Par Pierre Builly.
Le péril jeune de Cédric Klapisch (1995).
C’était un temps déraisonnable.
Ma foi ! C’est en redécouvrant Le péril jeune que je me suis rendu compte non pas que je vieillissais (ceci mes rhumatismes et autres maux me le rappellent avec une assez constante cruauté), mais que ce qui me semblait le plus immuable avait changé bien avant que j’en prenne conscience.
Né en 1947, j’ai passé mon adolescence dans des établissements où très peu de choses avaient été modifiées depuis des lustres, un monde qui n’était pas bien différent de celui qu’avait vécu mon père un peu après la Grande guerre et sûrement mon grand-père, au siècle précédent. Absence de toute mixité, ordre, discipline, rigueur, respect de l’autorité, qui n’excluait évidemment pas de secouer le licol dans le chahut ou la fugue. Cette école-là, c’est celle si justement mise en scène par Pascal Thomas dans Les zozos : il faut laisser la politique aux grandes personnes tranche le Surveillant général lorsque deux garçons commencent à se mettre des peignées à propos de l’Algérie alors encore française…
Les années de lycée décrites en 1994 par Cédric Klapisch et nourries de tas d’anecdotes personnelles sont évidemment celles qu’il a vécues ; né en 1961, il raconte l’adolescence qu’il a connue aux alentours de 1976, après le grand séisme de 1968. Les filles sont omniprésentes et plus seulement, comme elles l’ont toujours été, dans les préoccupations des garçons, mais dans les couloirs et les classes du lycée, les gamins et gamines contestent l’autorité pédagogique des professeurs et même le modèle économique dominant et – chose que nous n’aurions pas même osé imaginer – les élèves prétendent faire la grève (comme si leur absence aux cours pouvait en quoi que ce soit gêner qui que ce soit, sinon leurs parents et leurs futures études…)
J’ai l’air de découvrir le monde et de faire mine d’ignorer qu’au milieu des années 70 le ver avait largement commencé à boulotter le fruit, jusqu’à parvenir jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui où il y a longtemps que les pépins et le trognon ont été dévorés et où les gens un peu sérieux placent leurs enfants dans des établissements sélectifs à 100 % de mentions (94,5 % de Très Bien à Stanislas). Alors que de mon temps la mixité sociale était largement plus réelle.
Après avoir déversé toute cette bile noire, qu’est-ce qui me reste à dire sur ce qui fut primitivement un téléfilm, dont le succès aboutit à le faire passer sur les écrans et à recueillir un certain succès ? Succès plutôt justifié, au demeurant, parce que tout cela ne manque pas de rythme ni de drôlerie et que si on veut bien mettre de côté l’aspect sociétal désastreux, Le péril jeune fonctionne plutôt bien, porté notamment par de jeunes acteurs talentueux qu’il allait à peu près révéler : Romain Duris, Vincent Elbaz et les désormais bien en retrait Élodie Bouchez et Hélène de Fougerolles. Les péripéties avec les parents, les frères et sœurs, l’administration du lycée sont traditionnelles mais bien racontées.
Et l’époque décrite obligeait presque qu’on fît un détour dans un squat pourri où l’élaboration de toutes les mixtures hallucinogènes possibles et imaginables est tenue pour un des beaux-arts.
Depuis More de Barbet Schroeder en 1969, la drogue était sortie des cénacles plutôt confinés, composés d’anciens coloniaux, d’artistes ambigus et de loques humaines explorés dans Razzia sur la chnouf. En 1976, elle se posait comme un moyen original de dire Zut au monde entier ; c’était un piège si bien fait que Tomasi/Duris s’y laisse glisser. Une autre solution était le suicide à la suite de la prise de conscience que ce même monde ne se change pas (Mourir à trente ans (1982) de Romain Goupil qui conte la mort de son ami Michel Recanati en 1978).
Un peu de patience : en 1981, c’était le camarade SIDA qui allait venir faire son marché dans la jeunesse. Y’a pas à dire, Mai 68 c’était formidable ! ■
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