PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro d’hier 4 juin. Mathieu Bock-Côté y pose, en fait, le débat – ou dilemme – république et monarchie en des termes sur lesquels nous n’avons pas de peine à nous trouver d’accord. Notre réserve ? C’est lorsque Mathieu Bock-Côté écrit avec un conformisme ou une concession à la doxa dominante, qui n’est guère dans son caractère : « C’est justement dans la mesure où elle a été capable de se réapproprier l’ensemble de l’histoire nationale que la République s’est enracinée dans le pays.. » L’a-t-elle vraiment été ? Capable de ladite réappropriation et enracinée dans le pays ? Nego majorem, comme dirait l’autre. Et deux fois : 1. La République en tant que telle n’a jamais vraiment été capable de se réapproprier l’ensemble de l’histoire nationale. Inutile, n’est-ce pas ? que nous en donnions les preuves multiples anciennes ou récentes qui attestent le contraire. Mathieu Bock-Côté n’a pas besoin de nous pour les connaître. 2. Quant à l’enracinement de la République, objection votre honneur. Dostoïevski l’avait contestée en son temps, mais cela est vieux. Que nous dit l’examen des réalités d’aujourd’hui ? Du mépris de toute institution politique à l’abstention grandissante, l’indifférence, le désenchantement, le réalisme et la lucidité tout dément cet « optimisme ». Ce n’est que par la force de l’inertie que les Français supportent la République. Ou la tolèrent. Il n’est pas sûr que cela puisse tenir le coup, passer le cap, des crises qui s’annoncent. Et quant à la nostalgie monarchique qui affecte nos compatriotes, Mathieu Bock-Côté n’est pas le seul à la constater. Elle est partout évoquée. Dans la presse et sur les écrans. Emmanuel Macron avait été précurseur en l’espèce. C’était explicite et net. C’était en 2015. Il n’était pas encore président de la République.
CHRONIQUE – Les Français se tournent vers la monarchie britannique de manière quelque peu mélancolique. Ils n’entendent pas restaurer la monarchie en France mais rappeler, par ce détour, que l’histoire de France ne commence pas avec la Révolution.
« Les Français ne se seraient jamais remis de la mort du roi, l’instabilité politique chronique associée à la succession des régimes et des républiques en témoignant »
Les célébrations entourant le jubilé du règne d’Elizabeth II rappellent que la monarchie ne représente pas chez les Anglais qu’un régime politique parmi d’autres, mais un pilier irremplaçable de leur identité nationale – peut-être en est-elle même le noyau -, dans la mesure où elle condense leur histoire et en marque la continuité au fil des siècles dans un pays qui préfère la tradition à la révolution, et qui n’a fait dans son histoire, en 1688, une révolution que l’on dit glorieuse que pour restaurer la tradition.
La Grande-Bretagne se méfie de l’abstraction dans la construction de la société et, à travers la monarchie, rappelle que la légitimité politique ne saurait se constituer exclusivement autour d’une idée, mais a souvent besoin de s’incarner, ce qui heurte la modernité, qui tend à désincarner les institutions et les symboles, pour les transformer en processus censés rationaliser intégralement l’ordre social.
D’ailleurs, s’il n’en est plus vraiment ainsi aujourd’hui, longtemps, les Britanniques ont préféré aux droits de l’homme les droits des Anglais, comme si les droits provenaient moins d’un décret universel que d’une tradition donnée, à partir de laquelle une communauté a fait l’expérience du monde pour mieux l’apprivoiser.
C’est à la lumière de ces considérations qu’il est possible de comprendre l’étonnant enthousiasme de bien des Français par rapport à Elizabeth II, qui va au-delà de sa personne. Ce n’est pas chose audacieuse de dire que les Français entretiennent un rapport ambivalent avec la monarchie. On aime les présenter comme un peuple à la fois monarchiste et régicide. Emmanuel Macron l’avait même affirmé en 2016: les Français ne se seraient jamais remis de la mort du roi, l’instabilité politique chronique associée à la succession des régimes et des républiques en témoignant. La formule est convenue mais exacte, et on peut lire l’histoire de France de la Révolution jusqu’à la fin des années 1950 comme une entreprise toujours reprise pour restaurer la monarchie sous la forme républicaine, ce qu’a prétendu faire la Ve République.
