisme veille, qui ne résistera guère sans doute à proposer une solution particulièrement intelligente. Faisant d’une pierre deux coups, l’auto moribonde et le quidam qui ne l’est pas moins, oui, les deux ensemble à la casse. »
Par Dominique Labarrière.
Ce billet tout en allégories, le plus souvent terriennes, selon les sources habituelles d’inspiration de son auteur, est paru le 9 avril dans l’excellent site Causeur Il alerte – comme beaucoup le font ces temps ci – sur ce que les papes régnants, y compris le dernier, lui-même en fin de vie, appellent la « culture de mort ». Si cette dernière – qui en effet gangrène nos sociétés – en est une, ce qui semble bien douteux en ces temps où le niveau généralisé d’inculture, notamment parmi les plus hauts placés – les « élites » – atteint des sommets inédits. En d’autres temps, Jacques Bainville aurait rappelé : ‘Deux cents ans de démocratie, ça se paie… » Surtout de démocratie à la française, fondée, à la différence des pays voisins, sur le reniement du passé national, institutionnel, moral, religieux, mémoriel et social, et, en un sens, sous diverses formes, dont celles d’aujourd’hui, sur la Terreur. Culture de mort ? En voici sans doute une des origines. La plus évidente, jamais vraiment close.
Viva la muerte !
Il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin les signes de la décadence vertigineuse de notre société. Il suffit de se reporter aux sujets sur lesquels elle entend réformer, légiférer en priorité. Et l’on a alors vite fait de constater que c’est à une société gangrénée par le morbide, fascinée par la mort que nous avons affaire.
Dans ce registre, elle a commencé par vouloir à tout prix inscrire dans la constitution le droit à l’avortement, pratique qui n’est autre que la mise à mort d’un être vivant, le fœtus. Mise à mort possible désormais à un stade de l’évolution de cet humain en devenir où, pour le supprimer, il faut en passer par l’acte symboliquement barbare entre tous, broyer le crâne, le cerveau.
Et voilà qu’il s’agit à présent de faciliter le passage volontaire de vie à trépas, l’euthanasie, le suicide assisté. Faciliter en effet, parce que à lire le projet de loi, il semble bien que, si ce projet devait être voté en l’état, ce qu’à Dieu ne plaise, il deviendrait plus aisé de se faire expédier ad patres que de dénicher un médecin traitant en province. Un comble.
Fascination du morbide, en effet, que cette intention législative dont le résultat, si elle entrait en vigueur, ne ferait qu’ajouter un tourment à ceux qu’endure déjà le malade. Le tourment de la culpabilisation de désirer vivre encore un peu. Le tourment de devoir se poser la question : stop ou encore ? Car le problème sera bien celui-là. S’entêter à demeurer en ce bas monde risquerait fort de devenir une sorte d’incongruité, une faute sociale, une lubie de mauvais citoyen, la norme progressiste en ce domaine étant de ne pas encombrer le plancher dès lors qu’on n’y serait plus convenablement alerte, dans un état conforme aux critères de vitalité prévus par les manuels.
Courage fuyons ! voilà la règle nouvelle. La société se découvrant incapable d’accompagner avec décence et dignité la vie jusque dans la faiblesse des derniers moments, capitule en rase campagne et se dote des moyens de précipiter l’issue. Aveu de terrifiante impuissance ! Mais qu’importe ! On n’est pas à un renoncement près. Et puis, mon bon monsieur, les retraites – ainsi d’ailleurs que les soins longue durée – coûtent si cher qu’abréger autant qu’on peut les vies improductives n’est pas loin de devenir un impératif économique.
Et puis, il y a les petites morts, sociales celles-là. Les gueux exclus de ZFE, par exemple. Ce n’est pas la mise à mort, seulement l’envoi en purgatoire. L’interdiction de pénétrer dans le saint des saints, là où règne l’entre-soi de ceux qui ont de quoi. De quoi rouler propre. Les autres, ceux qui ne disposent d’autre moyen de déplacement que leur bagnole époumonée, qu’ils crèvent donc ! D’ailleurs, la ministre l’a dit. Les précaires n’ont pas d’auto. En fieffée technocrate qu’elle est, elle se trompe lourdement. Le précaire, notamment en campagne, n’a même que cela pour vivre encore, aller au pain, se rendre chez le lointain médecin, etc. Il n’a plus que sa bagnole trentenaire si ce n’est quadragénaire, en effet. Et qui, avec cette belle trouvaille, ne sera même plus autorisée à le conduire en cas de besoin jusqu’au grand hôpital urbain. Mais quelle importance ! Le progressisme veille, qui ne résistera guère sans doute à proposer une solution particulièrement intelligente. Faisant d’une pierre deux coups, l’auto moribonde et le quidam qui ne l’est pas moins, oui, les deux ensemble à la casse.
Bien triste vision de l’avenir, bien sinistre conception de la vie qu’illustrent de telles priorités politiques ! Ce seraient les ultimes soubresauts d’une société désespérée d’elle-même que l’on ne s’en étonnerait guère. ■ DOMINIQUE LABARRIÈRE
Il est évident qu’après avoir fait pleurer Margot sur les souffrances de l’agonisant pour faire accepter l’eutanazie, on l’utilisera massivement pour des raisons essentiellement économiques.
