Par Rémi Hugues.
Dans un article publié par Le Monde, le 21 janvier dans le contexte de l’affaire Duhamel, Tobie Nathan écrit ceci : « Et que dire de la création même de l’humanité, née à partir du même couple originel ? »
Sur ce sujet, JSF a publié [27.05/15.06.2020] un dossier écrit par Rémi Hugues : Adamisme et évolutionnisme où il développe une vision alternative à la conception traditionnelle de la création de l’homme, qui résout ce problème de l’inceste concernant les descendants du couple primordial.
L’affaire Duhamel confère un intérêt actualisé à cette suite d’articles que nous reprenons au fil des jours. On ne saurait mieux définir la réflexion de fond que propose Rémi Hugues qu’en se référant au dialogue imaginé par Vladimir Volkoff, dialogue repris ci-après comme en exergue de cette série.
Igor – Parce que je sais que vous autres avez raison. À propos, dites-moi, cette histoire de pomme, de serpent… Comment faut-il comprendre… ? Pardonnez-moi lʼexpression – je ne sais sʼil est décent de lʼemployer en votre présence : est-ce une histoire… sexuelle, ou quoi ?
Prêtre – Cʼest un mythe très mystérieux et très vénérable qui nous apprend le premier usage que lʼhomme a fait de sa liberté : il sʼest blessé avec. »
Vladimir Volkoff, Le retournement, [Paris, Julliard / Lʼâge dʼHomme, 1979, p. 294.]
Dans la Genèse, le symbole choisi pour lʼhomme est un arbre. Cette symbolique, on la retrouve chez Platon, ainsi que dans le Nouveau Testament.
Lʼon doit au « scribe de Socrate » cette très belle réflexion métaphorique : lʼhomme est comme une plante céleste, c’est-à-dire un arbre inversé dont les racines sont au ciel et les branches sur terre.
Notre grand poète provençal Frédéric Mistral fut bien inspiré de la pasticher : les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut.
De surcroît, dans lʼévangile de Marc (8 : 22-26), est relatée la guérison dʼun aveugle à Bethsaïde par le Christ. Guéri, le non-voyant dit : « Je vois les gens ; cʼest comme des arbres que je vois marcher. » (verset 24) Ce nʼest pas seulement à lʼintérieur du Livre de Jean, pourrait-on repartir à Paul Le Cour et aux franc-maçons, que se trouve un message évangélique ésotérique ![1]
Revenons à la Genèse : lʼArbre de la connaissance, cʼest le pré-adamite, ou plutôt la masse des pré-adamites. LʼArbre de la vie, cʼest Adam et sa postérité.
Dʼoù la difficulté posée par le chapitre six du Livre de la Création, où sont distingués les fils de Dieu et les filles des hommes, comme sʼil y avait eu deux espèces ontologiquement différentes qui eussent cohabité ensemble à lʼorée de lʼhistoire de lʼhumanité.
À cet égard, comment pourrait-il y avoir différence ontologique entre les deux fils dʼAdam et Ève, Abel et Caïn ? Lʼexplication donnée par Saint Augustin est-elle recevable ? Il distingue deux lignées, celle des hommes vivant selon Dieu (la postérité dʼAbel ? Mais qui justement nʼen a point ; ou celle de Seth ?) et celle des hommes vivant selon lʼhomme (la postérité de Caïn ?).
De la distinction entre la postérité dʼAbel et celle de Caïn naquit la dichotomie fondamentale de lʼaugustinisme, à savoir « Cité de Dieu » contre « Cité des hommes ». On lit la chose suivante, quelque part dans La Cité de Dieu : deux amours ont fait deux cités : lʼamour de soi jusquʼau mépris de Dieu, la cité terrestre, lʼamour de Dieu jusquʼau mépris de soi, la cité céleste.
Voici, plus en détail, ce quʼavance Augustin dʼHippone :
« À partir de là, les généalogies se séparent : dʼune part celle de Caïn, dʼautre part celle du fils engendré par Adam pour remplacer son frère mort, auquel il donna le nom de Seth en disant, comme il est écrit : ʽʽCar Dieu mʼa suscité une autre descendance à la place dʼAbel que Caïn a tué.ʼʼ Cʼest pourquoi ces deux séries de générations, celle de Seth et celle de Caïn, suggèrent, par leurs ordonnancements respectifs, ces deux cités dont nous traitons, lʼune céleste étrangère sur la terre, lʼautre terrestre aspirant et attachée aux joies terrestres comme si elles étaient les seules. »[2]
Augustin dʼHippone poursuit en évoquant le Déluge : « toute la race de la cité terrestre fut détruite, mais reconstituée à partir des fils de Noé. Car cette cité terrestre, cette société dʼhommes vivant selon lʼhomme, ne pourrait disparaître avant la fin de ce siècle »[3]. Mais nʼest-ce pas confondre essence et existence de lʼhomme ?
Prenons deux êtres humains, ne sont-ils pas égaux – dans le sens où il sont génétiquement semblables –, tout en ayant des potentiels dʼexistence dissemblables, en fonction de leurs choix – et dans ce sens-là ne peut-on pas dire quʼil ne sont pas identiques ? Nʼy a-t-il pas chez Augustin confusion entre le contenu (lʼessence) et le contenant (lʼexistence) ?
Et comment ne pas sʼinterroger sur le caractère aporétique de ce propos, considéré en rapport – ou, autrement dit, mis en perspective – avec le problème du sexe des anges, qui, en principe purs esprits, ne sauraient pas être en mesure dʼavoir des rapports charnels avec des femmes. [À suivre, demain jeudi) ■
[1] Paul Le Cour, LʼÉvangile ésotérique de saint Jean, Paris, Dervy, 2002.
[2] Saint Augustin, op. cit., p. 621.
[3] Ibid., p. 629.
* Parties précédentes
[1] [2] [3] [4]
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Intéressant texte
Les mythes sont des histoires vraies (Mircea Eliade)
C’est par le mythe qu’on explique le mythe.
Pourriez-vous préciser votres passage :
« Revenons à la Genèse : lʼArbre de la connaissance, cʼest le pré-adamite, ou plutôt la masse des pré-adamites. LʼArbre de la vie, cʼest Adam et sa postérité ».
Merci