
Par Paul-André Delorme.
Yves-Marie Adeline mêle avec bonheur les genres littéraires. Dans son livre Le Château du roi dormant ,il prend prétexte de l’histoire d’une résidence noble (le château de Bagnac, en Poitou) pour retracer à grands traits l’aventure du courant royaliste en France, et tout particulièrement celle d’Henri de Bourbon, comte de Chambord, prétendant au trône de France, dont il réhabilite la personnalité et l’intelligence politique.
Il s’agit là d’une initiative particulièrement bienvenue tant ce prince a été victime des jugements les plus acerbes fustigeant sa supposée cécité intellectuelle et sa conception prétendument rétrograde et fausse de la monarchie capétienne. Nous découvrons ainsi un comte de Chambord éclairé et lucide, sensible à l’importance de la question sociale, et beaucoup plus en phase avec son époque qu’on ne le croit. Corollairement, nous découvrons aussi une pensée légitimiste riche d’idées et plus novatrice que l’orléanisme, le bonapartisme ou le radicalisme républicain, malgré son enracinement dans la tradition. Le public découvre ainsi la lucidité d’un Louis de Bonald sous une Restauration qui, en réalité, légitimait l’œuvre illégitime de la Révolution beaucoup plus qu’elle ne rétablissait la monarchie. Soulignant, après beaucoup d’autres l’usurpation de Louis-Philippe, Yves-Marie Adeline démontre que ce dernier fut constamment l’otage de la bourgeoisie installée au premier rang par la Révolution, et que la monarchie parlementaire de Juillet, tout entière aux mains de cette bourgeoisie, n’était qu’une caricature fallacieuse de celle d’outre Manche, dominée, elle, par une aristocratie puissante. Rappelant l’égoïsme de classe de la bourgeoisie louis-philipparde, il lui oppose le programme social de Villeneuve-Bargemont, économiste et député, grande figure du légitimisme, contempteur du capitalisme industriel exploiteur au XIXe siècle, et du comte de Chambord.
Un long et continu travail de républicanisation des esprits
Revenant sur l’échec de la restauration en 1871, il montre que l’obstination tant reprochée au comte de Chambord à l’occasion du drapeau national procédait non de l’inintelligence politique du prince, comme on l’affirme à satiété, mais, au contraire d’une clairvoyance aussi élevée que profonde lui permettant de comprendre que, s’il cédait aux exigences orléanistes, il ne restaurerait pas la monarchie capétienne qui avait assuré la sauvegarde, la prospérité et la grandeur de la France pendant mille ans, mais une royauté factice ornant et travestissant la domination sans partage d’une bourgeoisie héritière de 1789. Rappelant l’importance de Maurras, qu’il sous-estime cependant, notamment en l’assimilant à un simple nationaliste bonaldien, il fait du second comte de Paris et du général de Gaulle, deux hautes figures que tout destinait à s’unir pour restaurer la monarchie, mais qui en furent empêchés par le long et continu travail de républicanisation des esprits, effectué depuis la fin du XIXe siècle, et mené de main de maître et sans relâche par l’École républicaine, ce prodigieux instrument de propagande, lequel avait rendu impensable la conversion de nos compatriotes à l’idée d’un retour du Roi. Y.-M. Adeline relate ensuite l’aventure du mouvement de résurgence du légitimisme, qui connut une certaine vogue à la fin du XXe siècle. Monarchiste lui-même, il évoque son activité à la tête de l’Alliance royale, le parti qu’il fonda en 2001 et dirigea jusqu’en 2008. Sa pensée politique se situe dans le sillage de celle du comte de Chambord. Quoique ouvert, foncièrement tolérant et humaniste, il rappelle son rejet de la démocratie dont la présence indispensable aux échelons de base de nos institutions (les communes) n’est pas moins, fatalement, lourde de dérives oligarchiques, idéologiques et passionnelles. Et, par là, le livre s’achève sur un ton un peu désabusé, comme a pu l’être, en son temps, cet Antony de Blagnac qui avait en vain rêvé de compenser la désolation de son absence de descendance en offrant son château luxueusement restauré au comte de Chambord revenu en France pour régner… mais qui mourut dans son exil autrichien. ■ PAUL-NDRÉ DELORME
Yves-Marie Adeline, Le Château du roi dormant, auto-édition, 2024, 142 pages
Article précédemment paru dans Politique magazine.