Par Nicolas Gauthier
Nous non plus n’avons jamais été Charlie. Nous avons dit pourquoi, dès le lendemain matin du sinistre attentat qui a frappé ce journal que nous n’aimons pas et ne doit pas l’être pour de sérieuses raisons. Le sujet est ici plus léger, bon pour un week-end [Boulevard Voltaire, 31.05]. Mais, qui sait ? Matt Pokora a ses raisons et Nicolas Gauthier en cite quelques unes qui ne sont pas nulles. N’hésitant pas à dire sa sympathie, fût-ce en termes crus. LFAR
Le journalisme mène décidément à tout. Même à dire du bien de Matt Pokora, idole tatouée et peroxydée des jeunes générations. Pour aller franc, pas un album de ce bonhomme dans ma discothèque, et encore moins dans celle de mes enfants. Et pourtant…
Eh oui, et pourtant, voilà que ce gandin est en train de faire le buzz lors d’un long et passionnant entretien accordé au Figaro. Avec cette phrase qui fait mouche : « Je sais parfaitement que 90 % de mon public vit en province. » Déjà, voilà qui est politiquement suspect. Histoire d’aggraver son cas, lors du carnage ayant décimé la rédaction de Charlie Hebdo, Matt Pokora est l’une des rares vedettes française à se sentir modérément Charlie.
Explications du principal intéressé : « Je suis Charlie, mais à ma façon. Pour moi, cela va au-delà de Charlie Hebdo, car des policiers sont morts, des Juifs sont morts. […] Mais pour tout cet événement, je suis Français et citoyen français avec des compatriotes qui se sont fait tuer, avec des policiers, des gens qui travaillent dans un journal que je n’ai jamais acheté. » Voilà qui n’est guère en accord avec la vulgate politico-médiatique d’alors et d’aujourd’hui…
Et notre auteur d’hymnes de campings, emblématique de cette France donnée pour être « invisible », d’aggraver son cas en affirmant : « Je reste un patriote avant tout. J’ai toujours défendu haut et fort les couleurs de la France. »
Il est, certes, licite de penser ce que bon semble de l’actuel plus gros vendeur de disques de France ; My Way, son album de reprises de Claude François, s’est écoulé à plus de cinq cent mille exemplaires – au fait, Toto, le vrai titre, c’est « Comme d’habitude », « My Way » n’en étant que la version anglaise, adaptée par Paul Anka et rendue mondialement célèbre par Frank Sinatra. Sans oublier des salles affichant complet sur l’ensemble de nos « territoires », tel qu’on dit maintenant, qu’ils soient urbains ou périphériques.
Bien sûr, il sera toujours possible de railler ce nouveau phénomène, convoquant au passage esprits donnés pour affûtés et musicologues d’occasion. Moquer celui qui reprend, à son compte et de façon maladroite, les tubes du défunt Cloclo.
Mais ce serait oublier que le même Cloclo fut tout aussi peu légitime, en son temps, lorsque massacrant les chansons des Beatles et des Supremes. Ce, d’autant plus que Matt Pokora n’est pas plus ridicule aujourd’hui qu’un C. Jérôme ne le fut hier, avec son « Kiss Me », qui était à peu près ce que les Rubettes étaient aux Rolling Stones, ou un Patrick Topaloff à Jim Morrison. Et alors ?
Matt Pokora assure que « Charlie, ce n’est pas sa came ». Mais pourquoi ce mépris de classe, ce dénigrement digne du Goût des autres, pour paraphraser le fort pertinent film d’Agnès Jaoui ?
Il y a plus de trente ans, le fameux « Viens boire un p’tit coup à la maison », du fort bien nommé groupe Licence IV, caracolait alors en tête du Top 50, au grand désarroi de Claude Sérillon. Et c’est, lors d’une soirée télé sur Antenne 2 (comme on disait alors), que le pourtant très gauchiste Maxime Le Forestier calma une assemblée des plus énervées, en rappelant à cette dernière que la chanson à boire faisait elle aussi partie du patrimoine national. Des gosiers assoiffés aux culottes inondées, Matt Pokora ne fait finalement jamais rien d’autre que d’incarner une nouvelle génération de chanteurs à gisquettes. Après Luis Mariano et Benjamin Biolay, Jean Sablon et Julien Doré, Tino Rossi et Maître Gims, Annie Cordy et Izïa Higelin.
Pour finir, laissons plutôt la parole au principal intéressé. Lequel explique, à propos de son nom de scène, au Figaro que « Matt », c’est pour « Mathieu ». Et que « Pokora » signifie « humilité », en polonais. Le tout en souvenir de ses aïeux paternels, venus de Cracovie dans les années trente pour s’en aller travailler dans les mines de l’est de la France, tandis que la branche maternelle était issue d’une longue lignée de militaires. Ce qui explique peut-être pourquoi l’une de ses bagues fétiches n’est autre qu’une tête de Christ, couronnée de ronces.
En matière de presse, Charlie n’est pas la came de Pokora, et Pokora n’est pas la mienne ; musicalement s’entend. Mais rien n’empêche pour autant de saluer ce jeune trublion ; surtout lorsqu’à l’évidence il est sévèrement burné. •