Dans Causeur, où il y a nombre d’excellentes choses, nouvel article de Didier Desrimais paru ce jour 31 janvier. Redisons-le : Didier Desrimais écrit avec cette précision, ce souci de la documentation et des sources, qui confèrent à ses chroniques le ton de la vérité assurée. Sans compter l’humour et le talent de leur auteur. Nous conseillons à nouveau de suivre ses écrits dans Causeur, et ceux que nous reprenons parfois ici.
Par Didier Desrimais*.
Sur C8 la semaine passée, Jean-Luc Mélenchon a accusé son adversaire Eric Zemmour de détester tout le monde, “les musulmans, les gosses handicapés, les familles qu’on doit regrouper…”. Didier Desrimais revient sur la polémique concernant les handicapés à l’école, et pousse plus loin la réflexion – ce qui n’est pas difficile après les éructations du candidat de la France insoumise.
» Y gagne-ton vraiment à nier nos différences ? «
Le candidat à la présidentielle Éric Zemmour a dit : « Je pense que l’obsession de l’inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là qui sont, les pauvres, complètement dépassés par les autres enfants. Donc je pense qu’il faut des enseignants spécialisés qui s’en occupent. » Il a précisé : « Sauf pour les gens légèrement handicapés, évidemment. » Simple bon sens, mais immédiatement toute la bien-pensance politicarde s’est mise à pleurnicher. Fabien Roussel, qui semble n’avoir tiré aucun profit de sa dernière mésaventure, a dit être « révulsé par la proposition » laissant entrevoir une « société d’apartheid », rien que ça. Toutes les dames patronnesses en lice pour la prochaine présidentielle ont compulsé leur dictionnaire des larmes et sorti les couteaux de sous leurs mouchoirs en criant au scandale et en dénonçant « l’outrance, la violence et l’injure » de Zemmour (Christiane Taubira), sa « brutalité » (Valérie Pécresse) ou sa « violence » (Anne Hidalgo). Cela prouve que ces dames, soit ne connaissent absolument rien à la réalité de la vie des enfants handicapés, soit se sont émues démagogiquement et à peu de frais sur le dos de ces derniers pour faire frémir dans les chaumières. Le cumul n’est pas interdit. Elles pourront, si elles désirent approfondir leurs connaissances sur le sujet, lire l’édifiant article de Julia Slan paru dans Marianne il y a deux ans.
Ce qui a surtout chagriné ce petit monde est le fait que Zemmour ait osé remettre en cause la nouvelle « obsession » de ceux qui se reconnaissent dans le camp du bien grâce aux mots de passe « inclusion », « inclure » et « inclusif ». « Inclure, c’est permettre aux éléments extérieurs d’entrer dans le cercle en conservant leurs propres habitudes, cultures, handicaps ou autres. Ce n’est plus l’élément qui s’adapte à l’ensemble dans lequel il entre : c’est l’ensemble qui doit s’adapter à tous les éléments divers qui le rejoignent. Telle est la définition de “l’inclusion” – c’est un rejet de l’idée de norme », écrit Chantal Delsol dans un excellent papier paru dans Le Figaro. Ainsi, dit encore la philosophe, au nom de l’inclusion, on renie les normes du groupe majoritaire pour ne plus mettre en avant que les particularités de l’autre, étranger ou handicapé. Quitte à freiner les apprentissages des plus nombreux, on décide d’inclure dans le groupe la minorité au nom d’une dignité humaine qui effacerait magiquement toutes les difficultés. Comme l’a précisé Zemmour, il n’y a pas de problème particulier si le handicap est léger et n’empêche pas d’avoir une scolarité quasi-normale. Mais qu’en est-il des handicaps plus lourds, physiques et surtout mentaux ? Dans de nombreux cas, cette « inclusion » ne peut être que délétère pour les élèves, surtout pour les handicapés, car « en niant les différences hiérarchiques au nom du respect de chacun, on finit par aboutir à un effet inverse de celui souhaité : on néglige les plus démunis », écrit encore Chantal Delsol.
