
« Imaginons un jeune Français, comme tant d’autres, à la recherche de son identité profonde dans un monde qui pousse toute une génération à l’effondrement psychique. Il redécouvre des rites, une culture dont on l’a privé et avec lequel il cherche à renouer. S’il creuse assez longtemps, il constatera qu’il n’y a pas de civilisation sans religion »
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COMMENTAIRE JSF – Cette chronique parue dans Le Figaro de ce samedi matin (26.04.2025) mérite assurément d’être lue et méditée plutôt que d’être commentée. Le monde entier ne se serait sans doute pas rendu à Rome, ce matin même, en la personne de ses plus hauts dirigeants, pour les obsèques du pontife défunt, si l’Église n’y avait plus d’importance, si elle ne comptait plus guère. Pour l’âme des peuples – personnes et nations historiques, continents et civilisations – l’élément religieux reste; ou peut-être redevient, essentiel, et, pour toutes sortes de raisons particulières, en tout cas pour l’Europe et pour les sociétés qui en sont issues, l’Église catholique continue d’occuper une place prééminente. D’où l’importance de son évolution, de ses crises, de ses errements, ou de son lien plus ou moins serré avec la Tradition. C’est ce dont Mathieu Bock-Côté traite ici, à notre avis, avec hauteur de vue.

CHRONIQUE – Le pontificat de François a représenté le point d’aboutissement de la dissociation entre l’Europe et un catholicisme poursuivant son expansion ailleurs dans le monde, comme si la religion chrétienne s’était affranchie de ses ancrages historiques pour s’universaliser vraiment.
Jean-Paul II fut probablement le dernier pape liant naturellement le destin de l’Europe à celui du catholicisme. Ce n’était pas étranger au fait qu’il était polonais, et patriote polonais, sachant l’importance vitale des cultures nationales, sans lesquelles l’homme voit son identité s’assécher, se calcifier. Grand politique et grand homme de foi, c’est d’ailleurs en s’appuyant sur ces cultures qu’il joua un grand rôle dans la chute du communisme voulant éradiquer la religion du cœur de l’homme, en le détournant du ciel et en l’arrachant à la terre. L’Europe était encore pour lui en quelque sorte la chrétienté – le lien intime entre les deux n’était pas rompu. Il n’a pas hésité pas à tonner lorsqu’il a cru voir la France se montrer infidèle à son baptême. La formule a marqué les esprits.
Benoit XVI, moins pape politique que philosophe, s’est cru contemporain d’un basculement du monde. Le catholicisme, disait-il, était désormais minoritaire eu Europe. En sortirait-il indemne ? Car c’est l’Europe qui a transformé la révélation chrétienne en religion chrétienne, en la conjuguant avec la philosophie grecque et le droit romain. Benoît XVI croyait à l’éclairage mutuel de la raison et de la révélation et s’inquiétait autant de la déchristianisation de l’Europe que de la déseuropéanisation du catholicisme. Peut-être est-ce pour cela qu’il aura œuvré, sans y parvenir pleinement, à la réconciliation avec les catholiques de tradition, qui furent chassés de l’Église dans les suites de Vatican II pour lui avoir reproché d’avoir sacrifié des pans essentiels de la doctrine et d’avoir transformé la liturgie en champ de ruines.
Le pontificat de François a représenté le point d’aboutissement de la dissociation entre l’Europe et un catholicisme poursuivant son expansion ailleurs dans le monde, comme si la religion chrétienne s’était affranchie de ses ancrages historiques pour s’universaliser vraiment – d’autres diront, pour se mondialiser en se décentrant de l’Occident. Figure charismatique, populiste et tiers-mondiste, il représentait bien l’Amérique du Sud, qui se veut au croisement de deux mondes, dans une forme de métissage que certains chantent, puisqu’ils y voient l’humanité faire l’expérience d’une hybridité féconde. Peut-être est-ce ce qui l’amenait à célébrer la remontée du Sud vers le nord, en croyant ainsi embrasser les miséreux et un nouveau brassage planétaire unifiant le genre humain.
L’être humain est un animal religieux
François était néanmoins une figure paradoxale, puisqu’il se voulait attaché à l’identité des peuples premiers, et de ceux qu’il croyait périphériques, comme on l’a vu dans son très émouvant voyage en Corse, où il se fit le chantre d’un catholicisme populaire trop souvent décrié depuis un demi-siècle, comme s’il s’agissait bêtement d’une religion à talismans et amulettes. François savait que la piété populaire est une piété concrète, que le catholicisme n’est pas qu’une religion de la raison froide ou contemplative, mais de l’incarnation, qui a su récupérer l’héritage préchrétien de l’Europe (et des autres civilisations), pour le revivifier, et l’éclairer de nouvelle manière, à la lumière de la révélation. Il s’agissait probablement d’une des intuitions les plus fécondes de François, rejoignant par un détour inattendu Jean-Paul II.
L’être humain est un animal religieux, qui scrute l’infini à la recherche de signes lui confirmant que son passage sur terre n’est pas un fait divers biologique à l’échelle du cosmos. Sur terre, et dans le passé plus ou moins lointain, il cherche les permanences qui sont autant de signes d’éternité. Cela pose de nouvelle manière ce qu’on a pris l’habitude d’appeler la question des racines chrétiennes de l’Europe, peut-être indissociable du catholicisme de tradition. La messe traditionnelle en est devenue le symbole, et un point de ralliement pour ceux qui veulent y revenir. Il est bien vu, aujourd’hui, de s’inquiéter du catholicisme identitaire qui pousserait moins à la redécouverte du Christ que de Charles Martel. On ne voit pas trop pourquoi il faudrait penser grand mal du second. Mais allons à l’essentiel.
Il n’y a pas de civilisation sans religion
Imaginons un jeune Français, comme tant d’autres, à la recherche de son identité profonde dans un monde qui pousse toute une génération à l’effondrement psychique. Il redécouvre des rites, une culture dont on l’a privé et avec lequel il cherche à renouer. S’il creuse assez longtemps, il constatera qu’il n’y a pas de civilisation sans religion, et qu’il n’y a pas de religion sans pratique religieuse, sans liturgie. Au début, il hésitera. Il singera peut-être des gestes qu’il ne comprend pas. Mais il aura compris l’essentiel : dans la tradition, il ne verra pas une flaque d’eau morte mais une source vive, à laquelle s’abreuvent ceux qui reviennent à la foi, ou qui cherchent un chemin qui pourrait les y conduire. ■ MATHIEU BOCK-CÖTÉ