Pierre Lellouche a présidé l’Assemblée parlementaire de l’Otan.
« Si la place d’un « criminel de guerre » est à Nuremberg, ou à La Haye, qui ira jusqu’à Moscou obtenir sa capitulation sans conditions ? »
Alors que la guerre d’Ukraine vient d’entrer dans son deuxième mois, il est devenu presque inconvenant, dans le climat d’escalade émotionnelle qui domine à présent, de regarder en face les causes de ce conflit, ne serait-ce que pour préparer les bases d’une solution diplomatique à ce conflit: statut de neutralité pour l’Ukraine, en échange de garanties de sécurité.
Cette guerre n’est pourtant qu’une répétition de plus, dans l’histoire de l’humanité, du fameux piège de Thucydide survenu il y a 2500 ans au cours de la guerre du Péloponnèse. L’historien athénien avait compris que «la cause la plus vraie, et aussi la moins avouée de la guerre, c’est à mon sens que les Athéniens, en s’accroissant, donnèrent de l’appréhension aux Lacédémoniens, les contraignant ainsi à la guerre». Comme l’Ukraine chercha à se tourner vers l’Occident à partir de 2014, Corcyre était passée en 433 avant notre ère, après une guerre civile, du camp de Sparte à celui d’Athènes. Et la poussée impériale d’Athènes conduisit Sparte à la guerre.
Mais à présent, cette question de savoir s’il était sage pour les Occidentaux de choisir d’élargir l’Otan jusqu’aux frontières de la Russie en y incluant l’Ukraine, que les Russes considèrent comme le cœur de leur civilisation, n’est même plus d’actualité. Aux yeux de la majorité des médias et des personnalités publiques des pays occidentaux, seul compte la culpabilité personnelle de Poutine, la nature profondément nuisible de son régime et la punition qui doit leur être infligée.
Réflexe compréhensible au demeurant. Après tant de semaines de bombardements, tant de victimes civiles innocentes, de milliers de familles décimées ou contraintes à l’exode, le tout étant vécu chaque jour en direct en Occident, par la magie du smartphone et de l’internet, cette guerre est entrée dans une phase presque exclusivement émotionnelle, voire irrationnelle, obérant gravement les chances d’une sortie de crise dans un avenir proche.
Poutine ayant raté son plan initial de renversement rapide du régime à Kiev, se trouve désormais englué, sans gloire, dans une guerre sale contre les villes, qui rappelle Grozny, Alep, sans parler de Stalingrad et de Berlin au cours de la Seconde Guerre mondiale. Et pour justifier ce long combat fratricide, Poutine rejoue «la grande guerre patriotique» à la mode de Staline: il s’agit ni plus ni moins que d’en finir définitivement avec «les nazis» ukrainiens accusés de détruire eux-mêmes leurs propres villes, comme il s’agit aussi, selon les propres termes du président russe, de «purifier» le peuple russe en éliminant les traîtres, les corps étrangers, comme «on recracherait un insecte tombé dans sa bouche»…
À ce délire de propagande moscovite, digne des pires heures de la guerre froide, répond désormais une escalade verbale tout aussi irrationnelle du côté des chefs d’État occidentaux et des dirigeants américains surtout: «boucher» , «dictateur meurtrier», «criminel de guerre», qui ne saurait «au nom de Dieu rester en place»: les imprécations guerrières à répétition de Joe Biden ne laissent plus la moindre place à une issue négociée même si le Département d’État s’efforce d’adopter un ton plus mesuré. La guerre d’Ukraine est présentée comme «la bataille entre démocratie et autocratie, entre liberté et répression… Seul Poutine est coupable, point», déclare ainsi le président des États-Unis. Mais si la place d’un «criminel de guerre» est à Nuremberg, ou à La Haye, qui ira jusqu’à Moscou obtenir sa capitulation sans conditions? Churchill lui, en pleine guerre, avait un tout autre style: «Je ne déteste personne, disait-il, et je ne crois pas avoir d’ennemis – à l’exception de Hitler, et encore, c’est professionnel…»
Mais à présent, l’irrationnel rejoint la mauvaise conscience, chez tous les gouvernements occidentaux. Car si Poutine est «fou», s’il est un criminel, il n’est pas non plus question de lui faire la guerre, sauf par le biais de sanctions économiques, elles-mêmes savamment calibrées pour ne pas trop faire souffrir les Européens en manque de gaz et de pétrole. Certes, de nombreuses armes sont livrées mais il est peu vraisemblable qu’elles permettent aux Ukrainiens de renverser le rapport de force sur le terrain, face à l’énormité de la machine militaro-industrielle russe.
