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L‘attentat de dimanche aurait pu être évité si le tueur n’avait été relâché par la préfecture du Rhône, estime Philippe Bilger. [Figarovox, 4.10]. Il plaide pour un renforcement des contrôles professionnels et arrêter de croire que les lois nouvelles remplaceront les actes. Il plaide surtout pour que la France retrouve le simple courage ! LFAR
Sentinelle a heureusement évité à Marseille, en tuant l’assassin, d’autres victimes que les deux malheureuses jeunes femmes. Qui pourrait discuter l’utilité de cette force de surveillance, de vigilance et de riposte ?
Qui pourrait douter de la nécessité de voter au plus vite le projet de loi antiterroriste qui ajoute des armes à l’état de droit en maintenant celui-ci à la pointe extrême de ce qu’une démocratie peut se permettre d’accepter ?
Si je confirme mon adhésion à cette présence militaire si efficace en l’occurrence et aux futures dispositions législatives qui sont attendues par le peuple français – son approbation vaut bien la contestation des universitaires et des juristes qui les récusent -, cela tient à un sentiment que j’ai éprouvé régulièrement face aux crimes terroristes.
Depuis l’affaire Merah jusqu’à toutes celles qui ont endeuillé, au fil du temps, la France, l’Etat s’est immédiatement et spontanément projeté, après chaque désastre, dans des inventions législatives.
Parce qu’il y croit et qu’il espère d’elles une plus grande sûreté et une répression plus rigoureuse contre les assassins. Et qu’il éprouve le besoin légitime de répondre à l’attente explicite des citoyens.
On n’a pas à se moquer de ce prurit venant poser sur le chagrin collectif comme une consolation vigoureuse et mieux armée pour demain.
Il n’empêche que la France abuse de la pratique législative qui vise à faire croire en certaines circonstances qu’on agit, que la loi peut devenir un substitut au véritable accomplissement.
En amont de chaque processus criminel, si on voulait bien analyser dans le détail en n’ayant pas peur de pointer les responsabilités et les défaillances, on s’apercevrait qu’à chaque fois des comportements humains, professionnels, techniques n’ont pas été à la hauteur de ce qu’ils auraient dû inscrire dans la quotidienneté. Dans la chaîne de l’excellence, un maillon a sauté et tout s’est délité. Et, en définitive, le paroxysme de l’horreur est atteint.
Il n’est pas une de ces terrifiantes affaires où à sa source on n’ait pas été confronté à une incurie, une négligence, une coordination lacunaire ou absente.
Pour le double crime de Marseille, la police pourrait à Lyon être questionnée sur ce plan mais surtout la préfecture du Rhône qui n’a pas permis que la rétention du tueur puisse être édictée le samedi 30 septembre. Ce qui aurait empêché la double monstruosité sur laquelle on verse des larmes et des torrents d’indignation.
Mais au risque de choquer, le pouvoir politique a moins peur en France de faire voter des lois que d’exercer un redoutable contrôle professionnel sur tous ceux qui à un moment ou à un autre ont failli et donc, sans le savoir, fait surgir le pire.
Il convient de perdre l’habitude de pourfendre des abstractions pour n’être pas obligé de sanctionner des coupables. Adopter une telle démarche reviendrait à changer d’esprit, de méthode et de courage.
Les massacres ne sont pas forcément facilités par de mauvaises lois. Mais, le plus souvent, par des hommes ou des femmes qui ont fait dévier, par insuffisance, incompétence, légèreté, le cours de notre destin collectif vers l’innommable.
Rien de ce qui est proprement humain n’est étranger à la sauvagerie, à cette saleté du terrorisme.
Il faudrait être doublement sans faiblesse.
Pas dans le même registre évidemment. •
Magistrat honoraire, président de l’Institut de la parole, Philippe Bilger a été plus de vingt ans avocat général à la Cour d’Assises de Paris. Auteur de très nombreux ouvrages, il tient le blog Justice au singulier et a dernièrement publié Moi, Emmanuel Macron, je me dis... (éd. du Cerf, 2017).
Philippe Bilger a raison de mettre l’accent dans cette affaire sur les défaillances des autorités publiques, donc des personnes en chair et en os qui doivent faire appliquer les règles existantes visant à protéger la société contre ceux qui enfreignent les lois. Le tueur possédait de multiples fausses identités, était en situation irrégulière en France (il me semble, sauf erreur de ma part) et venait de commettre un vol pour lequel il a été pris en flagrant délit. Donc, une ou plusieurs personnes ont failli à leur devoir après l’interpellation du futur tueur. Aucune loi protectrice de la société ne peut être efficace face à l’incurie, la paresse, le laxisme ou l’insouciance des personnes ayant autorité pour faire appliquer la loi. D’une manière générale, il faut que la France toute entière se réveille et sorte de ses rêveries naïves face au terrorisme, islamiste en l’occurrence.