Bien entendu. La légalisation n’est pas un acte compassionel.et l’on va changer d’échelle.
Curieux que l’on ne signale pas que l’immense majorité des trépas par maladie ou vieillesse se fait sans souffrance avec ou sans sedation médicamenteuse.
C’est une tendance de légiférer pour des cas d’espèce. N’y a t’il donc des problèmes bien plus fréquents où l’on « laisse courir » .
Aussi éloignée que possible de la question «métaphysique» : l’obsession de la mort. Pour être plus net encore, il faut se reporter aux mots inouïs de la Sagesse (Proverbes, VIII) : tous ceux qui haïssent la Sagesse aiment la mort. Mais, aux termes de l’abjection moderne, il s’agit de renverser la proposition : tous ceux qui aiment la mort haïssent la Sagesse ; c’est à la banalisation plastifiée de la mort que l’on peut mesurer la dégénérescence sapientiale de l’espèce qui s’y vautre…
Il existe une question terrible, si terrible que, d’un certain point de vue, la Charité interdit que l’on ose la poser ; cette question est celle de l’éventuelle inégalité de la répartition de l’âme immortelle chez les êtres humains… Dans «Prisme», Abel Gance attribue à Robespierre cette formule : «Celui qui ne croit pas à l’immortalité de son âme se rend justice.» Je ne sais si la paternité est exacte, mais elle correspond bien à l’infatuation robespierriste. J’ai toujours eu cette formule en abomination, et je l’abomine encore autant que possible, car c’est en effet se prendre soi-même pour Azraël, l’ange de la mort, ou pour saint Pierre aux portes du Paradis, que de «JUGER» ainsi une espèce de Prochain, sur lequel ledit jugement porté donne toute latitude pour supprimer son existence d’une manière ou d’une autre… C’est tout le contraire de l’acte de pardon, dont on a si mal fait une chose bêtement moralisatrice alors que, en vérité, il s’agit de la plus haute action humaine possible, capable de toucher au point vertigineusement vertueux de la Charité. Pour bien en comprendre la portée, il y a nécessité cérébrale de se reporter à des manières de penser qui nous font aujourd’hui totalement défaut.
Il existe une de ces manières de penser que l’on peut culturellement retrouver clairement exposée, celle des «conquérants» incas. Le Sapa Inca («grand Inca», c’est-à-dire, dans notre langage, le Roi) était descendant direct de la divinité et, par conséquent, avait coulant dans ses veines le sang de Dieu (Sang-Dieu, sang bleu), dont il avait mission de diffuser l’héritage par infusion dans les peuples soumis à son gouvernement. D’où les «conquêtes», qui consistaient à élever des espèces de Primates biologiquement sophistiqués à la noble condition humaine, celle-ci étant transmise par le Sapa Inca – quel “grand pardon” ! Quelle entrée dans le Salut !
Quelle conversion !
Quel baptême !
Notre onction chrétienne n’est pas autre chose, présentée en «langage humain» sous une autre traduction littérale, dans des termes plus «présentables» à la mentalité vulgaire et snobe qui est devenue celle de la «raison».
Dès lors que le gouvernant politique s’exonère de la soumission métaphysique – à laquelle oblige la fonction –, il a bel et bien «tous les droits», jusqu’au droit de mort. C’est toute la différence avec l’antique Loi qui reconnaît le fait du «droit de vie et de mort», puisque le Souverain détient le pouvoir d’effusion du divin qui coule dans ses veines et, par conséquence essentielle, le droit d’accorder la VRAIE vie.
Se gausser de ce que la théologie chrétienne dénomme la «présence réelle» revient à tuer Dieu en l’Homme et, par esprit de suite, à justifier n’importe quelle espèce de bestialité ; il suffit de se reporter à tous les grotesques sophismes socio-culturels dont le marquis de Sade fit assaut, au rythme relativement souverain de sa langue éminemment «classique», pour savoir que, selon la sophistique du «Siècle des Lumières», l’aboutissement de l’Orgie généralisée implique encore un ultime «effort» ; ainsi Sade introduit-il au centre névralgique de sa «Philosophie dans le boudoir» le chapitre intitulé «Français, encore un effort si vous voulez être républicains», qui organise la rhétorique progressiste de la lubricité, posée comme consubstantielle aux genres «citoyens» concernés.
Un siècle plus après, Georges Bataille ne s’y est pas trompé : séminariste ayant baissé son froc pour mieux s’employer à sodomiser les mouches, il a établi la théorie sur-révolutionnaire dite de «la petite mort», comme quoi l’extrême exercice de jouissance tient à ce que l’on touche au point de rupture avec la vie ; si bien qu’il n’y a rien de plus strictement républicain que de courir sur le fil de la mort.
Dès lors, très raisonnablement, la «morale» observe comme un bénéfice suprême accordé au citoyen la campagne euthanasique qui lui est désormais réservée, conjointement aux acharnements «transhumanistes» lui permettant de durer, somme toute, vaguement plus longtemps que son temps, jusqu’au temps fabriqué où ce seront les multiples «genres» reconnus aux êtres prétendus humains qui détermineront – «en-fin !» – le temps constitué comme légal pour recevoir l’hostie républicaine, sous capsule de cyanure.