C’est là qu’intervient le troisième acteur de cette tragédie: le maître en émotions que s’est révélé être Volodymyr Zelensky, le président de l’Ukraine totalement inconnu il y a deux mois en Occident. Si son courage est remarquable, il s’autorise désormais une ironie discutable, quand il se demande si l’Otan, qu’il accuse d’attentisme, est dirigée par les Russes… Il suffit que Zelensky apparaisse sur un écran, pour que parlementaires et chefs d’États partout dans le monde occidental, se lèvent comme un seul homme et proclament leur soutien indéfectible à la vaillante Ukraine. À l’exception bien sûr, de livrer des armes offensives, et encore moins de l’aider militairement.
L’émotion est telle parmi les Occidentaux, qu’aucun gouvernement n’osera faire pression sur Volodymyr Zelensky pour qu’il accepte une forme de finlandisation, voire de partition, susceptible d’amener la fin des combats. Si Zelensky lui-même semble désormais évoluer dans ce sens, il risque de se trouver très vite piégé par sa propre propagande, ayant convaincu son peuple que la victoire est à portée de main, que la Russie peut être vaincue. Comment fera-t-il accepter, à Kiev, a minima, la perte définitive de la Crimée et du Donetsk, et accepter un régime de semi-liberté, alors que l’adhésion à l’Otan a été inscrite dans la Constitution ukrainienne en 2019 ?
Quant à Vladimir Poutine, il ne peut pas, sans risquer sa présidence et même sa vie, reculer à ce stade et se retirer piteusement après une semi-défaite en Ukraine. Il préférera casser l’Ukraine, faire de Marioupol et de Kharkiv de nouveaux Grozny, jusqu’à ce que celle-ci se rende et accepte une probable partition, qui donnerait à la Russie, en plus de la Crimée, le Donetsk et probablement la quasi-totalité de la rive nord de la mer Noire. Sans parler, bien sûr, de l’abandon définitif par l’Ukraine, ainsi amputée, de toute velléité de rejoindre l’Otan.
Malheureusement, il faut donc craindre que le pire soit encore devant nous. Thucydide n’avait pas prévu l’avènement du smartphone et de la politique de l’émotion de masse. ■
Prodige d’érudition classique ! Invention d’un nouveau genre : l’ana-chronique ! Sus aux vilains Athéniens; surtout ne votez pas pour eux ! La pure nymphe Europe, les Hermès continuels menteurs, tous les caniches élevés par Athènes, le faux Zeus…. , eux, amis de l’auteur, n’y sont pour absolument rien… Compris ?
Je préfère, de très loin, les analyses de François Asselineau, de Idriss Aberkane, du Cercle Aristote, de Charles Gave, etc… à celle de ce monsieur qui, manifestement n’y connait pas grand chose.
Autre remarque. Les analyses dont je parle plus haut ont été visionnées des millions de fois ce qui prouve que les français ont assez de bon sens pour trier le bon grain : l’information alternative, de l’ivraie : la propagande gouvernementale.
Pas d’accord du tout. Vous pouvez préférer qui bon vous semble. Notamment ceux qui, n’ayant jamais eu part aux affaires, peuvent s’exprimer sans trop de nuances, voire sur un mode manichéen. Lellouche connaît parfaitement le dossier russo-ukrainien et, sur le fond, sans tomber dans une russophilie excessive, qui est elle aussi une erreur, son jugement sur cette affaire me paraît conforme aux intérêts de la France et de la paix dont il sait qu’elle est surtout troublée par les ambitions étatsuniennes. Il ne mérite pas le jeu de mots un peu facile qu’on peut s’amuser à faire sur son nom. On aurait tort de s’en contenter. Cela dit, je n’ai rien à voir avec le camp politique auquel il appartient ou a appartenu, car ce camp peut, aujourd’hui, être conjugué au passé.
On ne parle pas de la même chose. Bien sûr, Ce Monsieur Lellouche n’est pas de nos amis, même éloignés. Cependant il distingue certains éléments du rapport de force. Il me semble qu’il n’est pas sans importance que des gens comme lui fasse de genre de réflexions. D’autres peuvent faire les mêmes et c’est intéressant.
Chacun peut comprendre ce qu’il veut comprendre de ces propos de P. Lellouche ; c’ en est louche .