MANU MILITARI [II]


PAR RÉMI HUGUES.     

Par le ton polémique de son verbe, il en est arrivé au stade du coup d’état sémantique, autrement dit de la déclaration de guerre d’un groupe contre un autre.

Celui qui, à cause de sa gestion autoritaire de la révolte des Gilets jaunes a été comparé à Adolphe Thiers, a endossé l’habit d’un « ancêtre » encore plus lointain : le comte de Boulainvilliers qui, au début du XVIIIe siècle, réveilla les fractures ethniques de la France pour justifier le renforcement des privilèges de la noblesse, acquis de haute lutte à l’époque des invasions barbares, dans une étude intitulée Mémoire pour la noblesse de France contre les Pairs, puis dans sa Lettre sur les anciens Parlemens qu’on appelle États généraux.

Ce qui selon lui légitimait la suprématie de la minorité post-franque sur la majorité post-gauloise était le droit de la force, et rien d’autre. Son modèle politique était peu ou prou celui de l’Angleterre : un régime où le monarque voit son pouvoir limité par de grands seigneurs, ou polysynodie, ce qui est au fondement du parlementarisme britannique.

Or, depuis, les temps démocratiques sont advenus, et la « force du droit » a supplanté le « droit de la force ». Cette force du Droit, fondé  sur l’onction démocratique, Max Weber l’appelait force du légal-rationnel. Macron se prétend modèle d’incarnation de la rationalité, chef du « cercle de la raison », contre les obscurantistes.

Contrairement à l’époque de Boulainvilliers, où la quantité ne s’était pas encore substituée à la qualité, cette fois c’est la « majorité » qui lance l’offensive. N’oublions pas qu’en définitive la « démocratie » est la dictature de la majorité. Mais depuis les Gilets jaunes la « démocratie » vacille, pour faire en sorte que le système se maintienne Macron a choisi comme politique économique l’inflation, comme jadis ses devanciers les révolutionnaires, ce qui le sert sur le court terme seulement[1].

Il est par voie de conséquence contraint de focaliser l’attention du public sur d’autre sujets. Parmi ceux-là la question sanitaire : si, à l’orée de l’an 2022, Macron a déclaré la guerre de classes, se posant comme fer de lance de la majorité silencieuse qui ne supporte pas qu’une poignée d’irréductibles rejettent la vaccination – telle Clotilde qui a très peur des amères concoctions de la  « cuisine du diable » de son oncle le docteur Pascal dans le roman éponyme d’Émile Zola – n’est-ce pas pour éviter que le débat soit centré autour de son bilan économique, qui est lamentable pour ne pas dire catastrophique ?

Il y a un point commun, d’ailleurs, entre ce roman qui clôt la saga des Rougon-Macquart et le mandat de Macron. À la fin du Docteur Pascal, qui traite de la foi scientiste dans le Progrès indéfini porteur d’un nouvel âge d’or, l’on est étonné de lire ce passage imprégné de religiosité :

« Un élan de ferveur maternelle monta du cœur de Clotilde, heureuse de sentir la petite bouche vorace la boire sans fin. C’était une prière, une invocation. À l’enfant inconnu, comme au dieu inconnu ! À l’enfant qui allait être demain, au génie qui naissait peut-être, au messie que le prochain siècle attendait, qui tirerait les peuples de leur doute et de leur souffrance ! Puisque la nation était à refaire, celui-ci ne venait-il pas pour cette besogne ? Il reprendrait l’expérience, relèverait les murs, rendrait une certitude aux hommes tâtonnants, bâtirait la cité de justice, où l’unique loi du travail assurerait le bonheur. Dans les temps troublés, on doit attendre les prophètes. À moins qu’il ne fût l’Antéchrist, le démon dévastateur, la bête annoncée qui purgerait la terre de l’impureté devenue trop vaste. Et la vie continuerait malgré tout, il faudrait seulement patienter des milliers d’années encore, avant que paraisse l’autre enfant inconnu, le bienfaiteur. »

Le 16 avril 2020, le président Macron a glissé un message mystérieux au Financial Times contenant des références relevant du même ordre : « Je crois que notre génération doit savoir que la Bête de l’événement est là, elle arrive, qu’il s’agisse du terrorisme, de cette grande pandémie ou d’autres chocs. Il faut la combattre quand elle arrive avec ce qu’elle a de profondément inattendu, implacable. » Pour le moins étrange, cette allusion aux textes eschatologiques des religions révélées (livre de Daniel, Apocalypse de Jean, sourate des Fourmis)… autant chez Zola que chez Macron… Chassez le surnaturel il revient au galop !   ■  (À suivre)


[1]Il semble qu’à l’Élysée et à Bercy on adhère à cette croyance contestable que l’inflation permet d’atténuer la contestation sociale. Ce serait donc l’antidote génial aux Gilets jaunes. Cette thèse est soutenue notamment par l’économiste Jacques Généreux : « Si les relations entre ces partenaires sont fondamentalement conflictuelles et marquées par la défiance réciproque, l’inflation est, en revanche, le moyen d’ajustement le plus facile. Il évite l’affrontement direct en éludant le débat sur le partage du revenu : chacun, à leur tour, quand les circonstances jouent en leur faveur, les deux partenaires rétablissent la part qu’ils estiment équitable grâce à des hausses de salaires (pour les travailleurs) ou à des augmentations de prix (pour les entreprises). Les conflits s’en trouvent atténués », Introduction à l’économie, Paris, Seuil, 2001, p. 161. 


À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)

 

 

 

© JSF – Peut être repris à condition de citer la source

 

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