PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro de ce samedi 5 mars. Nous avons peu à y ajouter. Mathieu Bock-Côté, dans le fond, y dresse une critique globale, voire radicale, de ce que nous appelons souvent, le Système. Comme sur bien des sujets, avec Mathieu Bock-Côté, nous sommes sur la même ligne. À cette différence près que nous ne croyons pas au replâtrage dudit Système. « Et si nous réinventions autre chose ? », demandait jadis Louis Pauwels dans le même Figaro. C’est ce que nous pensons, nous aussi, depuis bien longtemps. Et sur ce sujet, nous revenons souvent.
CHRONIQUE – La guerre en Ukraine occupe tout l’espace mental de ceux qui la subissent, qu’ils soient au front ou la regardent en spectateurs, redoutant qu’elle ne les emporte à leur tour. Il n’en demeure pas moins que les Français, d’ici quelques semaines, seront confrontés à la grande échéance de l’élection présidentielle.
« Une société creusant toujours davantage l’écart entre sa vie politique et ce qui la remue dans ses profondeurs se dévitalise ou se condamne tôt ou tard à un mélange de politique tribunicienne et de violence »
L’Europe vit actuellement au rythme des combats en Ukraine. La guerre occupe tout l’espace mental de ceux qui la subissent, qu’ils soient au front ou la regardent en spectateurs, redoutant qu’elle ne les emporte à leur tour. Ce phénomène se radicalise à travers les médias sociaux qui plongent les sociétés dans un présent perpétuel obsédant, décontextualisé, où le vrai se confond avec le faux, où l’émotion, toujours violente, vient abolir la possibilité de la réflexion, la méditation sur le temps long et même la possibilité de la décision raisonnable.
Il n’en demeure pas moins que les Français, d’ici quelques semaines, seront confrontés à la grande échéance qui ponctue leur vie démocratique tous les cinq ans. On ajoutera, et ce n’est pas un détail, que l’élection présidentielle a une charge existentielle et symbolique unique, qui distingue la France parmi les démocraties. Il ne s’agit pas seulement de choisir un chef d’État ou un gouvernement, mais un destin pour un pays qui croit encore, avec raison, peser sur celui d’une civilisation. Et pourtant, cette élection sera transformée en non-événement.
Non seulement parce qu’Emmanuel Macron échappera à un débat sur son bilan, comme le répètent de manière obsessionnelle les oppositions. Mais surtout parce que les grands enjeux au cœur de la France contemporaine ne seront pas au centre de la conversation civique et que les candidats, avec leurs visions respectives, ne pourront pas s’y confronter sérieusement. La vie politique, autrement dit, deviendra étrangère à elle-même, elle sera déconnectée des questions de fond à travers lesquelles se joue pourtant le destin du pays. Entre un président monarque et des candidats traités comme des figures secondaires et sautillantes, on pourrait parler d’une démocratie asymétrique et déséquilibrée. Et quand la guerre se terminera, le pays se retrouvera face à lui-même, avec la désagréable impression d’être victime d’une forme de dépossession démocratique.
Certains diront, sans se tromper, que nul n’est maître des circonstances. On ne saurait non plus reprocher à Emmanuel Macron de tirer avantage de sa position stratégique. N’importe quel autre candidat le ferait. C’est vrai. À condition de reconnaître, toutefois, que 2022 reproduit une censure déjà opérée en 2017, quand la présidentielle fut éclipsée par des «affaires» périphériques, mineures, détournant la démocratie de son objet, pour la transformer en mauvais spectacle vengeur autour de costumes de luxe. Dans son livre Macron, les leçons d’un échec, le philosophe Marcel Gauchet, qui n’a rien d’un exalté militant, a résumé la chose de manière lapidaire: « En s’emparant de l’affaire, les juges ont tranché (à la place du peuple). En ce sens il est justifié de parler d’un coup d’État judiciaire. » Et cela, ajouterons-nous, dans un pays secoué par le terrorisme, l’islamisme et ressentant de manière de plus en vive les effets de l’immigration massive.
On ne refoule pas sans en payer le prix les tensions qui traversent un pays. Une vie politique étouffée se paie de tensions sociales graves, potentiellement explosives, comme on l’a vu au moment de la crise des «gilets jaunes», qui portait probablement en elles d’autres soulèvements. Ce surgissement de nappes profondes d’insatisfactions est indissociable de la recomposition toujours entravée de la vie politique, à la recherche de nouveaux clivages pour se mettre en scène, celui entre la gauche et la droite étant de plus en plus contesté, soit au nom du clivage entre souverainistes et mondialistes, ou encore, entre populistes et progressistes, et on pourrait en nommer d’autres. On pourrait même dire que depuis trente ans, certaines oppositions fondamentales ont été pathologisées, condamnées aux marges démocratiques et à la disqualification médiatique, ce qui a entraîné une aliénation civique à la recherche de radicalité.
Une société creusant toujours davantage l’écart entre sa vie politique et ce qui la remue dans ses profondeurs se dévitalise ou se condamne tôt ou tard à un mélange de politique tribunicienne et de violence. Elle tendra aussi à reporter sa vitalité civique dans l’espace médiatique, où se constitueront les véritables oppositions qui la traversent, sans que celles-ci ne parviennent à mordre sur le pouvoir, ce qui poussera le pays à se perdre encore plus dans ce que Tocqueville appelait déjà en son temps la politique littéraire. Et cela dans un contexte où le régime tend à se fossiliser à l’avantage exclusif des partis qui accaparent déjà les institutions, comme on l’a vu ces dernières semaines avec la querelle des parrainages, illustrant de quelle manière un système bloqué cherche à entraver les forces qui entendent renouveler l’expression de la souveraineté populaire.
L’historien qui reviendra un jour sur la dernière décennie n’hésitera pas à la présenter comme celle des années confisquées. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques(éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
« Entre un président monarque et des candidats traités comme des figures secondaires et sautillantes,… » Qualifier de monarque ce petit président qui n’est qu’un frustré manquant de testostérone faisant preuve d’autoritarisme envers un peuple qu’il n’aime pas ne me semble pas être le meilleur choix. Rien de monarchique dans l’attitude de ce semblant d’homme qui a épousé maman.
E.Macron en berger pour moutons réfractaires ? [ Rien ne saurait manquer ou il nous conduit ] !