Cette tribune de Gilles-William Goldnadel est parue dans FigaroVox le 4 avril. Goldnadel a mille fois raison de placer son analyse des réalités socio-politiques d’aujourd’hui sur un terrain de type religieux marqué par le règne d’une nouvelle cléricature, un nouvel ordre moral ou prétendu tel, un ensemble de dogmes, de lois supérieures à toutes celles ayant existé jusqu’ici et qui tranchent entre deux royaumes, celui du Bien et celui du Mal. Mais, au fond, est-ce si nouveau ? Sans-doute oui, si l’on considère le processus en cours, son degré d’achèvement, c’est à dire d’extinction, de soumission et de réduction du Politique à la religion nouvelle. Mais, en soi, n’était-ce pas contenu dès ses origines dans le « programme » ou l’ADN de la Révolution de 1789, n’était-ce pas, si l’on peut dire, à son principe ? Dans sa nature même ? Question posée à Gilles-William Goldnadel. La constatation du réel actuel étant posée, peut-on faire l’économie de remonter à l’origine ?
« Dès lors qu’Éric le Satan était menacé de rentrer dans sa boîte, il était fatal que Marine Le Pen ne reprenne sa figure diabolique ancestrale. »
Par un hasard cosmique, les derniers sondages prédisant avec insistance la présence de Marine Le Pen au second tour face au président candidat, certains l’ont à nouveau associée avec insistance avec l’image théoriquement dévalorisante de «l’extrême droite».
Jusqu’alors pourtant, les commentaires insistaient davantage sur l’affadissement de sa figure allant presque jusqu’au dangereux reniement.
C’est ainsi qu’Emmanuel Macron, la semaine passée n’a pas hésité à placer sur le même «tandem extrémiste» de droite Éric Zemmour et Marine Le Pen, alors même que le premier, par la vigueur intransigeante de son discours, avait été le principal contributeur de la «dédiabolisation» de la seconde.
Dans le même temps, un article du Monde était publié le premier avril et intitulé opportunément «Marine Le Pen : Un programme fondamentalement d’extrême – droite derrière une image adoucie». Sans se donner l’élémentaire peine de donner une définition politique de «l’extrême droite», il semblerait, à suivre ses deux auteurs, que modération n’était finalement que ruse. Et que, pêle-mêle, le simple fait d’être toujours peu enthousiaste au phénomène migratoire massif ; favorable au recours au référendum à valeur constitutionnelle ; critique envers l’audiovisuel de service public taxé de gauchiste ; et inversement intéressée par la libération du discours médiatique – via notamment CNews – demeuraient des marqueurs indélébiles extrêmement droitiers.
Le double objet du présent article est de tenter d’expliquer en termes de psychologie politique, ce brusque retour de la diabolisation politique et d’évaluer son efficacité démonologique en période électorale de haute intensité irrationnelle.
Sur le premier point, nul ne devrait s’étonner du retour du diable, ou plutôt de la diablesse, au nom encore passablement maudit.
J’ai décrit dans mes Névroses Médiatiques (éditions Plon), un univers virtuel qui ne se caractérise ni par la raison, ni par le raisonnement ni par la bonne foi, mais plutôt par la guerre morale et idéologique.
Dans ce système binaire, à caractère religieux, il n’y a qu’un seul Dieu mais aussi qu’un seul diable.
Dès lors qu’Éric le Satan était menacé de rentrer dans sa boîte, il était fatal que Marine Le Pen ne reprenne sa figure diabolique ancestrale.
Dans ce système démonologique monosatanique, j’ai déjà fait observer depuis longtemps que par la puissance des clercs exorcistes qui dominent encore le monde médiatique, Lucifer ne pouvait que demeurer qu’à droite dans l’enfer.
Ainsi d’Adolf Hitler, alors que son complice infernal principal sur terre Joseph Staline, se voit traité avec davantage d’indulgence ecclésiastique. C’est ainsi que, très récemment, le candidat du Parti communiste français, Fabien Roussel, a pu se permettre d’hésiter à classer devant des enfants le petit père exterminateur des peuples dans la catégorie de ses « camarades » sans déclencher aucunement les foudres de l’enfer médiatique .
À plusieurs reprises durant la campagne électorale, j’ai fait remarquer avec quelque lassitude que, principalement sur l’audiovisuel public, Éric Zemmour était classé systématiquement comme « polémiste d’extrême droite », tandis que le tribun Mélenchon demeurait simplement « Insoumis », « à gauche », voire « à gauche de la gauche ».
Bref, on n’extrémise politiquement, donc ne diabolise moralement, que la droite.
Dans le même domaine d’incantation asymétrique, j’ai fait remarquer dans mon Manuel de résistance au fascisme d’extrême gauche, que dans le champ lexical idéologico-médiatique, s’il existait une «fachosphère», il n’existait pas de « bolchosphère » ou d’ « islamosphère » dûment répertoriées .
De même, il existe des journaux « droitiers », mais nul n’a jamais rencontré un « gaucher » sur le terrain politique ou médiatique.
C’est dans ce contexte qui ne se caractérise ni par l’équité ni par la raison, que l’actuel président de la République, rencontrant avec urbanité il y a quelques années M. Mélenchon sur la Canebière avait bien tenu à préciser qu’il ne renvoyait pas M. Mélenchon et Mme. Le Pen dos à dos.
C’est dans ce cadre de dilection assez banal , que les épithètes de populistes «lépreux», utilisés dans le passé par le précité doivent être rangées dans le répertoire diabolique, réservé uniquement à la «populace» de droite nationaliste, forcément suspecte de chauvinisme vulgaire, plutôt qu’aux internationalistes… fussent ils islamo-gauchistes, qui, pour être taxés d’excessifs, ne sont pas si éloignés d’un mondialisme universaliste de meilleur aloi, ne nécessitant pas l’usage prophylactique de la gousse d’ail, de la crécelle ou de l’eau bénite.
La seconde question qui se pose alors est de savoir, toute idée d’équité ou de raison mise à part, si la diabolisation de l’adversaire est encore une recette éprouvée en cas de difficultés.
Certes, le président aurait tort d’espérer que les Français se signent désormais à la simple évocation du retour de la diablesse. Le vocable d’«extrême droite» a perdu une grande partie de son pouvoir d’exclusion. L’on peut désormais jouir d’une vie sociale et médiatique agréable, productive, tout en en étant affublé par un monde politique ou journalistique ayant grandement perdu son magistère intellectuel et moral, et ayant troqué le raisonnement pour l’insulte.
Il n’en demeure pas moins que le président-candidat peut raisonnablement pouvoir espérer compter sur le concours d’une large partie du personnel médiatique, en ce compris au sein de l’audiovisuel de service public, pour miser sur cette charge émotionnelle autant qu’irrationnelle .
Les Français, au moins dans cette marge qui fait la décision, seront-ils sensibles à cette injonction à la diabolisation ?
Seront-ils, au rebours, désespérés par le réel cruel, agacés par le recours au surnaturel ?
Dieu seul le sait. Peut – être. ■
Gilles-William Goldnadel est avocat et essayiste. Son récent ouvrage, Névroses Médiatiques. Le monde est devenu une foule déchaînée, est paru chez Plon. Notons-le : Il vient de publier Manuel de résistance au fascisme d’extrême-gauche (Nouvelles éditions de Passy).