Par Mathieu Bock-Côté
Depuis Montréal, Mathieu Bock-Côté, dans cette tribune [Figarovox, 21.07], rend hommage à l’historien Max Gallo, « un homme qui vouait une passion charnelle à la France ». Il s’y livre à quelques considérations critiques sur les vices de l’époque moderne, qui retiendront l’attention. Nous notons que, selon lui, « au fil du temps, Max Gallo était passé d’une conception un peu aride de la République à une passion charnelle pour la France. » Tout est dit. LFAR
Il y a des hommes si robustes et imposants qu’on en vient à croire que rien ne peut les arracher à l’existence. Les années passent et leur vigueur demeure, même si on sait bien qu’ils sont comme nous de simples mortels. Quand la faucheuse passe, on peine à y croire. C’est probablement le sentiment qu’inspire au plus grand nombre le décès de Max Gallo. Historien, écrivain, homme politique, il en était venu à jouer un rôle bien particulier dans la vie publique française : il était de ceux qui rendent l’histoire au commun des mortels. Ce dernier ne demande qu’à se passionner pour elle, pour peu qu’elle ne soit pas confisquée par des spécialistes qui transforment les débats propres à leur discipline en discussions ésotériques, qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’amour du passé. À travers le roman historique, Max Gallo cultivait le vieil art de l’histoire populaire.
D’un livre à l’autre, il s’agissait pour Max Gallo d’expliciter les époques dans lesquelles il se plongeait et de dévoiler les grandes passions mettant les hommes en mouvement. L’œuvre de Max Gallo n’est pas celle d’un historien enfermé dans une spécialité au point de se laisser hypnotiser par elle. C’est malheureusement la tentation des historiens de notre temps, qui ont voulu faire de l’histoire une science sociale comme une autre, au point de la désenchanter, trop souvent, en la condamnant à l’aridité. Au contraire: pour lui, l’histoire se peignait comme une grande fresque. Il voulait faire revivre de grandes époques, et pour cela, il faisait revivre les grands hommes à travers lesquels elles s’incarnent. Il cherchait à entrer dans leur tête, à percer leur psychologie et leur mentalité. Pour comprendre l’action des grands hommes, il faut voir le monde comme ils le voient.
Cette réflexion sur les grands hommes tranchait avec l’esprit de l’époque. La tentation intellectuelle des dernières décennies a été de relativiser leur rôle, certains allant même jusqu’à le nier. L’illusion déterministe a voulu congédier l’action humaine et sa capacité à influencer le cours des choses, et même, quelquefois, à le faire basculer. Le biographe, lui, voit le monde autrement. Sans tel homme, sans telle femme, le cours de l’histoire aurait été tout autre. Que serait le vingtième siècle sans de Gaulle, sans Churchill ? Que serait l’histoire de la France sans Napoléon, pour le meilleur et pour le pire ? Sans prétendre qu’elle s’y réduise, c’est peut-être à travers l’action des grands hommes que la liberté humaine se révèle le mieux. Ce n’est pas sans raison que pendant longtemps, on a cru à la nécessaire éducation du Prince.
Max Gallo était l’héritier d’une tradition historique essentielle, mais souvent moquée par les modes idéologiques qui se sont succédées depuis quelques décennies : l’histoire nationale. Il s’agit de raconter à un peuple son histoire, ou si on préfère, sa grande aventure, en chantant ses belles pages, sans négliger ses pages moins glorieuses aussi. L’éducation historique est essentielle au développement du sentiment national et d’appartenance collective : elle donne à l’homme le sentiment de participer à quelque chose qui le dépasse. On a souvent caricaturé l’histoire nationale à la manière d’une simple histoire patriotique pour les esprits simplets et militants. Pour cela, on a cru devoir opposer au récit glorieux d’hier un récit humiliant, enseignant la haine de soi. Il fallait voir dans la nation une mystification collective et transgresser ses grands symboles.
En fait, on a assisté, en quelques décennies, à un étrange retournement. La mutation diversitaire de l’histoire l’a transformée en instrument de déconstruction nationale, chaque communautarisme faisant sécession mentalement de la nation pour se présenter comme la victime d’une majorité dont il faudrait désormais contester et abolir les privilèges. La gauche radicale a vu dans la dénationalisation des pays occidentaux le stade suprême de la décolonisation : le multiculturalisme permettrait à la démocratie de s’affranchir du culte de la patrie. Cela aurait pu être la triste devise des dernières décennies : qui apprend l’histoire apprend à détester son pays. On a ainsi voulu couper le lien entre les peuples occidentaux et leur héritage historique. On croyait engendrer des hommes libres alors qu’on fabriquait des individus déculturés.
Max Gallo n’a pas cédé à cette manie : mieux, il l’a combattue. Fier d’être Français, écrivait-il, en pleine vague pénitentielle. Il rappelait ainsi que le patriotisme n’est pas une pathologie, et qu’un peuple se dissoudra inévitablement si on l’enferme dans un présentisme débilitant, où il n’est plus possible de mettre quoi que ce soit en perspective. La fierté nationale n’a rien d’un patriotisme cocorico, comme on le voit dans les stades lors des grandes compétitions sportives. Il s’agit surtout d’assumer l’histoire de sa nation et de vouloir la poursuivre, en lui assurant la maîtrise de ses destinées. Et pour cela, le récit national est une part essentielle de l’identité nationale. Il faut pouvoir en admirer les grands hommes, les grandes périodes, les grands événements. On ne construit rien de grand sans admiration. Cela, Max Gallo le savait aussi.
On ne saurait raconter l’histoire d’un peuple en la confondant avec celle d’une faction ou avec le déploiement d’une seule idée. Chacun embrasse à travers son histoire les grandes contradictions qui définissent la condition humaine. D’une certaine manière, la nation est une médiation vers l’universel. Au fil du temps, Max Gallo était passé d’une conception un peu aride de la République à une passion charnelle pour la France. Cela témoignait aussi d’une évolution de sa philosophie politique personnelle. Ce qui l’intéressait, c’était l’âme de la France. À travers elle, chose certaine, c’est une des pages les plus intéressantes de l’histoire humaine qui s’écrit. On se désolera que Max Gallo ne soit plus là pour nous raconter la suite des choses. On ne doutera pas que son œuvre aura donné à ceux qui la fréquentaient le désir de poursuivre l’histoire de France et peut-être même, celui de la raconter. •
« La mutation diversitaire de l’histoire l’a transformée en instrument de déconstruction nationale, chaque communautarisme faisant sécession mentalement de la nation. »
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).