Par Philippe Mesnard.
Au moment où j’écris ces lignes, l’écart entre Macron et Le Pen diminue, au premier comme au second tour, selon les sondages. Ça énerve l’Élysée, paraît-il, et on le comprend : rien de moins jupitérien que d’être ramené au niveau du commun.
Passe encore que, comme Jupin, on fasse semblant de se mêler aux mortels, ici déguisé en bête de foire et menant de longs et faux débats devant un public admirant l’endurance, là revêtu de la défroque d’une pluie d’euros ruisselant chichement sur quelques millions d’appauvris ; mais se retrouver à six ou sept points d’écart seulement de la Présidente du Rassemblement national, cela manque de divin, et même de panache. Pire, c’est l’écart entre Sarkozy et Royal en 2007 ! Voilà La République En Marche qui réagit et recommande à tous les vieux, ces fidèles soutiens d’un régime qui garantit leurs retraites, d’aller voter sans craindre le virus, « en même temps », toujours virulent mais qui ne sera réellement dangereux qu’une fois le second tour passé. On espère les écarts les plus faibles, on espère les abstentions les plus fortes, on espère les exaspérations les plus vives, bref on espère que les Français voteront contre Macron, au premier comme au second tour, prêts à tout plutôt qu’à lui redonner cinq ans de pouvoir.
Macron n’a qu’un talent, son carnet d’adresses
Car qu’a-t-il fait de ses cinq ans, cet universel suffragé ? On pensait qu’il avait, par pure malice, par intelligence dévoyée, par goût de la transgression, par servilité vis-à-vis de la finance, bref par son génie propre, ardemment travaillé à défaire la France et à construire l’Europe, théâtre de sa future gloire et propriété des riches vendus à tous les vents dorés. Dieu nous pardonne, nous qui l’accusions de tous les maux et maudissions la chance insolente qui l’accompagne, nous l’avions crédité de quelque intelligence, d’une manière de talent… Mais non ! Le « Mozart de la finance » filait à ses potes de McKinsey et autres consultés consultants des centaines et des centaines de millions d’euros pour imaginer les réformes, réfléchir à l’avenir et gérer les dossiers d’aide des journalistes-pigistes (authentique), entre deux missions de plus haute graisse, plus fumeuses et plus rentables. Macron n’a qu’un talent, son carnet d’adresses ; qu’une vertu, sa docilité de Young Leader promotion 2012. Il apparaît que, déjà chez Rothschild, Mozart avait surtout le talent de recruter les musiciens ; ça paraît probable puisque des millions gagnés à la banque, dont son bonus pour avoir permis à Nestlé de racheter une division de Pfizer, il ne reste plus, dix ans plus tard, qu’un pauvre demi-million… et un vaste et aimable réseau : le nombre d’anciens de McKinsey qu’on retrouve dans les organes d’En Marche ! puis dans les ministères est assez effarant. Comme le dit si justement Radu Portocala, quand Macron « hurla “C’est notre projet” devant une foule en transe, cette foule savait-elle que dans ce “nous” les têtes pensantes étaient les cabinets de conseil, M. Macron se contentant du rôle subalterne d’exécutant ? Auquel cas, le cri aurait dû être : “Parce que c’est leur projet !” »
Macron fait avancer le projet de ses maîtres
Mais ces petites satisfactions sont amères. L’État, sous Macron, a conquis un pouvoir inédit. La France, comme les autres démocraties occidentales, n’a pas échappé à cette polarisation extrême des communautés qui les décomposent et Macron, à défaut de gouverner, a su merveilleusement dresser les Français les uns contre les autres, de 2018 à aujourd’hui, au point qu’il sera élu par des partisans fanatiques incapables de voir en lui autre chose qu’un divin thaumaturge ou un général victorieux à qui on pardonnerait bien volontiers le massacre de ceux qui ne l’acclament pas. Dans cette France désormais imbécile, Macron fait avancer le projet de ses maîtres, l’Union européenne, baptisée à neuf par la crise ukrainienne, avec une Commission non élue gonflée à bloc et prête à tout pour imposer un gouvernement fédéral qui enterrera définitivement les nations. Les États-Unis la tiendront sous leur coupe militaire et diplomatique et lui laisseront le bonheur d’enrégimenter, pour leur plus grand bien, 500 millions d’Européens soumis au passe universel, à la chinoise, qui n’accordera qu’aux dociles les droits de se déplacer, de travailler, d’être soignés, de se divertir et sans doute, à terme, de se reproduire. Chaque pas vers la tyrannie nous sera présenté comme une sûreté nécessaire, une aimable douceur supplémentaire – un bonus, comme on dit chez McKinsey et Rothschild. ■
Article paru dans Politique magazine.