
« L’insistance perpétuelle sur le social, les migrants, l’écologie, a donné l’impression d’un pape gestionnaire d’une ONG et aligné sur les grands discours mondiaux ; là où beaucoup de catholiques attendaient des paroles spirituelles et des propos théologiques. François a été plus politique que théologique, et cela a fini par lasser même ses fervents soutiens. Il n’a pas de véritable successeur. Jean-Paul II et Benoît XVI avaient su susciter des générations de prêtres, ce n’est pas le cas de François. »
Entretien avec Jean-Baptiste Noé.
Ce bref entretien – une première analyse fine et sans complaisance de circonstance – est paru dès hier lundi 21 avril dans Atlantico Il est plutôt axé sur la politique internationale du pape François Mais sans négliger les aspects ecclésiaux ou doctrinaux, de ce pontificat sur lequel, dans l’ordre politique, nous avons porté nous aussi dans JSF sur des points importants des jugements critiques, ou même de franche opposition.
Atlantico : Un mois après la fin de son hospitalisation pour une grave pneumonie, le pape François est mort à l’âge de 88 ans, en ce lundi de Pâques. Que peut-on dire du temps qu’il aura passé en tant que souverain pontife ? Quels sont les plus grands accomplissements et les faits les plus marquants de son règne ?
Jean-Baptiste Noé : De son pontificat, je retiens quelques images qui resteront probablement dans l’histoire.
D’abord, la rencontre avec le patriarche russe Kirill à Cuba (février 2016). C’était la première fois que le patriarche de Moscou rencontrait le pape. Une rencontre dans un lieu hautement symbolique : l’aéroport de La Havane, au cœur de cette île communiste qui a joué un rôle tragique tout au long du XXe siècle. La bonne entente entre Rome et Moscou s’est ensuite brisée sur la guerre d’Ukraine.
Ensuite, le voyage en Irak, sur les pas d’Abraham (mars 2021). C’était la première fois qu’un pape se rendait à Ur, dans cet Irak brisé depuis la guerre de 2003. Les défis sécuritaires étaient énormes et pourtant les autorités irakiennes sont parvenues à organiser ce voyage, qui a réconforté tous les chrétiens d’Orient.
Enfin, le voyage en Mongolie (septembre 2023). À la frontière entre la Chine et la Russie, deux pays que les papes aimeraient visiter, dans une zone périphérique du monde, où la communauté catholique est très peu nombreuse.
Le pape François a souvent fait l’objet de critiques, au sein de la communauté chrétienne. Sa façon de gouverner, sa gestion (jugée “autoritaire”) ont pu engendrer d’importantes tensions. Que faut-il en dire ? Dans quelle mesure faut-il penser du règne de François qu’il a pu être entaché par ces griefs ?
François est un homme qui aime le pouvoir et qui l’a exercé avec vigueur. Contrairement à Benoît XVI, qui n’était pas un homme de gouvernement, François a fait preuve d’autorité, souvent même d’autoritarisme. Il a bousculé le gouvernement de l’Église, en renvoyant des cardinaux installés, en nommant des personnes aux compétences flasques.
Un exemple de cette gouvernance forte, le nombre de motu proprio signé par le pape. Le motu proprio, en français « de son propre mouvement », est un acte juridique, qui émane uniquement du pape, par lequel celui-ci gouverne l’Église, sans passer par le gouvernement. C’est un mode de gouvernement direct, par lequel un pape impose une décision.
François en a signé 73 durant son pontificat, soit une moyenne de 6 par an. Par comparaison, Benoît XVI en a promulgué 13 et Jean-Paul II 32 (soit 1,2 par an).
À cela s’ajoutent de nombreuses nominations personnelles qui bien souvent n’ont pas respecté la tradition historique, comme dans la nomination de certains cardinaux et évêques.
Réforme de la Curie, justice sociale, migrants, “périphéries”… Le pape François se démarque. Il a fait des conservateurs ses principaux opposants et, dit-on, a eu tendance à désacraliser la fonction. Pour le meilleur ou pour le pire, à l’heure où une partie de l’Europe semble se “déchristianiser” ?
C’est un homme complexe, qui ne peut pas se réduire à une dichotomie entre conservateur et progressiste. Il a un logiciel intellectuel qui a été forgé dans les années 1950-1970 et qu’il a eu du mal à actualiser. En témoigne son obsession pour les migrants. C’est un vrai sujet, et un drame humain incontestable. Mais il en parle au regard de son histoire personnelle : celle de sa famille, venue d’Italie en Argentine. Or, les migrations du XXIe siècle n’ont rien à avoir avec celles des Européens qui se sont rendus en Amérique latine.
Sa fixation sur la messe en forme extraordinaire également, dont les restrictions ont créé plus de problèmes qu’elles n’ont apporté de solution. Il n’a pas toujours pris la mesure des réalités de la jeunesse européenne.
Au cours de son pontificat, une grande partie du monde catholique est tombée dans une indifférence prononcée à son égard. Contrairement à Benoît XVI, ses livres ont été des échecs en librairie. Même les catholiques ne se sont pas intéressés à ses publications. La participation aux audiences générales n’a cessé de décroître, obligeant les médias du Vatican à des plans télévisés de plus en plus resserrés afin de camoufler une place Saint-Pierre de plus en plus vide. Nous sommes très loin de la ferveur qui régnait sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI.
En Italie, par exemple, nous avons assisté à une désaffection constante, avec une véritable rupture lors de la crise covid. Nombreux sont les Italiens à ne plus être revenus à la messe après les restrictions. L’insistance perpétuelle sur le social, les migrants, l’écologie, a donné l’impression d’un pape gestionnaire d’une ONG et aligné sur les grands discours mondiaux ; là où beaucoup de catholiques attendaient des paroles spirituelles et des propos théologiques. François a été plus politique que théologique, et cela a fini par lasser même ses fervents soutiens. Il n’a pas de véritable successeur. Jean-Paul II et Benoît XVI avaient su susciter des générations de prêtres, ce n’est pas le cas de François.
Il restera d’ailleurs de son pontificat cette grande énigme : le fait qu’il ne se soit jamais rendu en Argentine. Sa popularité dans son pays d’origine était faible, il n’a pas laissé un très bon souvenir à Buenos Aires. Cela explique en partie son refus de visiter son pays.
La grande partie de son pontificat a également été vécu de façon curieuse, avec deux papes puisque Benoît XVI, retraité au sein du Vatican, a continué à exercer une grande influence. Chacun a pu constater que cette situation n’était pas bonne.
Que dire, également, de la gestion financière du Vatican sous François ?
Le processus de réforme profonde initiée sous Benoît XVI a été poursuivi et en partie achevé. C’est un dossier à mettre au crédit de François. Il a nommé des personnes tout à fait compétentes pour assainir les finances, pour couper avec les investissements véreux et pour faire adopter les standards internationaux. C’est un travail de l’ombre qui échappe au grand public, mais qui était absolument indispensable. Ces résultats ont en partie été permis par l’intense travail du cardinal australien George Pell (1941-2023), qui était en charge des questions économiques. Au successeur de François de poursuivre ce redressement financier. ■ JEAN-BAPTISTE NOÉ
Jean-Baptiste Noé, docteur en histoire, est rédacteur en chef de Conflits.