Les éléments de langage de l’inclusivité
Le clochard a disparu de nos rues. Il est d’abord devenu un SDF, puis une sorte de fantôme de l’ancien monde, un objet irréel décrit idéalement par la novlangue du techno-monde que pratique la maire de Paris : une « personne en situation de rue ». Le handicapé, lui aussi, disparaît derrière la « personne en situation de handicap », ce verbiage permettant de lisser ce monde imparfait, plein d’embûches, irrégulier. Ainsi sont exclus de la langue comme de la vie ceux qu’on dit pourtant vouloir « inclure » au nom d’une idéologie égalitariste qui, écrit encore Chantal Delsol, est un « dévoiement de l’idéal de perfection évangélique ». Les archanges de l’Apocalypse progressiste – ces « ennemis de l’imprévu », aurait dit Muray – ne se soucient pas du monde réel, et leurs réactions face aux propos de Zemmour révèlent leur fantasme d’un monde nettoyé, égalitariste, aplati, indifférencié et habité de chérubins identiques, clonés, vertueux et bons de la plus molle des bontés. Pour voir advenir ce monde uniforme et terrifiant, les tenants de l’inclusion radicale usent de toutes les ficelles des utopistes totalitaires : incantations, vociférations inquisitoriales, rééducation des masses avec l’appui d’une jeunesse décérébrée, affectation sentimentaliste, transformation de la langue, excommunications, manipulations, censures, etc. La « personne en situation de handicap » offerte en offrande lors des cérémonies inclusives médiatiques n’a pas d’autre fonction que de faire briller les auréoles en plastique de nos nouveaux et terrifiants prêtres et de dire qui fait partie du camp du bien et qui fait partie du camp du diable.
Mmes Hidalgo, Taubira et Pécresse, et MM. Macron et Valls parlent des handicapés comme ils parlent des immigrés ou des “minorités” : ils sont une richesse ou une chance pour la France, la France est une nation humaniste qui sait faire des différences une force, nous devons les accueillir, ne pas les stigmatiser, les « inclure ». Certaines communautés ou minorités ont compris tout l’intérêt de ce concept inclusif remplaçant celui d’intégration et permettant à « chacun d’être à soi-même sa propre norme » : une fédération sportive réservée aux homosexuels vient de voir le jour, un centre d’archives exclusivement LGBT ouvre ses portes à Paris, des réunions en “non-mixité” sexuelle et/ou raciale se multiplient, le communautarisme ethnique et/ou religieux s’installe dans notre pays. Paradoxalement, plus la société se dit « inclusive », plus les exclusions se multiplient, en particulier dans les groupes qui n’ont eu de cesse de se dire stigmatisés, discriminés du fait de leur orientation sexuelle ou de leur couleur de peau.
L’apprentissage devient secondaire
Je note que personne n’a encore osé remettre en cause ce qu’on appelle les “handisports” et demander aux athlètes handicapés de participer aux mêmes jeux que les athlètes valides. C’est que, dans ce contexte, les résultats comptent et sont concrets – on ne triche pas avec le chronomètre ou la hauteur de la barre à sauter – tandis qu’à l’école les résultats n’ont plus aucune importance, les commissions d’harmonisation des notes permettant d’obtenir un pourcentage soviétique de bacheliers, handicapés ou non. L’école « inclusive » ressemble de plus en plus à une gigantesque garderie sociale dans laquelle l’ouverture à l’autre devient prioritaire et l’apprentissage des bases du savoir facultatif. Dans une école inclusive dont l’objectif premier n’est plus l’instruction, les enseignants doivent d’abord « créer du lien », élaborer des « contenus éducatifs sociopédagogiques » favorisant le vivre-ensemble, l’ouverture à l’autre, la tolérance. Les élèves y apprennent comment devenir un parfait écologiste, comment lutter contre les stéréotypes de genre, comment accueillir l’autre, dans des cours dirigés par des enseignants-militants ou lors d’ateliers animés par des associations propagandistes agréées par l’Éducation nationale. L’école « inclusive » est grande ouverte et il s’y applique de plus en plus les mêmes méthodes de management que celles des entreprises. On y travaille en équipe ou en réseau. Avant même de leur avoir donné à lire un livre en entier, on y fait réfléchir les élèves, attablés en îlot, à un projet citoyen qui se présentera après quelques semaines de labeur sous la forme d’un monstrueux collage d’articles de journaux ou d’un très laid édifice en carton représentant, au choix, le mur de l’indifférence face aux migrants ou le rempart de l’intolérance face aux minorités opprimées, les deux devant naturellement être abattus. L’élève de cette gigantesque garderie sociale n’aura pas d’autre issue que cette éducation idéologique. Et nos éminences politiques ont intégré le fait que l’efficace simplicité de cette dernière permet « l’inclusion » de tous les futurs citoyens, valides, handicapés, étrangers, non binaires, transgenres ou venant de la planète Mars. ■
Didier Desrimais
* Amateur de livres et de musique, scrutateur des mouvements du monde.