Il faut dire que la République elle-même est d’une nature ambivalente en France: elle ne se présente pas seulement comme le meilleur régime possible pour le pays mais comme aussi un idéal d’universalisation absolue de la communauté politique. Un idéal, à terme, qui doit se substituer à celui du peuple historique français. À certains égards, la République n’entend pas mettre en forme politiquement la France, mais produire une autre France, qui soit autre chose que la France, lumière philosophique pour la terre entière.
Les Français se tournent donc vers la monarchie britannique de manière quelque peu mélancolique. Ils n’entendent évidemment pas restaurer la monarchie en France mais rappeler, par ce détour, que l’histoire de France ne commence pas avec la Révolution.
La monarchie devient dès lors le symbole d’une continuité historique française à retrouver, rappelant par ailleurs que l’histoire de la nation ne saurait se confondre exclusivement avec celle de sa marche vers la Révolution, comme si la proclamation de la République, finalement, venait racheter ses fautes et lui offrir une nouvelle naissance, ou du moins, l’occasion d’un recommencement fondamental, conforme au fantasme de la table rase. Confesser sa tendresse pour les grands rois de France revient à confesser sa tendresse pour une histoire qui ne se réduit pas aux processus de démocratisation qui la traverseraient. On ajoutera que c’est justement dans la mesure où elle a été capable de se réapproprier l’ensemble de l’histoire nationale que la République s’est enracinée dans le pays.
On pourrait en tirer quelques leçons philosophiques. Une communauté politique ne saurait jamais se réduire à un simple assemblage de règles et de normes théoriquement valables pour l’ensemble du genre humain. Elle s’incarne dans une histoire particulière. Les principes les plus généraux ne peuvent prendre forme qu’en tenant compte de la psychologie politique de chaque peuple, ce qu’un Jean-Jacques Rousseau avait parfaitement compris, même si cette part de sa philosophie politique est moins connue.
L’idéal démocratique ne prend pas la même forme en Grande-Bretagne qu’en France, au Canada qu’au Québec. On pourrait même ajouter que dans la mesure où la démocratie se standardise, à travers le fantasme d’un État de droit planétarisé, il se dénature, se désubstantialise, se dépolitise, et se retourne finalement contre les peuples, dans la mesure où il n’est plus qu’un fantasme idéologique utilisé pour justifier leur rééducation permanente, pour s’assurer qu’ils deviennent compatibles avec la mondialisation et le régime diversitaire. De manière paradoxale, cette réflexion sur la monarchie britannique nous ramène à une réflexion sur les conditions historiques de la démocratie. ■
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois(éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] – le Le Nouveau Régime(Boréal, 2017) – Et La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Presses de la Cité, avril 2021, 240 p., 20 €.
Sélection photos © JSF
Laissant de côté la question du régime idéal, on peut se concentrer sur ce qui, en France, mine, corrode, décompose, empoisonne la vie politique, quelle que soit sa forme institutionnelle. En quoi les Britanniques, mais aussi les Allemands, les Hollandais, les Suédois… mais aussi, les citoyens de ce drôle d’état qu’est le Vatican sont-ils différents ? On connaît la réponse sinon le remède: l’esprit de parti, de fronde, de ligue, l’esprit gaulois, les 258 fromages… Ce mauvais esprit (si l’on peut dire, en ce jour de Pentecôte) se nourrit des frustrations d’ordres divers qui existent partout ailleurs mais semble, en France, n’être pas arrêté par la conscience d’un héritage, d’une tradition, d’un bien commun supérieur, des risques de divisions délétères. Il y a aussi la fascination du changement, de la table rase, des théories abracadabrantes, des mots creux préférés aux réalités, des idées simplistes, de l’irresponsabilité.
Qui est à l’origine de ces poisons, de ces anti-corps ? le peuple ou ses dirigeants ? Avec Macron, sa « révolution », sa « verticalité », sa disruption, sa start-up nation (prononcée « neyshun »), sa pseudo-supériorité intellectuelle héritée de l’illisible Ricœur, ses provocations de petit caïd, sa troupe de menteurs, son vulgaire baratin, ses trucages… la question revient, aussi brûlante qu’aux pires époques de notre histoire.