Par Mathieu Bock-Côté
Cette tribune [11.11] est de celles que Mathieu Bock-Côté donne sur son blogue du Journal de Montréal. Il est vrai que nous reprenons volontiers et souvent ses écrits tant ils sont pertinents, proches de nos propres idées, et collent, de façon vivante, intelligente et claire, à l’actualité la plus intéressante. Il s’agit ici de l’arrogance des modernes … LFAR
Permettez-moi de méditer un peu sur notre époque et ses travers. Une des choses qui frappe le plus, lorsqu’on pense à nos contemporains, c’est leur immodestie.
Je m’explique. Ils se regardent, ils se contemplent, et ne cessent de s’émerveiller d’être nés à notre époque.
Immodestie
Surtout, ils regardent leurs ancêtres avec mépris et les accablent de tous les maux. L’accusation est connue : ils étaient racistes, sexistes, homophobes et compagnie. Ils étaient fermés sur le monde. Ils étaient ignorants et arriérés. Et on pourrait continuer longtemps cette énumération de reproches.
Évidemment, si nos contemporains sont capables de faire ainsi le procès de leurs ancêtres, c’est qu’ils se croient moralement supérieurs à eux. Ils se sentent délivrés des anciens préjugés. Ils se voient comme des humains purifiés.
Cette arrogance des modernes a des conséquences bien réelles sur notre vie collective.
Comment pouvons-nous, par exemple, avoir un minimum de fierté nationale si, au fil des siècles, nous ne parvenons pas à nous voir autrement que comme des salauds ?
Comment admirer les héros de notre histoire si nous ne voyons en eux que des hommes machistes, écrasants, intolérants, ou des femmes dominées, soumises, martyrisées ?
Comment admirer les fondateurs et les explorateurs de la Nouvelle-France si nous les voyons comme des conquérants pillards et racistes venus s’emparer d’un monde où ils n’auraient jamais dû mettre les pieds ?
Fierté
De même, comment pouvons-nous transmettre la culture à l’école si nous croyons qu’elle est contaminée par des préjugés et des stéréotypes dont il faudrait surtout la nettoyer ?
Comment admirer de grandes œuvres littéraires si nous n’y voyons que le reflet d’époques détestables qui se seraient exprimées à travers elles ?
Nous vivons dans un monde qui cultive le stupide mépris des ancêtres. Il éduque ses enfants dans une posture qui les amène à rejeter la civilisation dont ils héritent. Notre monde est suicidaire. •
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (VLB éditeur, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (Boréal, 2012) de La dénationalisation tranquille (Boréal, 2007), de Le multiculturalisme comme religion politique (éd. du Cerf, 2016) et de Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Merci à Mathieu Bock-Côté de nous inciter à une modestie que je croyais innée et condition qui permet à notre faculté d’émerveillement de s’épanouir. A le lire a surgi aussitôt le début du texte de Roger Nimier dans « Versailles que j’aime ».
« Le palais de l’ogre s’étend sur huit cents hectares. Avec un os, Cuvier reconstituait un univers disparu. Ici, il nous reste une coquille, désertée par ses habitants, grandes salles déguisées de marbre et d’or : ambassadeur occidental dont le voyage a duré trois siècles et qui nous apporte ses présents;. ambassadeur qui ne s’agenouille pas, qui ne se fait pas à nos mœurs, nous juge de petite condition, se tait, respire, écoute. »
J’aimerais bien partager
Parler de nos contemporains, c’est tout de même parler de beaucoup de monde: ceux (et celles!) dont l’âge varie disons de 10 ans à 90 ans et au-delà.
Mais je suppose que Mathieu Bock Côté veut surtout parler de nos contemporains jeunes.
En général, la jeunesse qui a pour elle une énergie toute fraîche et quasi inépuisable, des ambitions débordantes, des valeurs qu’elle considère péremptoirement comme universelles et dont elle refuse la contestation, a tendance à penser qu’elle représente à elle-seule le monde contemporain. Mais la jeunesse c’est qui et quoi ? A 10 ans on est très jeune, entre 15 et 18 ans on est jeune et on le reste encore jusqu’à 21 ans au moins. A 25 ans on est encore jeune et on le reste facilement jusqu’à 30 ans. Au-delà de 30 ans, on n’est plus tout à fait jeune mais on se considère encore comme jeune et cela dure jusqu’à 35 ans voire plus. Cependant qu’y a t’il de commun entre un jeune de 15 ans et un jeune de 35 ans ? Un écart de 20 ans en âge représente une durée considérable en terme de maturité, de connaissance, d’expérience et de sagesse acquise.
Donc, si l’on veut parler de nos contemporains jeunes, on se sait plus trop de qui on parle.
Quant à nos contemporains d’âge mûr ou sénior, ils constituent beaucoup de gens qui ne partagent pas forcément la même vision du monde que les plus jeunes ou même entre eux et s’imaginent pour beaucoup être encore jeunes dans leurs aptitudes mentales.
Ce qui est véritablement troublant à notre époque, c’est la puissance et la rapidité fulgurante des transmissions d’informations entre les gens et de leurs réactions généralement plus spontanées que mûrement réfléchies aux informations. Notre époque connaît ainsi le règne croissant de la pensée éclair, de la fulgurance de réactivité face aux évènements vrais ou faux (la post vérité!).
Un sage ancien disait qu’on apprend plus sur le monde en méditant dans sa chambre qu’en parcourant toutes les routes de la terre. Un adage dit aussi que pierre qui roule n’amasse pas mousse. Tout dépend bien sûr si l’on considère la mousse comme un bien ou comme un mal.
Pour conclure, je dirais que les progrès informatiques et technologiques de tous ordres ont tendance à rendre les humains effectivement immodestes en ce qu’ils leur donnent l’illusion que la pensée profonde et la méditation philosophique sont des exercices inutiles parce qu’en réalité ils n’ont pas le moindre temps mental disponible pour s’y consacrer.
Je crois plus simplement que Mathieu Bock-Côté veut parler de la pensée dominante. Autrement dit la doxa censée s’imposer à tous. La pensée dite moderne. Du moins dans les pays dit occidentaux.